Tabou (Tabu) de Miguel Gomes, film portugais, sorti en 2012Films homonymes: Tabou de Murnau (1931) ; Tabou (Gohatto) (1999), de Nagisa Oshima |
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Distribution:
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Fiche technique:
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À Lisbonne, Aurora, une vieille dame au tempérament instable, arrive au soir de sa vie. Sa femme de ménage, Cap-Verdienne, et sa voisine Pilar, dévouée catholique, voient surgir du passé un de ses anciens amants, Gian Luca Ventura. Il leur raconte leur romance. Le film est divisé en deux parties : « paradis perdu » (à Lisbonne), « paradis » (en Afrique). La forme est très hardie, la première partie est en Noir et Blanc. Michel Gomes utilise là une des dernière pellicule Kodak en Noir et Blanc, avant fermeture de l'usine. La seconde partie est pratiquement sans dialogue, mais avec des bruits de fond. Il représente le point de vue de chaque personnage. Ce film d'amour épique est tout en inventions, en fulgurances. Un crocodile en est l'emblème, le totem. Lorsqu'il apparaît, c'est encore un bébé : le cadeau fantasque d'un jeune marié heureux à son épouse, dans l'Afrique coloniale des années 1960. Or la seule présence de l'animal, encore au « berceau », suggère on ne sait quel danger, désir fatal, tragédie à venir. Pendant trois quarts d'heure, on voit seulement les ruines énigmatiques de ces événements. A Lisbonne, de nos jours, une dame octogénaire et excentrique, portant le beau prénom d'Aurora, perd la boule, accuse sa bonne capverdienne de « faire du vaudou » et envahit sa voisine de palier, une retraitée altruiste, dévouée. Cette manière de nous attacher d'abord à un personnage secondaire, dépositaire des confidences de l'héroïne (Aurora dit à cette voisine : « J'ai du sang sur les mains »), le cinéaste l'emprunte aux mélos hollywoodiens. De même, quand un vieil homme mystérieux, appelé au chevet d'Aurora agonisante, révèle qu'« elle avait une ferme en Afrique », la référence à Karen Blixen et Out of Africa est limpide. Or c'est un hommage furtif : cinéaste cinéphile, Miguel Gomes cite ou recycle, mais il n'imite jamais. Son film dépayse non seulement parce qu'il se déroule en grande partie au Mozambique, mais aussi par sa forme aventureuse. Son noir et blanc, son titre, celui de l'ultime chef-d'uvre Tabou de Murnau (1931), tourné dans les mers du Sud, sont presque des trompe-l'œil, des clins d'œil. Tabou n'est pas un fac-similé de cinéma classique, comme pouvait l'être The Artist. Plutôt un prototype. Ainsi, quand le récit de la jeunesse d'Aurora au pied du mont Tabou commence pour de bon, le film devient muet, tout en restant parlant : si les dialogues sont gommés, une voix off déroule tout un roman, ample et sentimental, soutenu par les sons et les chants de l'Afrique. Ce mélange muet/parlant relève de la magie. Notamment pour restituer les basculements sans retour. La fière Aurora, fille de riches colons portugais, princesse des safaris, mariée à son double masculin, s'en va un jour rechercher dans la propriété voisine son petit crocodile échappé. Et y trouve la passion en la personne de Gian Luca Ventura, aventurier et musicien, perdant magnifique, déjà revenu de tout, croit-il. Le film atteint son sommet avec la révélation progressive de cette histoire secrète d'adultère et de transgression, puisque Aurora est enceinte de son mari. Les prémices de la guerre coloniale, les coups de feu, l'atmosphère suave et mélancolique dans la petite communauté portugaise vouée au délitement, le désir interdit qui circule entre Aurora et son amant, le défilement des heures et des jours au bord des vieilles piscines, la ritournelle au piano égrenée par la bande-son, Tout concourt à une merveille de cinéma languide, où se mèlent exil, exotisme déliquescent, amour impossible. Tabou recèle un supplément de malice, une touche pop, un dandysme un rien absurde : on y entend souvent les tubes sixties joués, façon yéyé portugais, par l'orchestre où Ventura est batteur. L'une des réussites du film, et sa modernité, consiste à mêler idéalement ce léger rire sous cape et une grande intensité romanesque. A montrer en même temps le dérisoire et la grandeur des passions. Déclarations :Rui Poças, chef opérateur : L’idée du noir et blanc était née dès le début, ça n’a rien à voir avec des contraintes économiques, au contraire. C’est plus cher de tourner en noir et blanc et beaucoup plus compliqué, parce qu’il n’y a pas beaucoup de choix en termes de pellicules, et les labos ferment partout. Au Portugal, il n’y a plus aucun labo pour développer des films pellicules cinéma. Et, même pour la partie Afrique de Tabou, on a travaillé dans un labo en Allemagne, en 16 millimètres, du vrai noir et blanc. C'était un labo très connu qui allait fermer un mois après la fin de la postproduction du film. Tabou était leur dernier film. Aujourd’hui, c’est un luxe de travailler en pellicule noir et blanc. On a essayer de le faire de la façon la plus traditionnelle, avec du vrai négatif au tournage, et du vrai noir blanc pour les copies. Extrait du disscours de Ventura :
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