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Une femme dangereuse (They Drive By Night) film américain de Raoul Walsh, sorti en 1940

Distribution:

  • George Raft : Joe Fabrini
  • Ann Sheridan : Cassie Hartley
  • Ida Lupino : Lana Carlsen
  • Humphrey Bogart : Paul Fabrini
  • Gale Page : Pearl Fabrini
  • Alan Hale : Ed Carlsen
  • Roscoe Karns : Irish McGurn
  • John Litel : Harry McNamara
  • George Tobias : George Rondolos

Fiche technique:

  • Titre original : They Drive By Night
  • Réalisation : Raoul Walsh
  • Scénario : Jerry Wald, Richard Macaulay, d'après le roman Long Haul de A.I. Bezzerides
  • Producteurs : Jack L. Warner, Mark Hellinger, Hal B. Wallis
  • Musique : Adolph Deutsch
  • Directeur de la photographie : Arthur Edeson
  • Montage : Thomas Richards
  • Format : Noir et blanc Son Mono
  • Durée : 95 minutes
  • Dates de sortie : États-Unis : 27 juillet 1940
    • France : 2 juillet 1947

Les deux frères Joe et Paul Fabrini possédent un camion et dirigent une toute petite entreprise de transport qui fait face à celle du puissant Ed Carlsen. Avec ses nombreux camions, celui-ci impose sa loi dans la région. Le grand rêve de Joe est de devenir l'égal de Carlsen alors que Paul n'aspire qu'à une vie tranquille. Sur la route Joe prend en stop une jeune fille, Cassie et c'est le coup de foudre. Peu après, au cours d'un transport, Paul, harassé, s'endort au volant et, à la suite d'un accident, perd un bras.

Joe se voit dans l'obligation de travailler pour Carlsen. Or, Lara, la femme de Carlsen, désire Joe et n'hésite pas à tuer son mari en simulant un accident. Elle relance Joe qui lui préfère Cassie. Lana s'accuse alors du meurtre de son mari en déclarant que Joe était son complice. Au cours du procès la vérité éclate et Joe est disculpé. À nouveau réunis, les frères Fabrini tentent de remonter leur entreprise avec le concours de Cassie qui épouse Joe.

Walsh se permet de proposer deux films en un. Nettement écrit en deux parties distinctes, ce chef-d'œuvre peu connu est d'abord une peinture sociale, puis un film noir, version film de tribunal. Walsh passe d’un genre à l’autre avec une aisance confondante, et une brusque rupture de ton qui ne nuit en rien à la fluidité du film ou au rythme habituel du cinéaste.

La première partie est une esquisse fascinante du quotidien des petits routiers américains : ces chauffeurs de poids lourds qui traversent les immenses étendues du pays-continent au détriment de leur vie privée,de leur couple, et quelquefois au péril de leur vie. Sur ces routes qu’ils arpentent durant d’interminables journées, parfois sans dormir, le risque est omniprésent. Et les restaurants pour routiers qui jalonnent le parcours sont autant de havres où les chauffeurs retrouvent ce qui ressemblent le plus à un cocon familial, mais totalement masculin.

Dans cet univers, George Raft et Humphrey Bogart interprètent deux frères qui partagent le même camion. Bogart n'est pas encore en tête d'affiche et incarne donc le petit frère un peu en retrait, qui n’aspire qu’à une vie rangée avec sa femme, et qui suit aveuglement les rêves de son grand frère George Raft, qui était alors la grande star des studios Warner. Il incarne donc l'ambitieux avec une volonté farouche d’indépendance : prêt à travailler des jours entiers sans s’arrêter, pour pouvoir monter sa propre affaire. Cette première partie est un portrait très humain et passionnant d’une Amérique populaire qui peine à se relever de la grande dépression des années 1930. Ces petites gens qui se battent au quotidien pour gagner leur vie sont autant de personnages de tragédies en puissance.

Le héros, Joe Fabrini, est un homme inexorablement attiré par la route. Chaque image du film concourt à définir ce caractère volontaire et tourné vers l’avant. Le premier plan du film est révélateur des ambitions de Walsh : un camion avance vers la caméra. Image simple mais image de l’action, cette introduction est la quintessence de l’art du cinéaste dont la passion du mouvement est portée par le personnage de Joe : du début jusqu’au final, il n’a de cesse d’avancer vers son objectif, de construire son avenir. Lorsqu’on lui propose un verre d’alcool, il refuse systématiquement ce plaisir nocif à toute ambition. Quand il s’arrête dans un relais routier, il n’y reste que quelques minutes, le temps de dévorer un steack sous les yeux admiratifs des piliers de bars.

La femme du patron, personnage-type de la vamp de film noir, interprétée par Ida Lupino est une ambitieuse prête à tout, romantique contrariée qui a sacrifié sa vie d’amoureuse au profit d’une fortune toute faite, intrigante au bord de la folie fait totalement basculer la seconde partie du film vers le noir le plus obscur. Il y a un meurtre, un chantage, des destins tragiques, des arrestations, un procès, de l’amour, de l’amitié et de la fraternité

De la performance d’Ida Lupino le public retiendra surtout la scène du tribunal : la belle Lana, vêtue d’une robe noire, se lance dans un monologue emprunt de folie et termine dans des hurlements - "The doors made me do it" - et des larmes. Elle stupéfie alors l’audience du procès et cloue les spectateurs à leur strapontin. Cependant, d’autres scènes sont remarquables, et en particulier celle qui suit le meurtre perpétré par Lana : elle sort du garage et s’arrête devant la cellule photo électrique qui achèvera sa victime. Si elle la franchit, les portes se refermeront et emprisonneront sa victime qui mourra asphyxiée. Ida baisse alors les yeux, hésite, les relève, fixe la caméra devant laquelle son regard se diabolise et franchit la cellule. Ce plan magnifiquement mis en scène par Walsh et interprété par Lupino est d’une force inouïe.

Ce film à la mise en scène irréprochable est généralement catalogué dans les petits films de Walsh. Cette œuvre n’a pas la force de Gentleman Jim ni de La Piste des Géants. Cependant, il possède un charme puissant et fait preuve d’une efficacité mordante.

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