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La Piste des géants (The Big Trail) film américain de Raoul Walsh, sorti en 1930

Distribution:

  • John Wayne : Breck Coleman
  • Marguerite Churchill : Ruth Cameron
  • Ian Keith : Bill Thorpe
  • Tyrone Power Sr. : Red Flack
  • Tully Marshall : Zeke
  • Charles Stevens : Lopez
  • El Brendel : Gussie
  • David Rollins : Dave Cameron

Fiche technique:

  • Titre original : The Big Trail
  • Réalisation : Raoul Walsh
  • Scénario : Marie Boyle, Jack Peabody, Raoul Walsh d'après l'œuvre de Hal G. Evarts
  • Photographie : Lucien Andriot, Arthur Edeson
  • Musique : James F. Hanley
  • Durée : 103 min
  • Date de sortie : 1er novembre 1930

Deux mauvais garçons sans scrupules, Red Flack et Lopez, ont été engagés pour convoyer une caravane d'émigrants du Missouri à l'Oregon. Breck Coleman, un trappeur qui connaît bien la région et entretient des relations amicales avec les Indiens, se joint aux émigrants. Breck soupçonne Flack et Lopez d'être les assassins d'un de ses amis trappeurs récemment détroussé. Le long voyage commence. Breck se lie d'amitié avec Zeke et rencontre la jolie Ruth Cameron, que courtise Thorpe, un individu sans foi ni loi. Breck se révèle indispensable et plein de ressources : il évite des combats avec les Indiens, trouve de l'eau dans le désert, chasse et pêche avec efficacité. Sa rivalité avec Thorpe ne cesse de croître, ainsi que l'animosité de Red à son égard. Zeke sauve Breck en tuant Thorpe, qui avait tenté de l'assassiner.

Une fois la caravane arrivée à bon port, Breck se lance à la poursuite de Flack et de Lopez, qui se sont enfuis. Après des mois de recherches, il les retrouve. Lopez est mort gelé dans la neige. Quant à Flack, Breck le tue d'un jet de poignard. Il part rejoindre Ruth Cameron, qui l'attend dans une vallée fertile.

En 1930, Raoul Walsh fait sortir de l’ombre un acteur jusqu’ici cantonné à faire l’accessoiriste puis de la simple figuration dans quelques films de John Ford, et qui va devenir l’une des plus grandes stars du cinéma américain après encore neuf ans de vaches maigres et de séries B ou Z à foison. Walsh remarqua par hasard un accessoiriste qui déchargeait un camion, Duke Morrison, puis décida de lui faire faire un bout d'essai. Le producteur délégué et le réalisateur décidèrent juste après de lui faire changer de nom. Par admiration pour le général Anthony Wayne, on lui trouva un nom. Et tout bêtement parce que "John" faisait américain et simple, on lui donna ce prénom. Ainsi Duke Morrison devint John Wayne, sans même avoir été consulté.

Le tournage de La Piste des géants commença à Yuma. Wayne fut victime d'une dysenterie qui l'obligea à un régime et lui fit perdre trois semaines de tournage. Le film fut tourné en 70mm, près de vingt ans avant le CinemaScope. La première mondiale eut lieu le 24 octobre 1930 dans un grand cinéma de Hollywood et la société de production fit faire à sa nouvelle vedette une promotion mensongère, lui inventant une nouvelle biographie.

Avant de s’y faire dérouler des histoires plus personnelles et "intimistes", les westerns les plus ambitieux de la fin du muet et du début du parlant ont commencé par planter le décor, recréer la mise en place de la conquête de l’Ouest à travers des films épiques qui voyaient les lignes de chemin de fer se construire, les colons s’installer, bâtir les villes et peupler des terres encore vierges et sauvages. Les producteurs faisaient ainsi sortir des usines à rêve des films à grand spectacle qui devaient en mettre plein la vue au spectateur tout en posant les jalons et éléments constitutifs d’un genre encore à peine au stade de la préadolescence.

En activité depuis 1912 et avec 40 films réalisés (dont Le Voleur de Bagdad), Raoul Walsh était vraiment l’homme de la situation comme le sera son personnage de Breck Coleman pour les colons. Il fallait une personnalité de cette trempe, et avec un tel métier, pour mener à bien cette aventure presque aussi épique que celle narrée dans le film. En effet, Walsh, comme cela se faisait parfois au début des années 30, dut mener aussi de front le tournage d’une version allemande et la coréalisation d’une version française avec Pierre Couderc. Etonnement, le film fut un échec commercial et financier retentissant mais il conserve aujourd’hui son aura, et se retrouve dans toutes les histoires du cinéma comme étant le premier très grand film d’un genre qui n’allait seulement atteindre sa maturité, prendre son envol et enfin bénéficier de la reconnaissance de la critique que dix ans plus tard, toujours avec John Wayne en tête d’affiche : ce sera La Chevauchée fantastique (Stagecoach) de John Ford.

Le film est une œuvre visuellement impressionnante tout en étant moyennement loquace. La mise à disposition d’une logistique monumentale, avec tout le matériel et la figuration souhaités, permet au réalisateur de déployer avec ampleur son génie visuel et son sens du rythme, du montage et de la narration. Le scénario est certes peu original, mais l’aventure humaine vécue est tellement homérique que les à-côtés peuvent se permettre d’être insignifiants. Et pourtant, même si l’histoire d’amour entre John Wayne et Margaret Churchill est tout à fait conventionnelle, elle n’en est pas moins pour autant convaincante grâce au talent de ses interprètes et de dialogues non dépourvus de grandiloquence, mais qui passent bien. Les naïves envolées lyriques de Breck sur la beauté de la nature non encore souillée par l’homme blanc ne manquent pas de charme et le discours revigorant, qu’il tiendra après un orage virulent pour redonner du courage à des hommes et des femmes exténués, n’est pas sans une certaine grandeur. L’histoire de vengeance peut, elle aussi, paraître vue et revue mais elle conserve néanmoins aujourd’hui une certaine force surtout dans son accomplissement, esthétiquement superbe, se déroulant au milieu de paysages neigeux de toute beauté.

La Piste des géants est une véritable ode à ces émigrants qui, poussés toujours plus loin par une force tellurique, parcourent les Etats-Unis à la recherche d’une "Terre promise". Ils doivent pour y parvenir, progresser coûte que coûte, fournir des efforts surhumains ayant à affronter d’innombrables obstacles, qu’ils soient climatiques, géographiques ou humains. Bien que le film se concentre beaucoup sur le passage de ces épreuves, Walsh n’en a pas oublié pour autant ni la romance ni l’humour, nous offrant avec le personnage interprété par Tully Marshall, le précurseur de tous les picaresques "Stumpy" à venir, à savoir les vieux ronchonneurs souvent édentés et aux cœurs d’or. Enfin point de racisme dans le scénario; on trouve plusieurs rencontres avec les Indiens et la plupart d’entre elles se déroulent pacifiquement sous l’arbitrage de Breck, qui revendique ouvertement son amitié et son estime pour ce peuple. Alors que les enfants du convoi lui demandent s’il a déjà tué un Indien, le protagoniste interprété par John Wayne rétorque « Non et en plus de ça, les Indiens m’ont tout appris » ; s’ensuit une description détaillée de leurs enseignements.

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