Été précoce (晩春 Bakushu) , film japonais de Yasujiro Ozu, sorti en 1951 |
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Distribution:
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Fiche technique:
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Bakushu met en scène une famille japonaise où coexistent trois générations ; le grand-père, les deux parents, leurs enfants : le frère aîné Koichi (et sa femme), sa soeur Noriko, et les deux jeunes fils du couple. Variés, comme ceux de Koichi et Noriko (29 ans) - respectivement interprétés par Chishu Ryu et Setsuko Hara, père et fille dans Printemps tardif. Noriko, revient plusieurs fois chez les personnages féminins principaux dans les films de Ozu, interprété par Setsuko Hara . Ainsi, outre Printemps tardif, Voyage à Tokyo ou Dernier caprice. Le film débute d'une manière semblable à Printemps tardif, assez lentement, par une description de la vie quotidienne de la famille qui permet de poser les différents caractères. Noriko, prévenante et enjouée, proche de la femme de Koichi. Ce dernier travaille quotidiennement dans une entreprise, peu fantaisiste et semblera assez conformiste. Le père et la mère sont plutôt contemplatifs. Il y a ici dès le début une atmosphère relaxée et parfois comique grâce au grand-père sourd et aux enfants débordant de dynamisme. La petite famille vit en commun depuis bien des années et tout tourne à la perfection. Le film débute d'ailleurs sur un plan de la mer (évoquant au choix quotidienneté, répétition mais aussi calme serein) puis sur celui, plus ambigu et qui sera de plus récurrent, d'oiseaux en cage sur la galerie extérieure de la maison. L'idée d'enfermement paraît peu en adéquation avec le tableau somme toute positif qui est tracé dans les scènes suivantes ; mais la suite du film imposera plus certainement cette interprétation. On note une fois de plus la non démonstration des métaphores d'Ozu : si on peut penser à l'enfermement, il n'en reste pas moins que la cage est située dans un décor presque idyllique et que les oiseaux chantent gaiement. Ozu n'insiste pas , tout objet peut évoquer plus que ce qu'il n'est sans cesser de participer pleinement à l'atmosphère générale. Quelques indices nous rapprochent rapidement du thème traditionnel chez Ozu : celui du mariage. Noriko a 29 ans et devrait évidemment songer à trouver quelqu'un. Un sous-entendu du père (qui est sans doute rendu plus clairement dans les sous-titres) met la puce à l'oreille, et l'on se rend compte plus tard que si les parents pensent à se retirer à la campagne pour leurs vieux jours, ils ne peuvent se résoudre à la faire avant que la situation de Noriko ne se soit stabilisée. Pendant ce temps, cette dernière ne semble absolument pas penser à ce genre de choses ; son patron lui propose d'ailleurs un fiancé (en lui donnant une photo) auquel elle n'accorde pas vraiment d'attention. Ce thème du mariage se trouve à ce moment du film caractérisé par une atmosphère très légère. D'abord par les cachotteries des époux : Koichi se cache derrière un panneau coulissant, ressortant pour repréciser des choses à sa femme qui va parler avec Noriko ; lorsqu'ils évoquent le sujet pour la première fois, ils font signe à leur fils de s'éloigner, mais celui-ci reste planté au même endroit, il ne partira qu'après quelques signes de Koichi qui frôle le ridicule (par ailleurs, la photo du parti en question est floue, et on ne voit pas vraiment son visage... détail semi-absurde bien trouvé). En général, pendant la première partie du film c'est la famille qui agit et discute derrière Noriko, en l'absence de celle-ci, ce qui nous prépare à la vision finale du milieu familial que nous procurera le film ; il s'agit pour le moment déjà d'une sorte de pression vague inévitable en raison du niveau d'intimité des membres. Ensuite, le thème est régulièrement abordé par Noriko et ses amies, dont la plus proche n'est pas mariée non plus ; les conversations (on en verra deux) finissent régulièrement par la constitution de camps mariées/célibataires qui se moquent l'un de l'autre. Lors de ces moments, Noriko prend une attitude similaire, mais moins vigoureuse que son amie ; il est clair que la question ne l'intéresse pas. Le début du film était proche de la comédie... mais la représentation se termine, le divertissement touche à sa fin ; le spectateurs sont rentrés chez eux et voici les vrais problèmes qui commencent. Encore une fois, Ozu touche au plus juste par des moyens d'une sobriété exemplaire. Les choses avancent lentement. La famille doute de la solution de Koichi... l'homme n'est-il pas trop vieux ? Enervé, Koichi s'énerve progressivement jusqu'à traiter rudement ses enfants à qui il a ramené un simple pain qui ne leur plaît pas. Ils s'enfuient, et au cours de la recherche, Noriko va voir chez une amie de la famille, dont le fils l'aide. On aura eu droit à un bref plan fixe sur le pain brisé en deux morceaux, préfigurant la rupture du cercle familial. Se prépare doucement la scène pivot du film... La mariage s'impose lentement à la pensée de tous... et ce n'est que le jours de ses noces que Noriko, lors que la dernière réunion de la famille, se rend compte de ce qu'elle perd, perçoit toutes les conséquences de son choix. Elle fond en larmes. Ne nous méprenons pas : elle ne regrette rien, mais auparavant les doutes sur sa décision et la résistance à sa famille occupaient la majeure partie de son temps. Le mariage et la prise de conscience coïncident avec la rupture du cocon familial. Ce propos est d'une grande finesse quant on se rappelle que pour Ozu le mariage libre est un symptôme de l'ère nouvelle qui s'installe. Par cette seule scène on prend de nouveau conscience du changement radical qui s'est opéré sous nos yeux, et de sa portée plus générale. Le dernier plan montrera le cortège qui s'éloignera lentement, au milieu des champs de blé. Noriko s'éloigne dans sa nouvelle vie, seule. La cassure est irréparable, elle était inévitable. On peut rappeler que le titre original du film est Bakushu, ce qui signifie littéralement "récolte du blé". Ce que Noriko va désormais vivre matériellement, mais aussi métaphore de ce à quoi l'on vient d'assister. Le film est principalement caractérisé par quelques faux raccords (travelling brusquement interrompu ou enchaînés dans des lieux différents, comme après le spectacle de Noh par exemple), mais surtout par le grand nombre de plans fixes sur des objets. Ceux-ci sont plus ou moins en rapport avec l'action, et nombreux. On a ainsi un procédé qui tient davantage de l'illustration (alors que dans Printemps tardif on touchait à la poésie zen). Ozu n'a pas eu recours à la progression rythmique cette fois-ci, mais a fait pivoter brusquement son film sur un point inattendu (l'acceptation de Noriko) qui renverse le cours tranquille des choses, l'ambiance installée et révèle l'importance des enjeux. A la fin on ne sait toujours pas exactement à quoi a tenu le choix de Noriko. Il est ponctuel, non généralisable, particulier, irréductible à un principe. Elle sera seule avec ses doutes et assumera ses responsabilités. Le spectateur, lui, saura se contenter d'avoir eu un aperçu des mécanismes par lesquels se manifestent les doux changements d'une société, le passage de relais qui ne conserve jamais tout à fait l'ordre précédent. Noriko s'éloigne, on n'aperçoit plus son visage, on sait simplement que les choses ont changé. Inéluctable, travaillé et beau. |
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