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Printemps tardif (晩春 Banshun) , film japonais de Yasujiro Ozu, sorti en 1949

Distribution:

  • Chishu Ryu : Shukichi Somiya
  • Setsuko Hara : Noriko Somiya
  • Yumeji Tsukioka : Aya Kitagawa
  • Haruko Sugimura : Masa Taguchi
  • Hohi Aoki : Katsuyoshi
  • Jun Usami : Shuichi Hattori
  • Kuniko Miyake : Akiko Miwa
  • Masao Mishima : Jo Onodera

Fiche technique:

  • Titre original : ·· Banshun
  • Réalisation : Yasujiro Ozu
  • Scénario : Kazuo Hirotsu & Kôgo Noda
  • Photographie : Yuuharu Atsuta
  • Montage : Yoshiyasu Hamamura
  • Pays d'origine : Japon
  • Durée : 108 minutes
  • Musique originale: Senji Itô
  • Date de sortie : 13 septembre 1949

 

Noriko, jeune fille ayant pratiquement passé l'âge normal (dans la société japonaise) de se marier, vit seule avec son père à Kamakura. Parfaitement heureuse avec lui, elle refuse tous les prétendants. La première partie du film, décrivant cette situation, est étonnamment posée et sereine, débutant par une cérémonie du thé réunissant Noriko et sa grand-mère, cérémonie silencieuse et hiératique. Parallèlement à l'arrivée de la soeur du père, personnage énergique et pittoresque ayant renoncé au mariage, l'intrigue principale se déploie avec le rapprochement apparent du père avec une autre femme ; on ignore leurs vraies relations.

Noriko commence à avoir des soupçons et à ressentir une sorte de jalousie, mêlée à l'appréhension d'un changement dans ce mode de vie qu'elle apprécie tant. C'est lors d'une représentation de théâtre Noh à laquelle assistent son père et Noriko qu'elle remarque la présence de la femme en question. Alors que les autres sont concentrés sur le spectacle lent et hypnotisant qu'ils semblent apprécier pleinement, le regard de Noriko va de l'un à l'autre, son inquiétude croissant sans que rien d'autre qu'elle ne modifie son comportement - à peine, le lieu interdisant toute manifestation extérieure visible. Bouleversée par la nouvelle, Noriko décide alors de franchir le pas après un dernier voyage avec son père à Kyoto. Mais une fois partie, son père reste seul.

Ce film illustre à merveille le style d' Ozu, ce mélange d'émotion et de bien-être qui envahissent le spectateur, un vrai bonheur teinté de mélancolie. Ozu nous parle des rapports entre parents et enfants, ici un père et une fille, vrai-faux couple semblant lié à jamais et pourtant destiné à se séparer puisqu'il est dans l'ordre des choses qu'une fille se marie (mais doit-elle le faire ou pas ?). Cependant, si tous les films de Ozu se ressemblent plus ou moins, Printemps tardif se distingue par son incroyable simplicité, son dépouillement complet. Scénario, décors, éclairages, dialogues, jeu des acteurs sont épurés et ouvrent la voie à toutes les autres œuvres majeures du cinéaste des années 50.

La douceur du film, ce ton si particulier à Ozu, est donnée dès le début avec la longue scène introductive de la cérémonie du thé à laquelle n'assistent que des femmes dont Noriko et sa tante. Un sentiment de parfaite plénitude, renforcé par la musique douce et les trois plans de coupe insérés de la nature. L'ambiance, tout à la fois légère et calme, permet d'apprécier la subtilité du jeu de Setsuko Hara qui donne toujours l'impression de se trouver au bord du fou-rire quand elle s'adresse à sa tante. D'ailleurs, Noriko rayonne littéralement sur le film tandis que son père, incarné par le plus fidèle des acteurs de Ozu, le grand Chishu Ryu, expose un visage et un sourire pétris de bonté.

Onodera, l'ami du père, va se remarier. Il faut alors voir Noriko asséner dans un bar à Onodera, avec un sourire et une douceur infinie, qu'elle trouve odieux et dégoûtant qu'il se remarie. A la fin du film, elle reconnaîtra son erreur en jugeant sa nouvelle épouse charmante mais trouvera vulgaire le projet de son père, identique en apparence à celui de Onodera.

Misako, la fille de Onodera, refuse de se marier avant 24 ans et affirme que le mariage est la fin de la vie. Les mariages sont au centre du film. La plupart des amies de Noriko sont mariées, remariées ou enceintes. C'est à la suite d'une cérémonie de mariage que la tante de Noriko, parfaite représentante de la tradition, se désole :
Les jeunes ont bien changé de nos jours. La mariée d'hier soir était de bonne famille mais elle mangeait de tout et elle buvait. De sa bouche bien rouge elle dévorait le poisson. J'étais ahurie.
Ce à quoi le père répond: Pourquoi la blâmer ? Elle avait faim.

Au-delà du trait d'humour, il faut bien entendre ici autre chose. En 1949, le Japon vit encore sous les ruines, l'occupation américaine et le redressement économique n'est pas en vue. Cette référence à la faim n'est donc pas gratuite et constitue un bel exemple de la manière dont Ozu parsemait ses films de réflexions sur les difficultés Elle a été victime de la dureté des temps, nous avions si peu de choses conclut Onodera tandis que les deux amis, par pudeur toute asiatique, en rient comme d'une bonne blague. Cette manière de sourire, d'alléger les souffrances, participe pleinement aux nombreux moments détendus du film

L'humour est très présent dans le film, par exemple à travers le récit sur le professeur qui postillonne jusque dans le thé de ses élèves. Ou bien encore lorsque la tante présente un bon parti à Noriko en la prévenant qu'il ressemble à Gary Cooper que Noriko aime tellement, la bouche, pas le haut du visage, précise-t-elle. Plus tard, Noriko trouvera qu'il ressemble plutôt à l'électricien. Mais son amie Aya lui fait remarquer que celui-ci se trouve justement être le portrait craché de… Gary Cooper !

Pourtant, petit à petit, au fur et à mesure que la double menace approche et se précise, un fiancé éventuel pour Noriko, le remariage envisagé de son père, le film devient davantage mélancolique. C'est l'émotion qui y affleure désormais lorsque sa tante l'informe que son père n'a pas d'objection à se remarier, avec une jeune et distinguée Mme Niwa.

Ozu était un observateur tranquille et légèrement désabusé de la condition humaine, à la limite du pessimisme. Rester digne et humain sous les tracasseries journalières, apprendre à vivre tout en sachant que rien ne dure et que l'homme n'a d'autre choix que d'avancer et de faire avec, seul, toujours, voilà ce que n'a cessé de dire Ozu dans ses films. Comme le remarque l'un des personnages de Printemps tardif (au sujet des enfants) : Vous les élevez et ils s'en vont. Vous vous faites du souci s'ils ne se marient pas et vous êtes déçus s'il se marient, aucune solution n'est jamais satisfaisante.

La scène où le père enseigne à sa fille que le bonheur se construit jour après jour et peut prendre un, cinq ou dix ans avant de s'installer dans un couple est un des plus beaux moments de toute la filmographie de Ozu.

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