Nous avons gagné ce soir (The Set-Up) film américain de Robert Wise, sorti en 1949 |
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Distribution:
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Fiche technique:
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Bill « Stoker » Thompson est un boxeur raté en fin de carrière. Un soir d ‘été, il se prépare afin de participer à une soirée de boxe. Sa compagne, persuadée qu’il va perdre ce combat, tente de l’en dissuader. Mais Stocker croit encore en une possible victoire et se rend à l’Arena de Paradise City. Pendant ce temps, des malfrats essaient de truquer le match de Stocker et de s’assurer de sa défaite. Dans un dernier sursaut d'orgueil, il décide de mener à terme le combat, provoquant la colère de la pègre. Lorsque le boxeur se rend à l’Arena, Robert Wise utilise un cadre fixe et une courte focale : dans ce plan magnifique, Robert Ryan avance vers la caméra au milieu d’un décor écrasant. Vêtu d’un costume quelconque et portant une sacoche abîmée, il est à l’image de n’importe quel citadin en route pour une journée de travail. Quand le héros entre dans la salle de boxe, le héros pénètre un monde de violence dont l’épicentre est situé sur le ring. Le ring peut être vu comme une allégorie de la vie. Une vie baignée dans la brutalité où il faut savoir donner mais aussi recevoir des coups pour exister. Dans l'Amérique libérale de l'après-guerre, le processus d’identification du spectateur au héros fonctionne parfaitement Au terme d’un combat déchaîné, Stocker terrasse son adversaire. Le film entre alors dans le dernier volet de son triptyque dramaturgique et exhibe toute sa cruauté. Stocker a refusé de se coucher et doit payer sa désobéissance au système. Traqué comme un animal, il finira mutilé. Dans un plan ahurissant, Wise filme Robert Ryan boitant et cherchant son chemin. Ses rêves de victoires sont brisés et, tandis que Julie accoure dans un travelling arrière prodigieux, on observe derrière le champion déchu le néon clignotant de l’Arena sur lequel est écrit : "DreamLand". Cette image d’une ironie inoubliable inscrit définitivement le chef-d’œuvre de Wise parmi les sommets du film noir. L’histoire de The Set Up a pour origine un poème de Joseph Moncure March écrit en 1926 et intitulé ‘The Wild Party’ (La Nuit d’enfer). En quelques vers, March dressait plusieurs portraits dont celui d’un boxeur noir qui refusait une combine. Lorsque Art Cohn lit ce texte, il est fasciné par sa qualité dramaturgique et décide de l’adapter pour le cinéma. Avant de devenir un scénariste reconnu et de collaborer avec des réalisateurs de renom comme Anthony Mann (The Tall Target, 1951) ou Raoul Walsh (Glory Alley , 1952), Art Cohn était journaliste sportif. The Set Up est donc sa première expérience d'écriture cinématographique et après des mois de travail, son script parvient sur les bureaux de la RKO. Dore Shary qui dirige le studio est séduit par la qualité du texte et décide de produire le film. A cette époque la RKO applique une politique de réduction des coûts de production : les budgets diminuent et offrent l'opportunité à de jeunes réalisateurs moins exigeants de faire leurs preuves. En 1948, Dore Shary fait lire à Robert Wise le scénario d’Art Cohn ; Wise, captivé par l’histoire, déclare "Jusqu'alors, dans la plupart des films de boxe, le bon gagnait et le méchant perdait. Ici, le héros gagne la partie, mais perd la bataille, puisqu'il ne pourra plus jamais monter sur le ring". Dès que le scénario est entre ses mains, Wise s’investit corps et âme pour ce film qu’il juge aujourd’hui encore comme sa meilleure réalisation. Robert Wise s’entoure d’une équipe technique irréprochable et peaufine chaque détail du tournage. Tel un acteur préparant son rôle, le cinéaste s’immerge dans le milieu de la boxe afin d’offrir au public un spectacle des plus réalistes. Il assiste à des soirées comme celle décrite dans The Set Up et note un nombre incalculable de détails concernant le décor, l'organisation du show ou les habitudes des spectateurs. Il pousse ce soin du réalisme jusqu’à demander à un boxeur poids lourd (John Indrisano) de superviser les scènes de combat et de coacher les comédiens. The Set-Up est exemplaire tant au niveau du découpage, de la mise en scène (en relation avec l'espace) que du montage (en relation au temps). Mais un bon montage, tout comme une bonne mise en scène, est par essence invisible: "le spectateur ne doit pas avoir conscience de la caméra, il ne doit pas la sentir" (R. Wise). Chez Wise, fond et forme se rejoignent et en cela il se démarque de Welles, son maître. Dans The Set-Up, relevons deux types de montage: le premier est un "montage parallèle" entre l'errance de Julie dans les rues de la ville et la préparation du combat de Stoker dans les vestiaires (qui regarde régulièrement par le caniveau s'il y a toujours de la lumière dans la chambre d'hôtel, située en face des vestiaires). Le second est le montage du combat, filmé avec trois caméras. La mise en scène alterne des plans longs et des plans courts. La caméra est ondoyante au début du film, pour saisir les attitudes des spectateurs d'avant le match. Le héros est introduit par son nom tracé de l'affiche par son manager, le plan suggérant ainsi déjà sa future trahison. Ensuite la caméra, par un "travelling avant" passe de la rue à la chambre d'hôtel du héros, où l'on pénètre dans l'intimité du couple. Le combat est filmé simultanément avec trois caméras, dont une à l'épaule (qui donne l'impression d'être sur le ring avec les boxeurs). Filmer de cette manière est très peu courante à Hollywood.Wise utilise une courte focale pour augmenter la "profondeur de champs". Ce procédé est souvent employé dans les films noirs américains de cette époque. Le temps dans le film est continu, ce qui est très rare au cinéma, surtout à cette époque. L'histoire se déroule donc en "temps réel" : un plan sur une horloge montre l'heure au début (21h05) et à la fin du film (22h17), ce qui, par ailleurs peut très bien être un horaire de projection du film. Une série de plans sur des réveils, cadrans, cloches, gongs, tout au long du film, agissent comme des rappels de la durée. Ces rappels temporels sont également sonores : gong durant le combat, cliquetis du réveil pendant l'attente de Julie, Un plan admirable montre le reflet de Julie sur le cadran du réveil de la chambre d'hôtel: il parle du temps (qui passe), de l'attente (de la femme) et de l'absence (du mari). Les unités de lieux et d'action sont également respectés. Les décors sont entièrement crées en studio (RKO) à l'exception de deux scènes: la première est très "expressionniste" : Julie est sur le pont ferroviaire et regarde passer les trains (exprimés par les points lumineux des phares dans la nuit); dans la seconde Stoker essaie de trouver une issue pour sortir du stade qui est d'autant plus inquiétant qu'il est vide . Les décors sont réalistes: rue, café, chambre d'hôtel, et se caractérisent par la précision des détails et des figurants . Le film de boxe, sous-genre du "film noir", a donné nombre de chefs-d'œuvres. Gentleman Jim (en 1942) pose les fondements esthétiques du genre: rapidité narrative, montage serré, rythme, Ce film montre la boxe sous un aspect positif et esthétique (rapprochement d'avec la danse, le théâtre). Mais autant le film de Walsh est fictionnel que celui de Wise est réaliste (ce qui est paradoxal dans la mesure où le premier a son origine dans une biographie et le second dans un poème ). L'interprétation est remarquable : Robert Ryan qui deviendra l’une des figures emblématiques du film noir, est incontestablement l’acteur idéal pour le rôle de Stocker. D’origine irlandaise, sa jeunesse est partagée entre deux passions : le théâtre et la boxe. Pendant ses quatre années d’études au Dartmouth College, il obtient puis conserve le titre universitaire des poids lourds. Sa destinée le mène ensuite sur les planches des théâtres de Chicago, puis vers Hollywood sans cesse en quête de nouveaux talents. Dans The Set up, il livre une interprétation remarquable tant sur le ring, où il n’a aucun mal à incarner le boxeur qu’il fut pendant des années, que dans les vestiaires ou auprès de sa fiancée. Son extraordinaire présence à l'écran, la technique avec laquelle il intériorise ses sentiments, son jeu empreint de rigueur et de justesse rendent son interprétation inoubliable. Ce rôle vaudra à Ryan les honneurs de la critique et propulsera sa carrière Aux côtés de Ryan, la production propose le rôle de Julie (son épouse) à Audrey Totter. La comédienne aperçue dans Le Facteur sonne toujours deux fois de Tay Garnett (1946) hésite avant d’accepter ce projet. Elle ne connaît pas Robert Wise et le film traite d’un sujet très masculin qui ne laisse en général que peu de place aux personnages du sexe opposé. La qualité du travail d’Art Cohn fait son effet et la comédienne comprend qu’elle tient là le plus beau rôle de sa jeune carrière The Set-Up annonce le néo-réalisme italien. Avec The Set Up, Robert Wise faisait son entrée dans la cour des grands en signant un film qu'il qualifie lui-même de "série B par le budget mais de série A par la qualité de sa mise en scène" |
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