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Les Mille et Une Nuits (As 1001 Noites) de Miguel Gomes, film portugais, en 3 parties, sorti en 2015

Distribution:

  • Volume 1 : Crista Alfaiate, Adriano Luz, Américo Silva, Rogério Samora, Carloto Cotta, Fernanda Loureiro
  • Volume 2 : Crista Alfaiate, Chico Chapas, Luísa Cruz, Gonçalo Waddington, Joana de Verona, Teresa Madruga
  • Volume 3 : Crista Alfaiate, Américo Silva, Carloto Cotta, Jing Jing Guo, Chico Chapas, Quitério, Bernardo Alves

Fiche technique:

  • Titre original : As Mil e Uma Noites – O Inquieto – O Desolado – O Encantado
  • Réalisation : Miguel Gomes
  • Scénario : Miguel Gomes, Telmo Churro et Mariana Ricardo
  • Image : Sayombhu Mukdeeprom
  • Montage : Telmo Churro, Pedro Filipe Marques, Miguel Gomes
  • Durée : 381 minutes , film en trois parties volume 1, l'Inquiet , 125 minutes volume 2, le Désolé , 130 minutes volume 3, l'Enchanté , 125 minutes
  • Pays de production : Portugal/France/Allemagne/Suisse
  • Dates de sortie : 16 mai - 18 mai - 20 mai 2015 ( Festival de Cannes 2015, quinzaine des réalisateurs)
  • France : 24 juin 2015 - 29 juillet 2015 - 26 août 2015

Dans un pays d'Europe en crise, le Portugal, un réalisateur se propose d'écrire des fictions inspirées de la misérable réalité dans laquelle il est pris. Mais incapable de trouver un sens à son travail, il s'échappe lâchement et donne sa place à la belle Schéhérazade. Il lui faudra bien du courage et de l'esprit pour ne pas ennuyer le Roi avec les tristes histoires de ce pays ! Alors qu'au fil des nuits l'inquiétude laisse place à la désolation et la désolation à l'enchantement, elle organise ses récits en trois volumes. Elle commence ainsi : « Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays... »

Volume 1, l'Inquiet
Où Schéhérazade raconte les inquiétudes qui s'abattent sur le pays : « Ô Roi bienheureux, on raconte que dans un triste pays parmi les pays où l'on rêve de baleines et de sirènes, le chômage se répand. En certains endroits la forêt brûle la nuit malgré la pluie et en d'autres hommes et femmes trépignent d’impatience de se jeter à l'eau en plein hiver. Parfois, les animaux parlent, bien qu’il soit improbable qu’on les écoute. Dans ce pays où les choses ne sont pas ce qu'elles semblent être, les hommes de pouvoir se promènent à dos de chameau et cachent une érection permanente et honteuse ; ils attendent qu’arrive enfin le moment de la collecte des impôts pour pouvoir payer un dit sorcier qui… ». Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.

Volume 2, le désolé
Où Schéhérazade raconte comment la désolation a envahi les hommes : « Ô Roi bienheureux, on raconte qu'une juge affligée pleurera au lieu de dire sa sentence quand viendra la nuit des trois clairs de lunes. Un assassin en fuite errera plus de quarante jours durant dans les terres intérieures et se télétransportera pour échapper aux gendarmes, rêvant de putes et de perdrix. En se souvenant d'un olivier millénaire, une vache blessée dira ce qu'elle aura à dire et qui est bien triste ! Les habitants d’un immeuble de banlieue sauveront des perroquets et pisseront dans les ascenseurs, entourés de morts et de fantômes, mais aussi d’un chien qui… ». Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.

Volume 3, l'enchanté
Où Schéhérazade doute de pouvoir encore raconter des histoires qui plaisent au Roi, tant ses récits pèsent trois mille tonnes. Elle s’échappe du palais et parcourt le Royaume en quête de plaisir et d'enchantement. Son père, le Grand Vizir, lui donne rendez-vous dans la Grande Roue. Et Schéhérazade reprend : « Ô Roi bienheureux, quarante après la Révolution des Œillets, dans les anciens bidonvilles de Lisbonne, il y avait une communauté d’hommes ensorcelés qui se dédiaient, avec passion et rigueur, à apprendre à chanter à leurs oiseaux... ». Et le jour venant à paraître, Schéhérazade se tait.

Comme Miguel Gomes le répète à chaque début des trois volumes , « ce film n’est pas une adaptation du livre Les Mille et Une Nuits mais il s’inspire de sa structure ». Schéhérazade est là, elle doit toujours raconter des histoires afin d’éviter que le roi de Perse, Shahryar, ne se lasse d’elle et la tue. Mais ces histoires ne sont pas celles du conte, et si elles contiennent des voleurs et des voyageurs, ceux-ci sont des Portugais de 2014. Car le personnage principal du film est le peuple portugais, victime de la politique d’austérité. Le premier volume de ces Mille et Une Nuits , intitulé « L’Inquiet » est sans doute le plus déconcertant. Les vingt premières minutes évoquent très sensiblement les expérimentations et la mise en abyme et puis l’entêtante chanson « Perfidia » accompagne une princesse sur un hors- bord, et c’est le premier récit qui commence.

La fragmentation en récits, plus ou moins féeriques et drôles, austères ou décalés, à la limite du documentaire ou s’en éloignant fortement, est loin d’être artificielle tant les Portugais portent à eux seuls l’unité de la fresque. Le premier volume est à la fois le plus enfantin et le plus politique, le burlesque et le ridicule entourent ainsi l’absence d’états d’âme des membres du gouvernement, tandis que les incendies qui ont ravagé le pays durant l’été 2014 se trouvent être au cœur d’un triangle amoureux pré-adolescent. Le dernier récit de ce volume opère alors un brusque retour à la réalité, où l’on trouve à la fois le plus long plan du film et le plus beau. Le pari fou du film, écrit et improvisé pendant le tournage au gré des rencontres, le mélange des genres et l’impossible exhaustivité lorsque l’on traite un tel sujet ( seulement quelques nuits sont évoquées) n’empêchent pas l’émotion car le regard de Miguel Gomes est profondément humain. Son film est social et politique sans être inutilement militant ou revendicateur.

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