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Hiroshima, mon amour : un film français d'Alain Resnais , sorti en 1959

Distribution:

  • Emmanuelle Riva : Elle
  • Eiji Okada : Lui
  • Stella Dassas : la mère
  • Pierre Barbaud : le père
  • Bernard Fresson : le soldat allemand, premier amant

Fiche technique:

  • Titre japonais: 24 - jikan no joji
  • Titre anglais : Hiroshima, My Love
  • Réalisation : Alain Resnais
  • Scénario : Marguerite Duras
  • Musique : Georges Delerue
    Giovanni Fusco
  • Date de sortie : 1959
  • Genre : drame historique
  • Durée : 90 minutes
  • Noir et Blanc
  • Production : Argos Films [fr]
    Como Films [fr]
    Daiei Studios [jp]
    Pathé Entertainment
  • Images : Michio Takahashi
    Sacha Vierny
  • Montage : Jasmine Chasney
    Henri Colpi
    Anne Sarraute

Voir Synopsis détaillé

Une actrice française tourne un film pacifiste au Japon, elle a une brève liaison avec un architecte japonais, ils parlent, dans une chambre d’hôtel, dans un bar, dans la nuit. Elle parle d’elle, petite fille de Nevers qui a un jour, dans la France occupée, aimé un soldat allemand. Elle parle d’elle, douloureuse, radieuse, terrifiée, apaisée.

Ce sont quelques heures de la vie d'un couple précaire, à Hiroshima, au mois d'août 1957. Elle, une actrice française d'une trentaine d'années, est venue jouer dans un film international sur la paix; lui, marié, est un architecte japonais. ils s'aiment, librement, dans la chambre d'hôtel de la jeune femme. Le souvenir des « dix mille soleils » d'Hiroshima - une ville entière soulevée de terre et réduite en cendres - les hante. Cette ville qui fut le théâtre de l'extrême horreur est faite à présent à la taille de l'amour.
Où était-elle, la petite Française, quand la bombe explosa sur Hiroshima? À Nevers, où elle vécut un amour de jeunesse qui la bouleversa profondément. Maîtresse d'un soldat allemand qui fut tué à la Libération, elle fut tondue par la foule et enfermée dans une cave par ses parents morts de honte. Le souvenir de ce drame reflue à sa mémoire. Le Japonais l'écoute.

Ce film, comme Nuit et Brouillard, participe du devoir de mémoire et rappelle, même si cela peut paraître dérisoire par rapport aux souffrances des blessés d'Hiroshima, l'injustice qui a frappé, à la libération de Nevers, le soldat allemand, tué et la française, tondue, pour avoir été coupable d'amour.

Dès les premières images, une empreinte fossilisée, des corps nus enlacés émergeant d'un bain de cendres , dès les premières phrases, s'élevant en voix off sur le ton de la psalmodie ( Tu n'as rien vu à Hiroshima... ), nous baignons dans un climat envoûtant, mélange de douleur et de douceur, qui non seulement se maintiendra tout au long du film, mais imprégnera l'oeuvre entière d'Alain Resnais : il se caractérise par l'interpénétration de l'amour et de la mort, avec en filigrane le poids du souvenir.
C'est comme si toute la souffrance du monde se trouvait confrontée à l'éphémère du sentiment, et au traumatisme de la mémoire : mémoire individuelle et mémoire collective, indissolublement liées.

Dans la scène centrale du café au bord du fleuve, elle identifie dans son récit son amour interdit de l'occupation et son amant japonais d'une nuit, pour revivre (une dernière fois?) les joies et les malheurs de ses vingt ans.
A travers trois thèmes, les victimes de la bombe atomique, les injustices de la libération et cet amour bref et sans lendemain, Resnais pose avec acuité les questions de la mémoire et de l'oubli, à la fois sur le plan collectif et individuel.
Resnais réussit pour son premier long mètrage un film sublime, à la fois poème d'amour et de mort, évocation de la première bombe atomique lancée sur la ville et appel à la réconciliation des peuples.

Le style lyrique et emphatique de Marguerite Duras, auteur du texte contraste volontairement avec les images en noir et blanc, séches, quelquefois presque abstraites, qui mêle fragments documentaires, scènes audacieuses intimes et érotiques, présentant cendre et sueur. Le film anticipe les débats d'aujourd'hui sur la représentation de l'irreprésentable. Le tournage d'un film où des personnages grimés sont les victimes de la bombe tout comme les plans documentaires de la ville dénoncent le caractère dérisoire de toute reconstitution de la tragédie de 1945. La phrase désormais célèbre de son amant japonais « Non, tu n'as rien vu à Hiroshima » n'a pas d'autre sens : ce qu'elle a vu est sans commune mesure avec l'événement lui-même. De son côté, l'héroïne justifie la nécessité de l'oubli : « Si l'on n'oubliait pas, le monde deviendrait irrespirable. »

Resnais, en cinéaste dialectique et didactique, opère par chocs d'images hétérogènes, expérimente audacieusement avec le son et suscite l'intérêt du spectateur pour la narration elle-même plus encore que pour l'histoire et les personnages. Son approche nouvelle de la fonction psychique permet ainsi au cinéma de rejoindre les explorations les plus avancées du roman contemporain du tournage du film.

Citation:
On raconte souvent qu’un amour chasse l’autre. Or ici, dans des circonstances exceptionnelles, l’amour se nourrit d’un nouvel amour. Ainsi la jeune femme retrouve, après quatorze ans, la sensation de son premier amour et identifie le Japonais a l’homme qu’elle a aimé.
Alain Resnais, Le Monde, 10/11 mai 1959

Synopsis détaillé ( Marguerite Duras)

Nous sommes dans l'été 1957, en août, à Hiroshima.

Une femme française, d'une trentaine d'années, est dans cette ville. Elle y est venue pour jouer dans un film sur la Paix.

L'histoire commence la veille du retour en France de cette Française. Le film dans lequel elle joue est en effet terminé. Il n'en reste qu'une séquence à tourner.
C'est la veille de son retour en France que cette Française, qui ne sera jamais nommée dans le film - Elle,  cette femme anonyme - rencontrera un Japonais (ingénieur, ou architecte) et qu'ils auront ensemble une histoire d'amour très courte.

Les conditions de leur rencontre ne seront pas éclaircies dans le film. Car ce n'est pas là la question. On se rencontre partout dans le monde. Ce qui importe, c'est ce qui s'ensuit de ces rencontres quotidiennes.

Ce couple de fortune, on ne le voit pas au début du film. Ni elle. Ni lui. On voit en leur lieu et place des corps mutilés - à hauteur de la tête et des hanches - remuants - en proie soit à l'amour, soit à l'agonie - et recouverts successivement des cendres, des rosées, de la mort atomique - et des sueurs de l'amour accompli.

Ce n'est que peu à peu que de ces corps informes, anonymes, sortiront leurs corps à eux.
Ils sont couchés dans une chambre d'hôtel. Ils sont nus. Corps lisses. Intacts.

De quoi parlent-ils? justement de Hiroshima.
Elle lui dit qu'elle a tout vu à Hiroshima. On voit ce qu'elle a vu. C'est horrible. Cependant que sa voix à lui, négatrice, taxera les images de mensongères et qu'il répétera, impersonnel, insupportable, qu'elle n'a rien vu à Hiroshima.

Leur premier propos sera donc allégorique. Ce sera, en somme, un propos d'opéra. Impossible de parler de Hiroshima. Tout ce qu'on peut faire c'est de parler de l'impossibilité de parler de Hiroshima. La connaissance de Hiroshima étant a priori posée comme un leurre exemplaire de l'esprit.

Ce début, ce défilé officiel des horreurs déjà célébrées de Hiroshima, évoqué dans un lit d'hôtel, cette évocation sacrilège, est volontaire. On peut parler de Hiroshima partout, même dans un lit d'hôtel, au cours d'amours de rencontre, d'amours adultères. Les deux corps des héros, réellement épris, nous le rappelleront. Ce qui est vraiment sacrilège, si sacrilège il y a, c'est Hiroshima même. Ce n'est pas la peine d'être hypocrite et de déplacer la question.

Si peu qu'on lui ait montré du Monument Hiroshima, ces misérables vestiges d'un Monument de Vide, le spectateur devrait sortir de cette évocation nettoyé de bien des préjugés et prêt à tout accepter de ce qu'on va lui dire de nos deux héros.

Les voici, justement, revenus à leur propre histoire.
Histoire banale, histoire qui arrive chaque jour, des milliers de fois. Le japonais est marié, il a des enfants. La Française l'est aussi et elle a également deux enfants. Ils vivent une aventure d'une nuit.

Mais où? A Hiroshima.

Cette étreinte, si banale, si quotidienne, a lieu dans la ville du monde où elle est le plus difficile à imaginer : Hiroshima. Rien n'est « donné » à Hiroshima. Un halo particulier y auréole chaque geste, chaque parole, d'un sens supplémentaire à leur sens littéral. Et c'est là un des desseins majeurs du film, en finir avec la description de l'horreur par l'horreur, car cela a été fait par les Japonais eux-mêmes, mais faire renaître cette horreur de ces cendres en la faisant s'inscrire en un amour qui sera forcément particulier et «émerveillant ». Et auquel on croira davantage que s'il s'était produit partout ailleurs dans le monde, dans un endroit que la mort n'a pas conservé.

Entre deux êtres géographiquement, philosophiquement, historiquement, économiquement, racialement, etc., éloignés le plus qu'il est possible de l'être, Hiroshima sera le terrain commun (le seul au monde peut-être?) où les données universelles de l'érotisme, de l'amour, et du malheur apparaîtront sous une lumière implacable. Partout ailleurs qu'à Hiroshima, l'artifice est de mise. A Hiroshima, il ne peut pas exister sous peine, encore, d'être nié.

En s'endormant, ils parleront encore de Hiroshima. Différemment. Dans le désir et peut-être à leur insu, dans l'amour naissant.
Leurs conversations porteront à la fois sur eux-mêmes et sur Hiroshima. Et leurs propos seront mélangés, mêlés de telle façon, dès lors, après l'opéra de Hiroshima - qu'ils seront indiscernables les uns des autres.

Toujours leur histoire personnelle, aussi courte soit-elle, l'emportera sur Hiroshima.

Si cette condition n'était pas tenue, ce film, encore une fois, ne serait qu'un film de commande de plus, sans aucun intérêt sauf celui d'un documentaire romancé. Si cette condition est tenue, on aboutira à une espèce de faux documentaire qui sera bien plus probant de la leçon de Hiroshima qu'un documentaire de commande.

Ils se réveilleront. Et reparleront, tandis qu'elle s'habille. De chose et d'autre et aussi de Hiroshima. Pourquoi pas? C'est bien naturel. Nous sommes à Hiroshima.
Et elle apparaît tout à coup, complètement habillée en infirmière de la Croix-Rouge.

Dans ce costume, qui est en somme l'uniforme de la vertu officielle, il la désirera de nouveau. Il voudra la revoir. Il est comme tout le monde comme tous les hommes, exactement, et il y a dans ce déguisement un facteur érotique commun à tous les hommes. Éternelle infirmière d'une guerre éternelle ...

Pourquoi, alors qu'elle aussi le désire, ne veut-elle pas le revoir? Elle n'en donne pas de raisons claires.
Au réveil, ils parleront aussi de son passé à elle.

Que s'est-il passé à Nevers, dans sa ville natale, dans cette Nièvre où elle a été élevée? Que s'est-il passé dans sa vie pour qu'elle soit ainsi, si libre et traquée à la fois, si honnête et si malhonnête à la fois, si équivoque et si claire? Si désireuse de vivre des amours de rencontre? Si lâche devant l'amour?

Un jour, lui dit-elle, un jour à Nevers, elle a été folle. Folle de méchanceté. Elle le dit, comme elle dirait qu'une fois, à Nevers, elle a connu une intelligence décisive. De la même façon.

Si cet «incident » de Nevers explique sa conduite actuelle à Hiroshima, elle n'en dit rien. Elle raconte l'incident de Nevers Comme autre chose. Sans en dire la cause.
Elle s'en va. Elle a décidé de ne pas le revoir.
Mais ils se reverront.

Quatre heures de l'après-midi. Place de la Paix à Hiroshima (ou devant l'hôpital).
Des cameramen s'éloignent On vient de tourner un film édifiant sur la Paix. Pas un film ridicule du tout, mais un film de plus, c'est tout.

Un homme japonais passe dans la foule qui côtoie une fois de plus le décor du film qu'on vient de terminer. Cet homme est celui que nous avons vu le matin dans la chambre. Il voit la Française, s'arrête, va vers elle, la regarde dormir. Son regard à lui la réveille. Ils se regardent. Ils se désirent beaucoup. Il n'est pas là par hasard. Il est venu pour la revoir encore.

Le défilé aura lieu presque immédiatement après leur rencontre. C'est la dernière séquence du film qu'on tourne là. Défilés d'enfants, défilés d'étudiants. Chiens. Chats. Badauds. Tout Hiroshima sera là comme il l'est toujours lorsqu'il s'agit de servir la Paix dans le monde. Défilé déjà baroque.

La chaleur sera très grande. Le ciel sera menaçant. Ils attendront que passe le défilé. C'est pendant celui-ci, que lui, lui dira qu'il croit qu'il l'aime.
Il l'emmènera chez lui. Ils parleront très brièvement de leur existence respective.

Ce sont des gens heureux dans le mariage et qui ne cherchent ensemble aucune contrepartie à une infortune conjugale.
C'est chez lui, et pendant l'amour, qu'elle commencera à lui parler de Nevers.
Elle fuira encore de chez lui. Ils iront dans un café, sur le fleuve pour « tuer le temps avant son départ ». La nuit déjà.

Ils resteront là encore quelques heures. Leur amour augmentera en raison inverse du temps qu'il leur restera avant le départ de l'avion le lendemain matin.
C'est dans ce café qu'elle lui dira pourquoi elle a été folle à Nevers.
Elle a été tondue à Nevers, en 1944, à vingt ans. Son premier amant était un Allemand. Tué à la Libération.
Elle est restée dans une cave, tondue, à Nevers. C’est  seulement lorsque  Hiroshima est arrivé qu'elle a été assez décente pour sortir de cette cave et se mêler à la foule en liesse des rues.

Pourquoi avoir choisi ce malheur personnel? Sans doute parce qu'il est également, lui-même, un absolu. Tondre une fille parce qu'elle a aimé d'amour un ennemi officiel de son pays, est un absolu et d'horreur et de bêtise.

On verra Nevers, comme dans la chambre, on l'a déjà vu. Et ils reparleront encore d'eux-mêmes. Imbrication encore une fois de Nevers, -et de l'amour, de Hiroshima et de l'amour. Tout se mélangera sans principe préconçu et de la façon dont ce mélange doit se faire chaque jour, partout, où sont les couples bavards du premier amour.
Elle partira encore de là. Elle le fuira encore.

Elle essaiera de rentrer à l'hôtel, d'assagir son humeur, n'y arrivera pas, ressortira de l'hôtel et retournera vers le café qui, alors, sera fermé. Et restera là. Se souviendra de Nevers (monologue intérieur), donc de l'amour même.
L'homme l'a suivie. Elle s'en aperçoit. Elle le regarde. Ils se regardent, dans l'amour le plus grand. Amour sans emploi, égorgé comme celui de Nevers. Donc relégué déjà dans l'oubli. Donc perpétuel. (Sauvegardé par l'oubli même.)

Elle ne le rejoindra pas.
Elle traînera à travers la ville. Et lui la suivra comme il suivrait une inconnue. A un moment donné, il l'abordera et il lui demandera de rester à Hiroshima, comme dans un aparté. Elle dira non. Refus de tout le monde. Lâcheté commune

Les jeux sont faits, vraiment, pour eux.
Il n'insistera pas.
Elle traînera à la gare. Lui la rejoindra. Ils se regarderont comme des ombres.
Plus un mot à se dire à partir de là. L'imminence du départ les cloue dans un silence funèbre.

Il s'agit bien d'amour. Ils ne peuvent plus que se taire. Une scène extrême aura lieu dans un café. On l'y retrouvera en compagnie d'un autre japonais.
Et à une table on retrouvera celui qu'elle aime, complètement immobile, sans aucune réaction que celle d'un désespoir librement consenti, mais qui le dépasse physiquement. C'est déjà comme si elle était à « d'autres », Et lui ne peut que le comprendre.

A l'aurore, elle rentrera dans sa chambre. Lui, frapper& à la porte quelques minutes après. Il n'aura pas pu éviter cela. « Impossible d'éviter de venir », s'excusera-t-il.
Et dans la chambre rien n'aura lieu. Ils en seront réduits l'un et l'autre à une impuissance mutuelle terrifiante. La chambre « l'ordre du monde », restera, autour d'eux qu'ils ne dérangeront plus jamais.

Pas d'aveux échangés. Plus un geste.
Simplement, ils s'appelleront encore. Quoi? Nevers, Hiroshima. Ils ne sont en effet encore personne à leurs yeux respectifs. Ils ont des noms de lieu, des noms qui n'en sont pas. C'est, comme si le désastre d'une femme tondue à Nevers et le désastre de Hiroshima se répondaient EXACTEMENT.

Elle lui dira : « Hiroshima, c'est ton nom. »

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