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L'Enterrement du soleil Taiyo no hakaba) , film japonais de Nagisa Oshima, sorti en 1960

Distribution:

  • Masahiko Tsugawa : Shin, le chef du gang
  • Kayoko Honoo : Hanako
  • Isao Sasaki : Takeshi le nouveau membre du gang
  • Fumio Watanabe : Yosehei
  • Kamatari Fujiwara : Batasuke
  • Tanie Kitabayashi : Chika, la femme de Batasuke
  • Junzaburo Ban : Yotsematsu, le père d'Hanako
  • Jun Hamamura : Goro Murata

Fiche technique:

  • Titre original :  太陽の墓場 Taiyo no hakaba
  • Titre anglais : Sun's Burial
  • Réalisation :Nagisa Oshima
  • Scénario : Nagisa Oshima et Toshirô Ishido
  • Production : Tomio Ikeda
  • Société de production : Shôchiku
  • Musique : Riichiro Manabe
  • Photographie : Takashi Kawamata
  • Montage : Keiichi Uraoka
  • Durée : 87 minutes
  • Date de sortie : 9 août 1960

Un jeune homme un peu timide accepte de rejoindre un gang local, pensant sans doute se faire un nom et avoir enfin une utilité. Mais son attitude est bien trop différente des autres voyous pour que son intégration se fasse parfaitement car à l’inverse des autres, il se montre sensible et humain. Il donne le sentiment d’être coincé dans un milieu qu’il avait surestimé et qui ne souhaite pas le laisser s’échapper autrement que dans la mort. L’espoir cède la place à la désillusion et le jeune homme commence à errer, à se lasser d’une vie qui a trop vite dévoilée ses limites et restrictions. Dans cet état d’esprit, il ne peut apprendre qu’à devenir indifférent afin de créer une distance entre ce quotidien bâtard et ses pensées personnelles.

Quoiqu’il fasse, il est avalé par ce monde, contraint de tuer même si cela peut lui poser un problème moral, nous assistons à sa descente infernale, le jeune homme est impuissant et ne fait que de s’enfermer chaque minute un peu plus dans une impasse meurtrière où les rêves sont désormais tâchés par le sang d’une victime innocente. Difficile alors de le réprimander pour oser chantonner une de ces chansons respirant la nostalgie, un bref rappel de ce que pouvait être l’innocence quand cela désignait encore quelque chose. Même si un chant pareil peut énerver les autres jeunes hommes, ils doivent se résoudre à accepter cette réalité dégueulasse, prendre conscience de cette fin d’une certaine innocence débouchant sur le néant absolu.

Tourné dans un quartier délabré de la banlieue d’Osaka, le film dépeint la vie de jeunes habitants du quartier : Tatsu et Takeshi, enrôlés dans le gang d’un parrain local, Shin, et Hanako, jeune fille qui offre de son temps aux plus misérables de la ville. Pessimiste pour les uns, réaliste pour les autres, Nagisa Oshima n’épargne pas, à travers son oeuvre magistrale de jeunesse, cette société japonaise dont il filme l’envers du décor, ces quartiers pauvres peuplés par des travailleurs, mendiants et autres anciens soldats rêveurs où l’on peut aussi croiser une jeunesse défaite de ses espoirs qui se morfond dans les arnaques diverses, se contentant d’essayer de survivre dans ces lieux marginalisés d’un pays pourtant sur le chemin de l’explosion économique. Trafic d’états-civils, banque du sang, immense réseau crapuleux, vols et arnaques minables, à la mesure du dénuement matériel et psychologique des individus, rythment le quotidien d’une jeunesse des bas-fonds ; tandis que la prostitution et l’abus de l’ignorance des pauvres travailleurs deviennent monnaie courante.

En 1960, à la symbolique du Soleil Levant triomphant, Nagisa Oshima oppose un soleil couchant rendant assez explicite son intention de retourner la gloire du pays pour s’intéresser à une réalité ignorée : loin des images idylliques renvoyant à la tranquillité économique et au bonheur assuré par le progrès moderne, il oppose une vision d'un environnement désespérant, suintant à chaque image le pessimisme d'une population pauvre sans avenir, prisonnière d’une situation trop misérable pour espérer évoluer.

La jeunesse doit se satisfaire de cette réalité et apprendre à contourner les règles dans la violence et le mensonge, quand le pays n’a plus rien à offrir à sa jeunesse, ni place, ni repères, ni futur, il ne reste plus chez elle que le désir d’essayer d’appartenir à un groupe quel qu’il soit, et en général les gangs yakuzas ont toujours bonne réputation. La naïveté et l’innocence se retrouvent impliquer dans des histoires de meurtres, de prostitution et de soumission au gang qui l’empêchent de goûter à une véritable liberté, il en devient pour elle impensable d’espérer vivre un amour de jeunesse.

De cette vision, la jeunesse apparaît comme brisée, pensant avant tout à organiser sa survie au lieu de consumer son présent dans l’innocence et la folie qu’on peut lui connaître. En tout cas, chez cette jeunesse on ne ressent jamais d’ambitions particulières ou de rêves quelconques, ces individus sont trop ancrés dans une réalité noire où l’avenir ne représente rien. D’ailleurs, cette mentalité devient un cercle vicieux qui se propage à travers tous les jeunes esprits, réduisant la naïveté à l’humble statut de souvenir, il ne semble pas y avoir de sortie optimiste pour ces personnes.

La mélancolique musique du désenchantement vient accompagner les travailleurs fatigués après leur difficile journée vers le piège intéressant d’une jeunesse qui en échange d’un peu d’argent se propose de pomper leur sang, d’aspirer les débris d’espoir des oubliés de la Nation. Fidèle à lui-même Nagisa Oshima n’épargne toujours pas cette société japonaise dont il filme l’envers du décor, ces quartiers pauvres peuplés par des travailleurs, mendiants et autres anciens soldats rêveurs où l’on peut aussi croiser une jeunesse défaite de ses espoirs qui se morfond dans les arnaques diverses, se contenant comme tout les autres d’essayer de survivre dans ces endroits marginalisés d’un pays pourtant sur le chemin de l’explosion économique.

La jeune désenchantée n’est pas la seule à pouvoir s’exprimer durant le film, on retrouve aussi la génération d’avant, ces individus qui ont vécu l’avant-guerre et le désastre de la défaite et qui aujourd’hui n’ont toujours pas pu se faire une place dans cette société reconstruire, réduits à l’état de pauvre renégat errant dans la misère d’un bas-fond oublié de tous. Pour une forte majorité, il n’y a qu’un travail difficile assurant un peu d’argent pour vivre ou pour aller boire et se soûler un bon coup. Pour d’autres, il y a le refus d’une exploitation et l’envie de trouver un bon filon histoire d’être son propre patron et de se faire beaucoup d’argent, le commerce du sang ou des papiers d’identités marche très bien, dans le premier cas il suffit juste de trouver le médecin ensuite il ne reste plus qu’à séduire les travailleurs rentrant chez eux. Après avoir dépensé leur force physique au travail, ils échangent leur sang contre de l’argent, manière de se vider définitivement au profit de la seule importance, la survie. Du côté des arnaqueurs libres, il n’y a pas non plus la crème de la crème, les hommes demeurent des misérables.

On y croise par exemple un mendiant docteur, un ancien soldat complètement endoctriné ou un revendeur d’ordures. Et c’est le patriote qui va réussir à diriger les opérations à coup de discours sur la grandeur du pays, il semble oublier volontairement la défaite pour mieux faire rêver les autres qui pourtant pataugent dans l’immonde ombre d’une soit-disante grandeur. Comme quoi les mentalités peinent à évoluer, l’image d’une Patrie forte et puissante trouve toujours un certain public, l’endoctrinement est sans fin tant qu’il offre aux gens de quoi rêver. L’ancien soldat sait manipuler, volontairement ou non, l’actualité internationale et en jouer habilement, exploitant finalement la Guerre Froide et la peur d’une attaque des Soviétiques au pays du Soleil Couchant.

La mégapole est la toile de fond du pessisime réaliste de Nagisa Oshima, et la nuit tombée, c’est celle des nombreux logos qui l'illuminent et s’imposent sur les individus, créant un effet visuel presque fantasmagorique tant ce fond urbain parait difforme et est tacheté de mille lumières aux couleurs variées. Inévitablement, Oshima fait ressortir ses personnages d’un environnement spécifique, l’homme est une constante de ses cadres, son intérêt principal.

Histoire cruelle d’une société sans repères, Nagisa Oshima fait de ce Japon l’incarnation de la terre du désenchantement, un endroit morbide où les individus survivent en silence. La musique du film, une mélancolique balade, n’est pas sans rappeler ses atmosphères sinistres où l’illusion part en poussière, laissant les personnages livrés à eux-mêmes, face au néant d’une situation dramatique prête à exploser. Le Soleil continue son cycle avec indifférence, niant la violente part d’ombre qu’il inflige à certains individus dans son magnifique rayonnement universel.

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