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Chacun à son poste et rien ne va ( Tutto a posto e niente in ordine ) film italien de Lina Wertmüller, sorti en 1974

Distribution:

  • Luigi Diberti: Gino
  • Eros Pagni
  • Giuliana Calandra: Biki
  • Nino Bergamini: Carletto
  • Lina Polito: Mariuccia
  • Claudio Volonté
  • Sara Rapisarda: Adelina
  • Aldo Puglisi
  • Lorenzo Piani
  • Cesare Gelli
  • Loredana Martinez
  • Isa Danieli: Isotta
  • Carla Mancini
  • Paola Maiolini

Fiche technique:

  • Titre original : Tutto a posto e niente in ordine
  • Réalisation : Lina Wertmüller
  • Scénario : Lina Wertmüller
  • Photographie : Giuseppe Rotundo
  • Montage : Franco Fraticelli
  • Musique : Piero Piccioni
  • Production : Euro International Films Senatore Durée : 74 minutes
  • Date de sortie : 21 février 1974

Un groupe de jeunes Italiens du Sud, riches de leurs seuls rêves de fortune, vient s'installer à Milan. Adelina, Carletto, Gigi, Isotta, Sante et Mariuccia cherchent à s'intégrer dans la mégapole avec l'enthousiasme et la force de ceux qui n'ont rien à perdre. Mais leurs rêves ne vont pas tarder à se confronter à la cruauté de la grande ville et de la vie moderne. Pour raconter les premiers instants de la course à la réussite de Gigi, Carletto et Adelina, le film use d’une grammaire visuelle identique à celle de Mimi métallo... , notamment parce que la caméra de Lina Wertmüller parcourt une échelle des plans aussi large, alternent ainsi durant le début du film des plans généraux, dépeignant nos trois Méridionaux comme noyés dans la foule ou dans la circulation automobile de Milan, et des très gros plans sur les visages de ces mêmes personnages, emplissant tout l’écran de leur effarement ou de leur fascination face au tumulte de la métropole lombarde.

Le film s’appuie sur des interprètes aux trognes baroques, que ces visages soient naturellement "atypiques" ou rendus grotesques par le maquillage. Lina Wertmüller offre une interprétation hypertrophiée de la comédie italienne s’observant, par ailleurs, à propos des dialogues. Les premiers échanges entre les personnages sont en effet étincelants et tonitruants , générant souvent d’irrésistibles moments comiques. Mais par la suite le film continue à travailler de manière pareillement décomplexée le registre de l'hyper-bouffonnerie, la réalisation emprunte aussi d’autres voies. On découvre ainsi une veine documentaire venant contraster avec la théâtralité assumée des séquences drolatiques. Extrêmement mobile, la caméra de Lina Wertmüller semble voler d’un lieu à un autre de Milan, photographiant ici avec une attention presque ethnologique des murs ornés de graffitis politiques, enregistrant là de manière hyper détaillée la réalité du travail dans les abattoirs ou dans les halles de la ville. Participent encore de cet état des lieux sur le réel urbain italien des années 70 ces plans consacrés aux grands ensembles jaillissant alors à la périphérie de Milan.

Faisant cohabiter l’artificiel et le véridique, Lina Wertmüller met en présence des éléments antithétiques en combinant comique et tragique. Cette tendance tragique s’exprime notamment au travers du destin du couple formé par Sante, un Sicilien fraîchement débarqué à Milan, et par Mariuccia, une petite vendeuse dont il s’est épris. Cette histoire d’amour est d’abord traitée sur un mode cocasse. Lina Wertmüller tire le meilleur parti comique des difficultés de Sante à séduire Mariuccia, une blonde urbaine aux cheveux courts. Mais une fois nouée, l’idylle vire au cauchemar, bientôt marié, le couple, aussi fertile qu’ignorant des techniques de contraception, doit en effet affronter des grossesses multiples, les faisant parents de sept enfants. Épuisée par ces naissances à répétition, Mariuccia en viendra à envisager l’avortement à une date à laquelle celui-ci n’a pas encore été légalisé en Italie. Et c’est un malaise certain que provoque la séquence montrant Mariuccia se rendant clandestinement chez un médecin, s’apparentant en réalité plus à un boucher qu’à un homme de l’art. Une pareille désespérance baigne les dernières images de Sante qui, après s’être tué à la tâche pour nourrir sa très nombreuse famille, ne trouvera d’autre solution que de se vendre à un groupe fasciste, devenant malgré lui un acteur de la stratégie de la tension ravageant alors l’Italie.

Lina Wertmüller compose un spectacle cinématographique à la fois bigarré et maîtrisé. La fiction la plus ostensible y côtoie la captation documentaire. De même que le rire y devient souvent grinçant pour, finalement, laisser place à une réelle tristesse. Lina Wertmüller confère une force accrue au propos politique et polémique. Elle pratique une virulente dénonciation de toutes les formes de domination alors en vigueur en Italie. Que celles-ci soient économique, le monde du travail est montré comme un espace totalement soumis à la loi d’airain du capitalisme ou politique, l’Italie d’alors semble gangrenée par un fascisme ne prenant même pas la peine de se dissimuler. De plus, comme toujours chez Lina Wertmüller, la dimension féministe est forte, avec la dénonciation de l’interdiction de l’avortement, du viol, et de la prostitution, balayant ainsi les principaux symptômes de la domination masculine.

Mais le film ne se réduit pas pour autant à une exaltation hagiographique du petit peuple en proie à l’oligarchie triomphante. C’est en effet par un double constat d’échec que se clôt Chacun à son poste… Le film enregistre lors de sa séquence finale tant l’impuissance de ses personnages prolétaires à s’émanciper que leur part, relative, de responsabilité personnelle dans cette défaite. Ni Gigi, ni Carletto, ni Adelina, ainsi que la plupart des figures secondaires qui les entourent, n’auront réussi à se départir suffisamment de leur individualisme. Celui-ci trouve notamment à s’exprimer au travers d’un consumérisme allant crescendo au fil du film. Et c’est cet égoïsme qui constitue, en réalité, l’obstacle majeur contre lequel viennent se briser la plupart des entreprises d’émancipation collective narrées par Lina Wertmüller.

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