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Vera Drake, film anglais de Mike Leigh, sorti en 2004

Distribution:

  • Imelda Staunton : Vera
  • Richard Graham : George
  • Eddie Marsan : Reg
  • Anna Keaveney : Nellie
  • Alex Kelly : Ethel
  • Daniel Mays : Sid
  • Philip Davis : Stan

Fiche technique:

  • Titre original :Vera Drake
  • Réalisation et scénario : Mike Leigh
  • Image : Dick Pope
  • Montage : Jim Clark
  • Musique originale: Andrew Dickinson
  • Production : Simon Channing-Williams, Thin Man Films et Les Films Alain Sarde
  • Durée : 135 min
  • Dates de Sortie: 6 septembre 2004 (Venise)
    9 février 2005 (France)

Récompenses:Lion d'Or et prix d'interprétaion féminine pour Imelda Staunton (Venise 2004) + des dizaines de prix dans le monde

Au début du film et pour de longues minutes, le spectateur suit le parcours quotidien et actif, souriant et chaleureux d'une simple ouvrière. Elle se nomme Vera Drake et a déjà un certain âge. Après son travail à l'usine d'ampoules, Vera ne part pas chez elle se reposer. Elle passe de maison en maison rendre service : ici à un malade, là à un autre à qui elle va préparer une tasse de thé qui réchauffera le corps et l'âme ; à sa vieille mère qui ne quitte quasiment plus son lit ; et puis elle part faire des ménages dans des foyers très bourgeois où elle astique et fait briller les cuivres et dorures des cheminées.

A la maison, Vera prépare le dîner pour sa petite famille. Quand Vera croise un voisin dans le besoin ou qui ne mange pas à sa faim tel le timide Reg, elle l'invite à partager le repas familial. Vera Drake ne cherche pas à faire le Bien, elle n'est pas une sainte. Mais elle possède au fond d'elle-même un don naturel : celui de l'entraide, de la solidarité. Nous sommes au début des années 1950, dans l'Angleterre victorieuse mais détruite et en pleine reconstruction. Les privations sont encore immenses chez les classes populaires où l'on survit souvent grâce au marché noir. L'ombre de la guerre et il faut ajouter aux 6 années contre l'Allemagne nazie celles de Corée, a laissé des traces et surtout des absences, autant de morts, mères, pères, frères, amis. Alors, parmi tant de malheurs et de difficultés, le réflexe solidaire paraît tout naturel à Vera qui ne se pose même pas la question.

De la même manière, elle aide depuis des années des jeunes filles ou jeunes femmes en difficulté. Il faut être clair: elle pratique l'avortement clandestin. Une amie, Lily, sorte de négatif de Vera, procure les contacts. Ce que Vera ignore est que Lily touche de l'argent. Jamais il ne lui viendrait à elle l'idée de demander quoi que ce soit. Elle fait ça pour aider, uniquement pour aider. Et toujours avec le sourire. Et plus elle voit le désespoir de ces filles, leur peur, leur souffrance, plus elle leur sourit et plus elle est convaincue d'agir normalement. Il faut bien que quelqu'un les aide.

La fille de ses employeurs bourgeois, abusée par son petit ami, se retrouve elle aussi enceinte. Mais si le drame personnel des jeunes femmes aux grossesses non désirées est le même quelque soit la classe sociale à laquelle elles appartiennent, la solution au problème n'est pas identique. Il faut noter l'intelligence et la finesse de Mike Leigh qui évite toute sorte de manichéisme. Celles qui ont de l'argent peuvent contourner la Loi criminelle datant de près d'un siècle (1861) et, via le certificat d'un psychiatre, se faire avorter en toute légalité dans une clinique officielle avec tout confort. Pour les démunies, les ouvrières ou immigrées, ne restent que les avorteuses clandestines. Dans son genre, Vera Drake est un modèle du genre. Elle fait ça le moins mal possible : Solution savonneuse et poire à lavement là où d'autres pratiquent à coups d'aiguilles à tricoter. En dehors de Lily, personne ne connaît le secret de cette Vera au coeur d'or. Mais voilà qu'un jour une intervention tourne mal. La police remonte la filière. En pleine fête familiale, les fiançailles de Ethel, Vera se fait arrêter. Vera Drake tombe de haut, ne comprend pas. Elle n'a fait qu'aider.

La première qualité du film (Lion d'Or et prix d'interprétation à Venise) est son refus de toute démonstration, de tout discours militant asséné. Mike Leigh se contente de nous montrer une situation, des personnages, au plus près de la réalité de l'époque sans porter de jugement, même si l'on devine bien vers où se dirige sa sympathie. Il a évité l'écueil de sombrer dans le misérabilisme dans une œuvre qui reste puissante de bout en bout.

Moins aimable que le lumineux Secrets et Mensonges, plus linéaire que le saisissant All or Nothing (2002), le film impressionne cependant par son impact et sa simplicité. Le film est très nettement divisé en deux parties. La première a pour tâche de nous exposer la façon dont Vera fonctionne et comment elle est perçue par son entourage. Son personnage ainsi que ses conditions de vie sont également mis en perspective et comme surlignés par la peinture d'un monde bourgeois froid et aseptisé, à l'opposé de la chaleur populaire et familiale dans lequel elle évolue. Là encore, Mike Leigh frôle le cliché sans y sombrer, même si on le sent plus à l'aise en filmant le monde ouvrier. Toute cette partie bénéficie d'un travail de reconstitution absolument parfait, des décors et accessoires aux costumes en passant par une étude très approfondie des réflexes linguistiques des classes populaires.

La deuxième partie du film tranche d'avec la première par sa cassure de rythme. On oserait presque dire qu'il y a "arrêt sur image". Aux incessants va-et-vient de Vera succèdent des scènes statiques : la prison, le prétoire, l'appartement, le prétoire, la prison, on ne bouge plus, on attend dans l'anxiété et la peur, tout est figé. Au-delà des faits qui demandent une telle évolution du récit et de sa mise en scène, ce brusque changement a aussi pour effet d'illustrer le changement psychique à l'oeuvre chez Vera et ses proches. Le ciel leur est tombé sur la tête, ils sont anéantis, abasourdis, littéralement figés sur place. Et cette deuxième partie ne peut naturellement s'analyser et se comprendre qu'en regard de ce que nous avons appris dans la première, tout en permettant un nouveau regard en retour sur celle-ci.

Le film, réalisé en 2004, soit 37 ans après la libéralisation de l'avortement en Angleterre (1967) dit une évidence : si la société avait eu 17 ans d'avance et non un siècle de retard, le crime d'avorter n'aurait pas existé et Vera n'aurait pas eu besoin d'aider toutes ces jeunes femmes. Mais il pousse aussi à se souvenir que bien des pays criminalisent encore aujourd'hui cette pratique et même la contraception, privant des millions de femmes de leur liberté. Et que dans certains pays où la Loi est passée et l'interruption volontaire de grossesse autorisée, des nostalgiques de cette époque où l'obscurantisme favorisaient l'existence de ces "faiseuses d'anges" avant de les condamner, tuent sur leurs pas de porte les médecins pratiquant en toute légalité les opérations d'avortement. Ce film n'est donc pas simplement un regard en arrière sur un passé douloureux mais sonne comme un signal fort pour notre présent jamais définitivement acquis.

Si Vera Drake est une pleine réussite, il le doit aussi à l'interprétation générale de ses interprètes au premier rang desquels Imelda Staunton, justement récompensée à Venise et partout dans le monde (14 prix au total rien que pour elle et 32 au total pour le film). Sa performance, d'une justesse exceptionnelle, restera dans les mémoires et démontre le talent de Mike Leigh à tirer le meilleur d'acteurs fidèles à la tradition britannique, celle de la perfection au naturel.

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