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Histoires d'herbes flottantes (浮草物語, Ukikusa monogatari) , de Yasujiro Ozu, sorti en 1934

Distribution:

  • Takeshi Sakamoto : Kihachi
  • Chouko Iida : Otsune, Ka-yan
  • Hideo Mitsui : Shinkichi
  • Rieko Yagumo : Otaka
  • Yoshiko Tsubouchi : Otoki
  • Tomio Aoki : Tomibo
  • Reiko Tani : Le père de Tomibo

Fiche technique:

  • Titre original : 浮草物語, Ukikusa monogatari
  • Réalisation : Yasujiro Ozu
  • Scénario : Yasujiro Ozu & Tadao Ikeda
  • Photographie : Hideo Shigehara
  • Montage : Hideo Shigehara
  • Pays d'origine : Japon
  • Format : Noir et blanc, film muet
  • Durée : 89 minutes
  • Date de sortie : 23 novembre 1934 (Japon)

Une troupe de kabuki arrive dans un petit port du Sud du Japon. L'acteur principal, Komajuro, a connu une aventure des années auparavant avec une femme de l'endroit, avec laquelle il a eu un fils, Kiyoshi. La maîtresse de Komajuro découvre son secret et envoie une actrice de la troupe, Kayo, le séduire.

Ozu réalisera le remake de ce film sous le titre: "Herbes flottantes" (1959). Les deux films sont aussi remarquables l'un que l'autre. Alternant scènes de pure comédie et séquences résolument dramatiques dont la violence physique n'est pas absente, Ozu signe une œuvre d'une beauté plastique étonnante.

Il y a déjà dans ce film beaucoup d'éléments qui font la marque d'Ozu. On assiste tout d'abord à un mélange des genres, les aspects comiques, notamment lors des répétitions ou des représentations théâtrales avec les deux acteurs jouant le cheval ou le petit garçon jouant le chien, à un fond plus mélodramatique : il est étonnant de voir la colère de Kihachi s'exprimer si violemment dans un film d'Ozu, par une gifle à l'actrice, et une gifle à son fils, ce qui permet à sa maîtresse d'annoncer à son fils que Kihachi agit ainsi car il est son véritable père. Mais il faut remarquer que la première fois que le héros porte la main sur son ex-compagne, la scène est filmée avec une pudeur remarquable, les acteurs sortent du champ, la caméra reste fixe un très long moment sur le décor vide, puis on voit la jeune femme avec sa main sur sa joue.

Il y a des liens mystérieux qui se tissent entre les êtres, et que la caméra enregistre avec une douceur parfaite. C'est d'ailleurs le thème même du film, la paternité, la fidélité, aux êtres ou à ses propres convictions, et plutôt que de se livrer à de longs discours, Ozu préfère filmer ces petits gestes quotidiens qui rapprochent les êtres humains. C'est ce que suggère aussi le parallélisme des gestes chez les gens qui sont faits pour s'entendre comme la partie de pêche avec ces mouvements parfaitement synchronisés, ou le petit garçon qui pleure sans trop savoir pourquoi, juste parce quel'un des comédiens déchus pleure également ou encore ces scènes où les deux actrices (Otaka et Otoki...) sont toujours maquillées exactement de la même façon.

La tension dans toute la dernière partie du film est portée à un sommet, chaque acteur étant filmé séparement, chacun étant le receptacle d'une émotion intime profonde, et le spectateur ressent à tour de rôle les états d'âme de chacun. Le jeu des acteurs est confondant de vérité, tout comme il est amusant de les voir constamment utiliser leurs mains, pour se gratter le dos, pour agiter un éventail, dans de nombreuses scènes pour traduire différentes attitudes, la gène, l'immaturité, l'énervement.

A cette époque, Ozu est encore relativement mobile avec sa caméra, livrant un de ses montages les plus dynamiques, avec des alternances de plans larges, de plans américains, et de plans plus complexes, notamment dans les scènes nocturnes ou dans celles dans le théâtre. On a découvre aussi des contre-plongées, des travellings et des caméras qui prennent un peu de hauteur par rapport aux plans habituels du réalisateur. On remarque également une utilisation des objets qui viennent ponctuer le rythme du film comme la tirelire en forme de chat (maneki-neko) de l'enfant-acteur ou la bicyclette du fils de Kihachi qu'il délaisse peu à peu à mesure que son amour progresse.

La structure circulaire du film, on commence et on finit à la gare, montre quant à elle que l'on échappe pas à ses décisions ni à soi-même et que les choix passés de Kihachi sont inhérents à sa personnalité. Il a pensé bien faire en abandonnant son fils pour qu'il fasse des études, la carrière d'acteurs étant des plus inconsistantes, la troupe fait d'ailleurs banqueroute au cours de l'histoire. Mais il est trop tard maintenant pour vouloir faire machine arrière. Il regrette que son fils, comme lui, tombe amoureux aussi facilement d'une actrice mais il y a derrière cette remarque une pointe de fierté paternelle qui résume parfaitement le film : il ne l'a point éduqué, mais son fils restera quoi qu'il advienne son fils, ce dernier finissant même par l'accepter dans la douleur, il prononce encore deux fois le mot "oncle" avant de hocher la tête quand sa mère dit "ton père ?" .

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