La Vie domestique, film français de Isabelle Czajka, sorti en 2013 |
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Distribution :
Fiche technique:
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Lors d'un dîner, Juliette écoute
sans broncher son mari, Thomas, proviseur dans un lycée
défavorisé, répondre avec entrain aux propos
racistes, puis sexistes, de leur hôte, un chef d'entreprise qui
postule pour rééquiper son lycée en ordinateurs.
Elle le lui reproche plus tard, mais Thomas ne voit pas le
problème. Le lendemain matin, Juliette refuse les avances de
Thomas, pretextant qu'elle "n'est pas du matin", puis s'affaire
à la préparation du petit déjeuner, tandis que son
mari fait écouter de la musique aux enfants. Thomas ne semble
pas se souvenir que Juliette attend une réponse décisive
pour reprendre son travail dans l'édition. Absorbée par
ses tâches quotidiennes, Juliette croise le chemin de trois
autres femmes au foyer, confrontée chacune à son
amertume. Juliette conduit les enfants à l'école, retrouve une ancienne copine de classe, qu'elle invite, le soir même, pour un dîner entre voisins, probablement moins insupportable, mais tout aussi inutile que celui de la veille. Dans cette banlieue pavillonnaire, enclave de luxe vouée à la quiétude, toutes ces femmes habitent des pavillons lumineux, immaculés et impersonnels. Certaines, comme Betty, ont lutté pour y parvenir, d'où sa désolation de voir son beau canapé blanc souillé par les dessins au feutre indélébile du gamin insupportable d'une copine. Elle est plus touchée par ce drame dérisoire que par la mort brutale de sa grand-mère, une vieille femme appartenant à un passé et à un milieu qu'elle veut oublier. Marianne , enceinte pour la troisième fois, ose à peine se demander si la vie domestique ne l'a pas insidieusement, doucereusement ligotée. Mais elle n'hésite pas à confier à une fille au pair débarquée un quart d'heure plus tôt la charge de ramener ses deux enfants de l'école. Inspiré du roman Arlington Park de Rachel Cusk, La Vie domestique plonge dans la psyché d’un groupe de femmes au foyer dans une banlieue résidentielle. L’intrigue britannique de l’œuvre originale a été déplacée à Lésigny, en Seine-et-Marne. Sur ces bourgeoises un peu vaines, Isabelle Czajka pose un regard souvent féroce, mais toujours complice : elle n'en fait pas les figurines d'un soap opera à la Desperate Housewives, mais des êtres à la Virginia Woolf, cernés par l'inconsistance et leur inutilité. Tout se joue en une seconde, en fait, et nul ne s'en aperçoit vraiment. Dans un de ces dîners qu'on se maudit d'avoir acceptés, Juliette entend son mari approuver les propos réactionnaires de leur hôte. Elle l'observe, poli et gêné, sourire à ce macho débile et, même si elle ne le sait pas encore, le mépris l'envahit. Celui décrit par Alberto Moravia dans un de ses romans et filmé par Jean-Luc Godard : un sentiment poisseux et inconfortable, tapi, insoupçonnable, au fond de son inconscient. C'est ce que réussit à distiller Emmanuelle Devos d'un regard, d'un souffle, d'une intonation de voix : la découverte par son personnage de ce vide. Il chemine, tandis qu'elle fait ses courses pour le repas du soir, qu'elle songe à une entrevue avec la responsable d'une maison d'édition, promesse d'un travail qui la valoriserait, la sauverait. Ou qu'elle écoute soliloquer sa mère en crise, époustouflant numéro de Marie-Christine Barrault, toujours vive. En elle, tout se craquelle. Autour d'elle, aussi. Ainsi, le quartier, apparemment si sûr, ne l'est plus : une disparition d'enfant, puis la découverte du petit cadavre dans l'étang, et la preuve du meurtre qui vient d'y être commis, et les mères de famille éloignent vite leurs enfants du lieu du crime pour leur éviter les mauvais rêves. Cette réalité qui s'infiltre, la réalisatrice la filme en plans soyeux, presque fantastiques, que la musique d'Eric Neveux parvient à rendre inquiétants. Dans ce drame, Juliette est encore seule, puisqu'elle seule connait la jeune mère meurtrière, à qui elle donnait des cours de soutien en français. Tous les autres, son mari en tête, n'ont rien à faire de ce drame. Le film décrit Vingt-quatre heures de la vie d'une femme, au bout desquelles on quitte Juliette en équilibre instable : pas encore ailleurs, mais plus vraiment là. Indifférente, en tout cas, à ce que son mari pourrait lui ordonner, à ce qu'il attend d'elle. Elle semble encore immobile, elle est déjà libre, même si cette liberté ne se concrétise pour l'instant que par le fait qu'elle refuse d'aller au lit, pour "fumer une dernière cigarette". |