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Le film retrace les quelques semaines que passe une jeune femme au chevet de son mari, inconscient parce que blessé à la nuque par une balle. L'histoire se passe dans une ville en proie à la guerre civile, qui pourrait être Kaboul. Livrée à elle-même dans un univers hostile, la jeune femme se réfugie avec ses deux filles chez sa tante, une femme indépendante. Mais elle revient quotidiennement dans sa maison prendre soin de son mari. Elle est contrainte de se prostituer, à moitié par peur, à moitié par pitié envers un jeune soldat bègue. Ces longs moments de veille, entrecoupés par les bruits de la guerre, l'intrusion de miliciens, la visite du mollah, seront l'occasion pour la jeune femme de confier ses états d'âme à son mari et petit à petit de lui livrer ses plus lourds et intimes secrets. Le blessé devient malgré lui syngué sabour, la pierre de patience à qui l'on confie ses souffrances, ses désirs et ses secrets. La situation, tragique, ne suscite pas, curieusement, de sensation d'urgence. Au contraire. Dans ce captivant huis clos tiré du prix Goncourt 2008, que son auteur, Atiq Rahimi, adapte lui-même (avec Jean-Claude Carrière pour coscénariste), tout est fait pour favoriser la patience. Aux effusions du cur succèdent vite chez la femme isolée d'autres expressions, plus inattendues. D'abord de la colère, face à l'absurdité : c'est à cause d'une bataille fratricide, d'une fierté de mâle offensé que l'homme a été grièvement blessé. Cette colère se teinte de ressentiment : la femme raconte qu'ils ne se sont guère vus depuis leur mariage, où l'époux, héros sur le front, n'était même pas présent. « Je me suis mariée avec toi sans toi », dit-elle. La violence des mots enfle, où la femme se surprend elle-même à exprimer ce qui était enfoui en elle ses souffrances, ses frustrations, ses secrets. La mise en scène d'Atiq Rahimi est précise et patiente, comme les gestes de la femme qui soigne, mettant en valeur un texte aussi beau à lire qu'il est difficile à prononcer. Le réalisateur parvient à révéler, pour mieux les braver, l'obscurantisme et le machisme tyrannique. Évoquer sans détour, aussi, la sexualité, à travers le désir féminin. La force de ce chant d'amour à la femme tient beaucoup à sa gradation : à mesure que la femme, opprimée, s'émancipe et s'abandonne en même temps, le récit devient de plus en fiévreux, intense et sensuel. Tout le film repose sur la présence à l'écran, le jeu affirmé mais nuancé de la remarquable comédienne qui tient ces longs monologues si riches. Golshifteh Farahani, originaire d'Iran et déjà remarquée dans A propos d'Elly, porte le film avec ses cris et ses chuchotements, dans un face-à-face constant avec le spectateur. Entre les quatre murs de la chambre, la voix et le visage de Golshifteh Farahani font merveille. Dévoilant les ambiguïtés de son personnage avec une douceur libératrice et déconcertante, elle porte ce rôle difficile entre tous jusqu'à une vérité qu'il semblait impossible d'atteindre, et, ancrant à elle seule la fable au cur du réel, célèbre la naissance de sa parole libre, au milieu d'un monde qui lui imposait de se taire. |
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