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Shining (The Shining) , film américain et britannique réalisé par Stanley Kubrick, sorti en 1980


Distribution:

  • Jack Nicholson (VF : Jean-Louis Trintignant) : Jack Torrance
  • Shelley Duvall (VF : Evelyne Buyle) : Wendy Torrance
  • Danny Lloyd (VF : Jackie Berger) : Danny Torrance
  • Scatman Crothers (VF : Med Hondo) : Dick Hallorann
  • Barry Nelson (VF : Michel Aumont) : Stuart Ullman Philip Stone (VF : Jacques François) : Delbert Grady
  • Joe Turkel : Lloyd

Fiche technique:

  • Titre original : The Shining
  • Réalisation : Stanley Kubrick
  • Scénario : Stanley Kubrick et Diane Johnson d'après le roman homonyme de Stephen King
  • Directeur de la photographie : John Alcott
  • Opérateur caméra : Garett Brown
  • Producteur : Stanley Kubrick
  • Producteur exécutif : Jan Harlan
  • Pays d'origine : États-Unis ; Royaume-Uni
  • Durée : 119 minutes, 146 minutes (version intégrale)
  • Dates de sortie : USA 23 mai 1980 ; France 16 octobre 1980
Fiche IMDB

Le film commence par des vues panoramiques du Glacier National Park (situé dans le Montana). D'emblée, par une séquence d'ouverture profondément innovante, Kubrick installe une atmosphère dérangeante. Il ne s'agit pourtant que de filmer une voiture, une Walkwagen Coccinelle jaune, qui gravit une route de montagne pour gagner un immense hôtel situé en altitude. Mais la caméra, par des plongées aériennes verticales ou obliques, et d'incessants travellings avant sur des paysages sauvages, accompagne, suit, perd, puis retrouve la voiture, d'un lacet à l'autre, suggérant impression de fuite en avant accélérée et sentiment de malaise, dans la mesure où ce regard caméra singulier, voire fantasque, semble, tel celui d'un aigle, jouer avec sa proie, la Coccinelle. Mais s'il s'agit là d'un jeu déconcertant, il est cruel car l'étonnante composition musicale, dont le thème est emprunté à Berlioz (Dies irae de La Symphonie fantastique) , et qui accompagne les images scande une marche funèbre inéluctable et annonciatrice d'un destin tragique, par le martèlement de ses notes graves. D'autant plus qu'un second thème musical fait d'une sorte de glissement de violons aigus qui se prolongerait en un mouvement plaintif renforcé de cris, interrompt le premier, accentuant l'impression d'étrange. Puis les deux mêlent leurs sonorités singulières juste avant que la caméra ne donne à voir l'Hôtel.

Précisément, le regard caméra qui a quitté l'auto saisit alors en plan général un paysage grandiose par un nouveau travelling avant?: un immense hôtel au pied d'un sommet partiellement enneigé. Ce bâtiment, de la même couleur grise que la roche nue environnante, apparaît comme un bloc minéral constitutif de la montagne même dont il serait une sorte d'excroissance. Cette impression est renforcée par sa forme ramassée et puissante, ainsi que par ses dimensions impressionnantes au pied d'un sommet enneigé. Cet Hôtel Overlook apparaît comme le personnage central du film et mérite que l'on s'attarde à en faire le portrait. Déjà, le générique l'installe, spatialement, au-dessus de hautes montagnes, presque inaccessible et loin de tout comme le suggère au cours du générique la longue course de l'auto. D'autre part, le plan initial qui le fait découvrir insiste sur son imposant volume et le parfait ordonnancement du style. Le bâtiment se situe, enfin, au bord d'un vide qui se creuse, vertigineux, devant lui. Surtout, son nom anglais, à double sens (qui voit par-dessus), peut signifier Hôtel dominateur, mais aussi Hôtel au regard supérieur.

Kubrick accumule, d'autre part, les signes de l'étrange et du surnaturel?: on apprend, d'abord, que, non loin de là, pour survivre, des hommes se sont livrés au cannibalisme?; qu'en outre, cet hôtel est construit sur un ancien cimetière indien. Le Directeur de l'hôtel précise même à Jack - par honnêteté, dit-il - qu'un précédent gardien des lieux, pris de folie, a massacré sa famille. Quant au fils de Jack Torrance, Danny, il semble posséder un don mystérieux - qu'il partage avec le cuisinier noir, Halloran, du restaurant - qui lui fait «?voir des scènes du passé de l'hôtel et «?pressentir?» certains événements. Par ailleurs, Jack, écrivain sous tension en panne d'inspiration créatrice, adopte une conduite de plus en plus inquiétante, une fois installé dans l'hôtel avec sa femme et son fils. .

Jack Torrance, ex-professeur qui se voudrait écrivain, accepte le poste de gardien de l'hôtel Overlook, un palace isolé dans les montagnes rocheuses du Colorado, vide et coupé du reste du monde durant tout l'hiver. Le directeur de l’hôtel prévient Jack qu'il y a plusieurs années, un précédent gardien, nommé Grady, avait assassiné sa femme et ses deux filles avec une hache. Il décide malgré tout de s'installer dans l'hôtel avec sa femme Wendy et son fils Danny. Mais ce dernier semble savoir bien des choses sur l'hôtel, des visions sanglantes l'avertissent des dangers à venir.

Jour de clôture, le directeur fait visiter l’hôtel au couple Torrance. Les jumelles Grady apparaissent à Danny dans la salle de jeux. Il communique également avec le cuisinier Halloran par télépathie, ce dernier lui interdit d’approcher la chambre 237. L'hôtel se vide complètement et les trois protagonistes se retrouvent complètement isolés ; les démons de l'hôtel peuvent enfin se réveiller. Jack est inspiré, il tape à la machine. Les lignes téléphoniques sont coupées par la tempête de neige un mois après leur arrivée. Wendy ne peut communiquer avec l’extérieur que par la radio.

Danny tente d’entrer dans la chambre 237, mais la porte est fermée. Dans les couloirs de l'hôtel, il rencontre les jumelles qui l’invitent à jouer avec elles « à jamais ». La vision fugitive des jumelles massacrées terrifie le garçon tandis que Jack donne les premiers signes de dérangement mental. Il répète la même fin de phrase que les jumelles Grady : « Je voudrais que nous restions ici à jamais, à jamais.... » La remontée progressive du passé dans le présent peut commencer.

Danny joue aux voitures dans le couloir, une balle de tennis roule jusqu’à ses pieds, il lève la tête, la porte de la chambre 237 est entrouverte, il entre dans la pièce ; pendant ce temps, Jack, endormi dans son fauteuil, fait un cauchemar dans lequel il massacre toute sa famille. Ses cris alertent Wendy qui accourt. Alors qu'elle tente de le calmer et qu'il lui raconte son cauchemar, Danny apparait dans l'embrasure de la porte. Wendy, remarquant des traces de strangulation sur le cou de Danny (faites dans la chambre 237), accuse Jack et sort de la pièce avec son fils. Furieux, il déambule dans les couloirs, entre dans la salle de bal (la Gold Room) et s'arrête devant le bar vide, les miroirs reflètent son image. Il ferme les yeux, puis lorsqu'il les rouvre, des bouteilles apparaissent, ainsi que le barman qu'il semble connaître (il l'appelle par son prénom, Lloyd). Tout en buvant du bourbon, il avoue à Lloyd avoir cassé le bras de Danny il y a trois années de cela (par accident selon Jack) mais que jamais plus il ne l'a touché. La scène est interrompue par l'arrivée de Wendy qui accourt dans la Gold Room. Elle lui annonce qu’une femme a agressé Danny dans la chambre 237. Jack explore alors la chambre et découvre une jeune femme nue dans la baignoire. Mais alors qu’ils s’embrassent, la jeune femme prend l'aspect d'une vieille femme à la peau putréfiée. À son retour, il dit à Wendy qu'il n'a rien trouvé dans la chambre 237 et ils se disputent. Halloran, à des centaines de kilomètres de l’hôtel, a une vision. Il tente d’appeler l’hôtel sans résultat.

Jack s'enfuit fulminant à la Gold Room. La salle est comble d'invités en tenue de soirée des années 1920. Jack rencontre un serveur qui lui dit être monsieur Grady. Ce dernier recommande à Jack de redoubler de vigilance car son fils « s'évertue à faire venir quelqu'un de l'extérieur », et lui conseille de mieux tenir sa famille, voire de les corriger comme lui-même l'a fait avec sa propre famille. Jack se laisse manipuler par les esprits, et décide de saboter la radio.

Tout bascule lorsque Wendy découvre les pages du « roman » de son mari, entièrement remplies de la phrase « All work and no play makes Jack a dull boy » (« Trop de travail et pas de plaisir font de Jack un triste sire » mais traduit par « Un tiens vaut mieux que deux tu l'auras » dans la version française). Jack s'effondre dans une psychose meurtrière, la confrontation finale entre Jack et Wendy va avoir lieu, son mari fou la poursuivant, boitant après être tombé dans les escaliers et armé d'une hache dont il se sert pour fracasser les portes qui se trouvent entre lui, Danny et Wendy. « Heeeeeere's Johnny ! » lancé par Jack se montrant après avoir brisé une porte à la hache, est une référence à l'entrée en scène de Johnny Carson lorsqu'il animait le Tonight Show.

En suivant Danny, Jack meurt gelé dans le labyrinthe, prisonnier de l’hôtel Overlook. Un dernier travelling montre une photographie accrochée au mur de l’hôtel. On y voit Jack en tenue de soirée au milieu des invités. Le cliché porte la légende : « Overlook Hotel, July 4th Ball, 1921. » (« Hôtel Overlook, bal du 4 juillet 1921. »)

Kubrick veut réaliser un film d’horreur où le diable n’est pas en cause. La référence pour le genre est à l’époque L'Exorciste, énorme succès de 1973. Dans un premier temps, Kubrick s'intéresse au roman de Diane Johnson, The Shadow Knows (1975; puis la Warner Bros lui fait parvenir un manuscrit intitulé The Shining. Il s'agit du dernier roman de Stephen King, écrit en 1977. Le choix final se porte sur le livre de Stephen King mais c'est pourtant Diane Johnson qui va co-signer le scénario avec Kubrick. Le travail d'adaptation s'étale sur plus de onze semaines. Ils vont modifier profondément le livre. Le scénario sera un savant mélange de la psychanalyse (relation père, fils, mère), la schizophrénie, thème de prédilection de Kubrick, les spécialités de Diane Johnson comme le sentimental, le macabre, les personnages victimes du passé et enfin de l'intrigue du livre avec ses phénomènes surnaturels, sujet de base du roman de Stephen King, le fond du roman étant ailleurs. Progressivement, la notion de temps disparaît complètement dans le film. Contrairement à la plupart de ses films où il utilise une voix off, Kubrick a ici recours aux cartons pour marquer le passage du temps, des périodes pour finir par indiquer des heures.

Les miroirs sont très importants dans le film Shining. Les miroirs permettent à Kubrick de « matérialiser » la vie intérieure de Jack, ils sont les témoins de sa perte de réalité, accentué par les « mondes parallèles » présents dans l'hôtel. Stanley Kubrick expose un dialogue imaginaire entre Jack et un barman dénommé Lloyd au bout de 64 minutes de film. Le spectateur est alors entraîné dans la folie de Jack Torrance au premier plan, à la première personne, ce qui peut fortement le rendre confus. Après avoir retrouvé Lloyd dans une élégante réception, Jack discute avec celui qui semble avoir été l'ancien gardien, Delbert Grady (l'assassin de ses deux filles et de sa femme se nommait Charles Grady), alors que celui-ci le nettoie dans les sanitaires après avoir involontairement renversé un verre sur lui. Là encore, de nombreux miroirs ornent la pièce. Le spectateur se trouve à nouveau plongé dans les visions démentes de Jack Torrance. Par ailleurs, c'est à travers un miroir que Wendy découvre à son réveil la signification réelle du mot « REDRUM » (« MURDER ») écrit par Danny à l'aide d'un bâton de rouge à lèvres.

Le labyrinthe est un lieu important dans le film car c'est là que se passe la scène finale durant laquelle Jack meurt congelé. Il est introduit dès la première visite de l'hôtel et rappelé de manière insistante par les motifs de ses moquettes où joue le petit Danny. La symbolique du labyrinthe est donc très présente et se traduit notamment à travers les décors. Outre ce labyrinthe de verdure, présent dans deux scènes importantes, l'hôtel lui-même, immense, avec ses couloirs sans fin et sa chambre interdite, est un véritable dédale, inquiétant et menaçant : les scènes où Danny le parcourt frénétiquement sur son Big Wheel sont réellement angoissantes. Les Torrance sont les trois seules personnes à occuper un hôtel capable d’accueillir des centaines de visiteurs. L’immensité du lieu les écrase et les empêche de maîtriser l’espace ; ils n’ont qu’une idée confuse de son plan général, qui n’est jamais montré ; même après plusieurs semaines de séjour, Jack continue de découvrir de nouvelles pièces, comme la Gold Room où ont lieu ses premières hallucinations ; faute de pouvoir être partout à la fois, il est facile pour les Torrance de croire à la présence de quelqu’un d’autre, d’un intrus menaçant.

On peut aussi parler de labyrinthe temporel : certains fantômes affirment à Torrance qu'il est employé dans l'hôtel depuis très longtemps. On pourrait croire qu'il ne s'agit que d'une hallucination du personnage, mais le dernier plan du film, à l'attention des seuls spectateurs (il n'y a plus aucun personnage sur place ni à proximité), nous montre sur une photo, un demi-siècle plus tôt, en 1921, Jack Torrance en habit de soirée participant à une fête donnée à l'hôtel. La photo qui termine le film est semblable à la fin quelque peu mystérieuse et ambiguë de 2001 : L'Odyssée de l'espace . Elle a engendré plusieurs interprétations : la première serait que Jack Torrance, absorbé par l'hôtel, y deviendra un revenant de plus ; la seconde serait que Jack a fréquenté l'hôtel hanté par les fantômes dans une vie antérieure, en 1921.

Pourtant, comme souvent chez Kubrick, plusieurs niveaux d’interprétation du film coexistent. On peut aussi voir plus clairement dans The Shining l'échec dramatique d'un écrivain qui s'était donné rendez-vous avec lui-même pour retrouver une inspiration que sa femme et son enfant, c'est-à-dire le quotidien domestique, ne cessent de contrarier?: autrement dit, comment tout artiste peut-il concilier les exigences de la création artistique et les contraintes de la vie familiale sans sombrer dans le mutisme et la stérilité?? Préoccupation autobiographique, sans doute, que ces affres du créateur. A moins que cette folie qui envahit Jack ne naisse en définitive que de la cruelle conscience de son impuissance créatrice. Lucidité et folie. Ne peut-on lire, par ailleurs, dans cette tentative de s’isoler, la traditionnelle tour d’ivoire du poète devenue hôtel isolé, pour trouver l’inspiration créatrice, comme un désaveu infligé par Kubrick à son personnage?: contrairement à ce que pense Jack, l’art ne se nourrit-il pas de la présence même des autres??

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