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Le Rideau cramoisi film français d'Alexandre Astruc, sorti en 1953

Distribution:

  • Anouk Aimée : Albertine
  • Yves Furet : le narrateur
  • Marguerite Garcya : la mère d'Albertine
  • Jim Gérald : le père d'Albertine
  • Jean-Claude Pascal : l'officier , vicomte de Brassard

Fiche technique:

  • Réalisation : Alexandre Astruc
  • Scénario : Alexandre Astruc d'après Le Rideau cramoisi, premières des six nouvelles Les Diaboliques de Jules-Amédée Barbey d'Aurevilly
  • Production : Sacha Kamenka
  • Musique : Jean-Jacques Grünenwald
  • Photographie : Eugen Schüfftan
  • Montage : Jean Mitry
  • Noir et blanc , moyen métrage
  • Durée : 44 minutes
  • Date de sortie : 6 Mars 1953
  • Le film est sorti en 1953 comme une des deux parties d'un long-métrage Les crimes de l'amour. Le second segment était Mina de Vanghel de Maurice Barry et Maurice Clavel.
  • Distinction : Prix Louis-Delluc 1952

Un jeune sous-lieutenant des hussards le Vicomte de Brassard, en garnison en province, évoque une étrange aventure à ses camarades. Le film est dépourvu de dialogues entre les acteurs, pour bien marquer le caractère de récit, dit par un narrateur différent du héros . Hébergé chez un vieux couple, il fait la connaissance d’Albertine, la fille de ses hôtes, en tombe amoureux et, après lui avoir fait une cour assidue, en fait sa maîtresse.

Tout jeune sous-lieutenant, le vicomte logeait dans une maison, chez de vieilles gens. Un jour, leur fille Albertine revient de quelque pensionnat pour vivre auprès d’eux. Albertine est beaucoup plus qu’une très belle fille. Elle est impassible, comme L’Infante à l’épagneul de Velázquez. Elle paraît une archiduchesse égarée, « comme si le Ciel avait voulu se moquer d’eux », chez des « bourgeois vulgaires ». Elle paraît bien élevée, sans affectation, plutôt silencieuse. Quand elle parle, elle dit ce qu’elle doit dire, sans plus. Son air n’est ni fier, ni méprisant, ni dédaigneux. Cet air dit : « Pour moi, vous n’existez pas. » Jugeant la fille inaccessible, le vicomte de Brassard se laisse aller à l’indifférence.

Chaque soir, il dîne à la table familiale sans prêter attention au fait qu’il est assis auprès d’Albertine. Un mois se passe avant que la main d’Albertine ne se pose sur la sienne. Le cœur du vicomte s’enflamme. Comment faire car Albertine ne quitte jamais sa mère. Elle ne sort que le dimanche, pour la messe ou pour vêpres. Le vicomte lui transmet un billet, le lendemain, toujours à table. Le surlendemain, il compte bien sur une réponse. Mais Albertine est maintenant assise plus convenablement, comme elle aurait dû l’être dès le premier soir, entre ses parents. Et rien dans sa physionomie ne ressemble à une réponse. Le jeune homme ne dort plus, espérant une lettre. Sa vie devient un affût.

La belle reste impassible. Le vicomte ne peut que se replier sur sa chambre au rideau cramoisi, où quatre têtes de sphinx énigmatiques ornent les quatre coins du lit, où se tapit « mystérieux et blanc, dans le noir du coin, un vieux buste de Niobé ». Au bout d’un mois de tourments de tous les instants, en pleine nuit, le vicomte voit Albertine apparaître dans sa chambre, toujours aussi immobile et ferme. Elle a traversé à tâtons la chambre de ses parents, elle vient le rejoindre dans sa chambre et se donne à lui sans un mot d'explication. Pendant six mois, une nuit sur deux, elle traverse la chambre des parents et ils vont s'aimer avec la même intensité. C'est alors que survient un malheur. D'une façon inexplicable, Albertine vient mourir dans les bras du bel officier. Celui-ci, affolé et désireux d'échapper au scandale, ramenne la jeune fille dans sa chambre et prend la fuite comme lui à suggéré un ami colonel.

Les questions restées sans réponses sont nombreuses et créent un climat étrange et presque surnaturel: Cette histoire est-elle vraie ou inventée?
Pourquoi Albertine revient-elle de son pensionnat, au moment même où il y a un jeune mâle dans la maison ?
Albertine joue-t-elle la froideur dans un but de séduction, comme le laisse entendre l’expression « son air de Princesse »?
Pourquoi n’est-elle pas assise entre ses parents, mais près du jeune homme, au début de son séjour ?
Pourquoi change-t-elle de place ?
Les parents savent-ils que de Brassard lui a transmis un billet ?
Albertine est-elle folle, comme de Brassard a cru le lire fugacement dans ses yeux et sur ses lèvres ?
Les parents sont-ils dupes des explications fournies par Albertine, les nuits où ils la surprennent traversant leur chambre ?
Savent-ils que le manège a lieu une nuit sur deux, depuis six mois ?
Ont-ils empoisonné leur fille ?
La mort a-t-elle été simulée et Albertine a-elle-survecu de nombreuses années?
Le vicomte éprouve-t-il réellement du remords à tromper « avec une lâcheté si hardie » deux pauvres vieux, « ces deux têtes de Méduse » ?
Le vicomte est-il, comme il le prétend, poursuivi, depuis toutes ces années, par un sentiment de plus en plus fort de culpabilité?
« La littérature, dira Barbey dans une autre nouvelle, n'exprime pas la moitié des crimes que la société commet mystérieusement et impunément tous les jours, avec une fréquence charmante. » Barbey pousse la curiosité malsaine jusqu’à soulever le rideau : qu’est-ce donc réellement qu’une famille bourgeoise, une famille ordinaire?
Car Albertine n’est pas la seule personne énigmatique. Que pensent les parents?
Jamais nous n’entendrons le son de leur voix. Jamais nous ne pénétrerons leurs pensées. Sont-ils fous?
pervers?
C’est bien ce duo silencieux qui paraît diabolique, et qui inspire la terreur.

Le récit de l’intrépide officier s'enfonce peu à peu dans une atmosphère d’« épouvante » qui, étrangement, provient de la seule présence des chétifs parents d’Albertine, « de très braves gens, aux mœurs très douces, et de très calmes destinées ». La symbolique du rouge, l’ambiguïté chère à Barbey, toute la part de mystère, d’étrangeté que contient cette nouvelle ont fasciné bien des esprits et donné lieu à bien des interprétations. Le véritable prénom d’Albertine (Albertine) annonce bien sûr Proust, grand admirateur de Barbey, dont il est proche par l’esthétique du mystère.

Critique d'époque:
« Les talents conjugués d’Anouk Aimée et d’Astruc ont marqué la mystérieuse personne d’Albertine d’une passion plus noble, d’un abandon plus éperdu, d’une hauteur plus souveraine, d’un feu plus douloureux, que ne l’avait fait Barbey. De cette histoire, Astruc a fait un très beau morceau de cinéma: le sujet, il l’a sublimé, le style, il l’a épuré au maximum. »
Jean-José Richer, Cahiers du cinéma, mars 1953

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