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Respiro, film italien réalisé par Emanuele Crialese, sorti en 2003


Distribution:

  • Valeria Golino : Grazia
  • Vincenzo Amato : Pietro
  • Francesco Casisa : Pasquale
  • Veronica D'Agostino : Marinella
  • Filippo Pucillo : Filippo
  • Muzzi Loffredo : La grand-mère
  • Elio Germano : Pier Luigi
  • Avy Marciano : Olivier

Fiche technique:

  • Titre original : Respiro
  • Réalisation : Emanuele Crialese
  • Scénario : Emanuele Crialese
  • Production : Raphael Berdugo, Domenico Procacci et Anne-Dominique Toussaint Musique : Andrea Guerra et John Surman (Nestor's Saga)
  • Son : Pierre-Yves Lavoué
  • Photographie : Fabio Zamarion
  • Montage : Didier Ranz
  • Pays d'origine : Italie
  • Durée : 95 minutes
  • Dates de sortie : 18 mai 2002 (Cannes) ; 1er janvier 2003 (France)
Fiche IMDB

Sous le soleil brûlant de Lampedusa, une femme mariée, Grazia, essaye d'avoir un peu de liberté, au milieu de son mari, ses fils, sa fille et de la pression sociale du village. Les enfants se distraient à travers des jeux humiliants, les hommes passent leur temps à leur métier de pêcheur, les femmes sont astreintes aux taches qui leur sont dévolues traditionnellement et leurs actes sont surveillés par le mari ou le frère, sourcilleux de leur « honneur ».

Le réalisateur sait montrer les charmes de cette vie simple et naturelle, les habitants vivent proches les uns des autres, les travaux des jours sont rythmés par la nature, mais il en montre aussi l’envers : la monotonie et le sentiment d’étouffement pour qui a dans les yeux et l’esprit le désir d’un « ailleurs », ou la « grâce ». La femme de Pietro, prénommée Grazia est cette personne-là : tantôt gaie, joueuse, aimante et proche de sa famille, tantôt lointaine et mélancolique, elle porte en elle le rêve d’aller à Paris. Ce besoin d’évasion, de respirer (d’où le titre), le réalisateur le fait ressentir en montrant l’envers du décor.

Cette île n’est pas celle des dépliants touristiques, mais est présentée comme un bloc minéral nu de toute végétation, arborant de désolantes constructions inachevées en béton ; une île où les distractions pour les jeunes consistent en de répétitives balades en scooter ou à pied à arpenter la même rue principale ; une île, enfin, où les habitants s’immiscent dans une vie privée réduite à sa plus simple expression et où le mari cède au jugement de la famille et des amis plutôt que de chercher à comprendre.

Dans ce village immobile, qui semble ne pas avoir bougé depuis les années 50, l'ombre des patios, la peau des murs, la via Roma où l'on se promène en bande le soir se cachent des communautés cloisonnées : le monde des enfants, celui des pêcheurs, et celui de leurs femmes qui travaillent à la pêcherie. Grazia, déesse enfantine et rebelle, promène ses petites robes fleuries et ses airs fantasques d'un monde à l'autre, en toute liberté. Son comportement affranchi finit par faire scandale. Les bonnes commères du village se liguent pour l'envoyer à Milan se faire « soigner ». « Quand elle est contente, elle est trop contente, quand elle est triste, elle est trop triste », dit sa belle-mère.

La vie de Grazia lui semble étouffante et, de façon récurrente, un même plan revient dans le film pour le suggérer : Grazia nous est montrée s’enfonçant dans l’eau, comme étouffée par cette eau qui encercle l’île, qui l’enferme, à la recherche d’un souffle de vie. Un souffle qu’une musique de film haletante, obsédante, suspend à un saxo dont les sons brefs, retenus, comme assourdis, illustrent à leur tour les aspirations bridées de Grazia. Plus généralement, le réalisateur met l’accent , en écho à la minéralité de l’île, sur l’animalité. De nombreux chiens errants sont enfermés dans un chenil mais que l’on ne voit pas, des poissons omniprésents mais morts, les corps humains sont filmés sous l’eau mais semblables à des poissons. C’est d’ailleurs un étonnant plan des habitants nageant sous l’eau filmée par-dessous, en contre plongée, qui clôt le film et insiste sur cette idée d’une collectivité qui n’abandonne pas ses membres à laquelle, quoi qu’on fasse, on appartient.

Le film est plus poétique que virulent. Il raconte surtout l'histoire d'un miracle à Lampedusa. Il pose un regard tendre, drôle et lyrique sur une société aux moeurs archaïques et sur une mère-enfant, une folle, une sainte, une enchanteresse. Chaque fois que Grazia est au bord de la crise de nerfs, elle se jette à l'eau, elle se lave, elle s'immerge. Comme dans cette scène où on la voit flotter tout habillée sur la mer, la robe gorgée d'eau, telle une Ophélie méditerranéenne. Respiro penche du côté de l'élégie, du songe. Il est d'une mélancolie étincelante comme un coucher de soleil embrasant les flots, un rêve d'eau et de feu. Emanuele Crialese, qui s'est inspiré d'une légende locale, possède un vrai sens du mythe et de la stylisation gestuelle. Il nous entraîne de l'autre côté du miroir, où une mélodie de notes liquides sonne comme la plainte de clochers engloutis. Un film merveilleux, dans tous les sens du terme, à la fois simple et émouvant et qui tente de réconcilier réalité et rêve, espoir et désillusion, individu et collectivité.

A noter que Lampedusa est aussi connue pour être la patrie du Comte de Lampedusa, héros du Guépard de Visconti (1960), et surtout de nos jours comme plaque tournante de l'émigration venant d'Afrique du Nord, mais ce point n'est pas évoqué dans le film.

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