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Quand l’embryon part braconner de Koji Wakamatsu

sorti au Japon en 1966, en France en 2007

 

Distribution:

  • Hatsuo Yamatani : Sadao
  • Miharu Shima : Yuka

Fiche technique:

  • Titre : Quand l’embryon part braconner
    ou L'Embryon
  • Titre original : Taiji ga mitsuryosuru toki (胎児が密猟する時)
  • Réalisation : Koji Wakamatsu
  • Scénario :Masao Adachi
  • Image : Hideo Itoh
  • Format : noir et blanc, son mono
  • Durée : 72 minutes
  • Dates de sortie : 1966 (Japon)
    • 7 octobre 2007 (France)
  • Distributeur : Zootrope Films (2007) (France)

Après un flirt poussé, Yuka accepte de monter dans l’appartement de Sadao. Sadao drogue Yuka à son insu, l’attache, la fouette, l’insulte et lui raconte la dispute qu’il a eue avec sa femme insoumise et aujourd’hui défunte.

Lorsque Yuka se réveille, elle rentre dans une rage folle. Sadao tente d’abord de la raisonner, puis, incapable de résister à ses pulsions sadiques, il reprend ses sévices sur la jeune femme. Mais l’esclave va peu à peu se rebeller et se venger de son persécuteur.

Quand l'embryon part braconner est un film extrême, provocant et délirant. C'est surtout un film d'une surprenante beauté plastique. Il est représentatif du genre pinku eiga.

Tourné entre les murs d'un petit appartement, ce huis clos retrace une aventure sexuelle d'un soir qui dégénère en un cauchemar sadien sans issue. L'argument du film repose sur l'apparence physique de la jeune femme, qui rappelle à l'homme celle de son ancienne épouse.

Sa présence dans ce lieu chargé des souvenirs de sa vie passée fait affleurer celui, traumatique et humiliant, de la fin de son mariage, et appelle irrépressiblement à la vengeance. Rapidement, la tendresse des jeux amoureux est parasitée par des accès de cruauté verbale, puis physique. Attachée, fouettée, séquestrée, la jeune femme est sommée de se comporter, au sens propre, comme une chienne, esclave absolue de son nouveau maître.

Construit comme un jeu de miroirs entre la scène d'humiliation originelle et le petit jeu de la cruauté présent, le film revêt l'esthétique d'un tableau abstrait, mâtinée de petites touches surréalistes. Magnifiquement structurés par les lignes des portes entrouvertes, et celles que projettent leurs ombres sur les murs, les cadres le sont aussi par celles que dessinent, sur le corps de la jeune femme, les traces de fouet qui s'accumulent, ou les cordes qui la ligotent. D'audacieuses surimpressions, des plans parfaitement abstraits aussi, dynamitent les structures du pouvoir patriarcal.

Car Wakamatsu est plus qu'un simple réalisateur de porno soft. Ancien yakuza passé par la prison, quand il réalise Quand l'embryon part braconner, Wakamatsu n'est pas encore le militant d'extrême gauche actif qu'il deviendra à partir de 1968, mais le film recèle déjà un point de vue corrosif. La situation d'asservissement paroxystique qui se joue entre ces murs doit être comprise comme l'allégorie de celle qui lie les mêmes personnages à l'extérieur, dans le monde professionnel, un chef de rayon et une vendeuse.

A ce titre, la scène de l'émancipation mentale de la jeune femme est d'une puissance phénoménale. Alors qu'elle pensait avoir dupé son tortionnaire, elle se retrouve à nouveau à sa merci. Au lieu de montrer un nouveau déchaînement de sévices de la part du furieux misogyne, le cinéaste laisse au spectateur le loisir de l'imaginer seul.

A la place, il donne à voir le visage de la jeune femme, blanc éclatant sur un fond noir, et à entendre son rire sonore, et sa voix intérieure. En pleine séance de torture, elle formule cette conclusion apaisée : "Pourquoi fuir, au fond ? Ma situation d'esclave sexuelle n'est pas moins enviable finalement que celle d'esclave sociale à laquelle j'étais réduite en tant que vendeuse."

Déclarations

Wakamatsu à propos de son film
L'idée du film m'est venue un matin pluvieux de mai, vers cinq heures. J'ai ouvert la fenêtre — j'ouvre toujours mes fenêtres quand je me lève car je suis claustrophobe, j'ai regardé fixement cette pluie qui tombait drue et mon imagination a commencé à vagabonder. A l’évidence je ne pouvais pas tourner un film à l’extérieur car on était au début de la saison des pluies. Je me suis alors mis à réfléchir à la possibilité de faire un film dans mon appartement, et c’est là que j’ai eu l’idée d’enfermer une femme dans cet appartement qui est à la fois mon domicile et mon bureau. Vers huit heures, j'ai appelé Masao Adachi en lui disant que j'avais une idée formidable. On s'est vu vers midi et je lui ai tout raconté en détail autour de quelques bouteilles de saké et en grignotant du hatahata (poisson).

Deux jours plus tard — Adachi écrivait toujours très vite d’autant plus qu’il était toujours en retard pour payer son loyer et que je lui payais ses scénarii en liquide — il m’a remis un premier scénario. C'était avant-gardiste, comme d'habitude, excessif et surtout incompréhensible. Il voulait aussi que les murs de l'appartement se fissurent et que des poules en émergent, ce qui était irréalisable même si l'idée était excellente. Je lui ai donc demandé de réécrire le scénario en supprimant les scènes en question. En colère, il a jeté le scénario à mes pieds et est revenu quelques temps plus tard avec une deuxième mouture du script qui était la copie quasi-conforme du premier, alors qu’il n’existait pas encore de photocopieuse à l’époque.

Finalement on a décidé de prendre ce scénario, tout en supprimant certaines scènes comme celle des poules. J’ai trouvé une équipe et je leur ai expliqué comment tout allait se dérouler. Je leur ai dit que nous allions être enfermés dans cet appartement pendant toute la durée des prises de vue, afin de vivre la même expérience que les personnages du film. On a emprunté des futons, et toute l’équipe a dû dormir sur place pendant les cinq jours de tournage. Seul l’assistant-réalisateur avait le droit de sortir pour faire les courses. A part les gamelles du midi, j’ai fait moi-même la cuisine pour toute l’équipe matin et soir. Et on a peint tous les murs de l’appartement en blanc — lorsque le propriétaire a découvert cela, il m’a d’ailleurs viré. On est tous devenu fous à tour de rôle. Ce n'est qu'ensuite qu'on a tourné la seule scène en extérieur du film, celle qui ouvre le film et qui se déroule sous la pluie.


Le réalisateur : Koji Wakamatsu

Koji Wakamatsu est né le 1er avril 1936 dans un village situé au nord de Tokyo. Après une enfance difficile, et une adolescence marquée par son désintérêt pour les études, il réussit son concours d’entrée au lycée agricole. Exclu au bout de deux ans, il fugue et s’installe dans le quartier de Shinjuku à Tokyo où il devient tour à tour apprenti pâtissier, ouvrier dans le bâtiment et livreur de journaux. C’est à cette même époque qu’il découvre le cinéma. Son tempérament bagarreur l’empêche de trouver des boulots stables et il dérive très vite vers la délinquance.

Devenu yakuza, il est arrêté lors d’une rixe et passe six mois en prison. Wakamatsu : « Au cours de mon séjour en prison, j’ai réfléchi au sens de ma vie et à la manière dont je pouvais m’en sortir, car mes conditions de détention étaient profondément humiliantes. A ma sortie de prison, j’ai donc décidé de quitter le milieu et vivre sérieusement. Au début j’ai pensé écrire un roman basé sur mon expérience, mais je me suis rendu compte que je n’étais pas assez doué pour l’écriture . » En 1959, il fait ses premiers pas d’assistant réalisateur à la télévision après avoir recontacté un producteur dont il avait "protégé" l’un des tournages à l’époque où il était encore yakuza.

Puis il tourne, en 1963, ses premiers films pour le cinéma, Doux Piège etc...qui l’imposent vite comme l’un des maîtres du pinku eiga. Après avoir réalisé plus d’une vingtaine de films pour diverses sociétés, Wakamatsu décide, en 1965, de fonder sa propre compagnie de production, Wakamatsu Pro. A partir de 1968, Wakamatsu devient un militant d’extrême gauche actif et réalise de véritables brûlots contre le pouvoir en place et la police. La première reconnaissance internationale de son oeuvre a lieu à Cannes en 1971 avec les projections des Anges violés et de Sex Jack à la Quinzaine des réalisateurs. Accompagné de Masao Adachi, son scénariste, il s’envole en juin pour le Liban et la Palestine afin de co-réaliser avec lui Déclaration de guerre mondiale – armée rouge. Au cours des années 70, il perd un peu de sa verve anarchiste et se recentre sur des films à l’érotisme sadien plus prononcé. En 1976, Nagisa Oshima lui demande d'assurer la production exécutive de L'Empire des sens, dont il est aussi le co-scénariste.

L’avènement de la vidéo au début des années quatre-vingt, la demande du public pour des films hardcore ainsi que des problèmes de santé le poussent à cesser toute activité entre 1985 et 1989. Il signe en 1998 une autobiographie intitulée « Mes mains sont sales » et vient de réaliser en 2007 son vieux rêve : faire un film sur L’Armée Rouge Japonaise. Il est persona non grata sur le territoire américain (où les autorités locales le considèrent toujours comme un terroriste en raison de ses amitiés pro-palestiniennes), mais également en Chine et en Russie (il avait en effet vivement critiqué à la fin des années soixante la logique anti-libertaire des Partis Communistes Chinois et Soviétique).

Déclarations

Wakamatsu se replonge à l'époque de ses débuts : « À l’époque où j’étais yakuza, je m’occupais de la régulation de la circulation dans le quartier de Shinjuku. Lorsqu’un tournage y avait lieu, on devait demander l’autorisation de filmer aux yakuzas qui contrôlaient le quartier et, moyennant une compensation, ceux-ci surveillaient le tournage et s’occupaient de son bon déroulement. C’est à cette occasion que j’ai rencontré un producteur de la télévision et que je lui demandé, après ma sortie de prison, de me prendre comme apprenti. Il a accepté, et j’ai commencé à travailler comme régisseur puis comme assistant réalisateur. N’ayant aucune base théorique, c’est donc sur le tas que j’ai appris le métier, à force de persévérance. »

« En travaillant pour la télévision, j’ai compris les contraintes liées au sponsoring et à la publicité, ce qui m’a profondément frustré. Je me souviens d’un jour où le président de Nihon Télévision a débarqué la veille d’un tournage et a demandé à ce qu’on change le scénario et tout le casting. J’étais tellement furieux que je l’ai menacé avec une chaise et que je suis parti sur le champ. Peu après, Mita, un agent d’acteurs, m’a téléphoné et m’a proposé de réaliser un film. Il me laissait carte blanche à condition que je filme des femmes nues de dos, ainsi que des scènes d’amour. A l’époque l’appellation pinku-eiga n’existait pas encore. La censure exercée par le comité de censure du cinéma japonais était très sévère, à tel point qu’on ne pouvait montrer ni poils pubiens, ni tétons. Je lui ai donc demandé si le jeu en valait vraiment la peine, mais il a insisté ; et c’est ainsi que j’ai fini par tourner Doux piège (Amai Wana, 1963), mon premier long métrage. Bien que j’ai respecté les instructions de Mita concernant les scènes de nus, mon scénario ne parlait que de contestation du pouvoir en place. »

« Je me suis aperçu assez vite que l'érotisme m'était nécessaire pour développer mon discours politique. Ce qui n'avait été d'abord qu'un passage obligé est donc devenu une nécessité. Je pense que c’est aussi la colère que j’avais ressentie lors de mon séjour en prison qui a été le moteur et l’inspiration de mon cinéma. Et c’est cette colère contestataire qui a poussé les étudiants qui combattaient dans les années 1960/70 contre l’AMPO (le traité de sécurité nippo-américain) à venir en masse voir mes films en salles. »


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