Primrose Path, film américain de Gregory La Cava, sorti en 1940


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Distribution:

  • Ginger Rogers : Ellie May Adams
  • Joel McCrea : Ed Wallace
  • Marjorie Rambeau : Mamie Adams
  • Henry Travers : Gramp
  • Miles Mander : Homer Adams
  • Queenie Vassar : Grandma
  • Joan Carroll : Honeybell Adams
  • Vivienne Osborne : Thelma
  • Carmen Morales : Carmelita

Fiche technique:

  • Réalisation: Gregory La Cava
  • Scénario: Gregory La Cava et Allan Scott d'après la pièce de Robert L. Buckner et Walter Hart et le roman February Hill de Victoria Lincoln
  • Musique : Werner R. Heymann
  • Photographie : Joseph H. August
  • Montage : William Hamilton
  • Direction artistique : Van Nest Polglase
  • Production : Gregory La Cava
  • Société de production et de distribution : RKO Pictures
  • Pays d'origine : États-Unis
  • Format : noir & blanc - Son : Mono
  • Durée : 93 minutes
  • Date de sortie : 22 mars 1940

Dans la cabane de fortune qu'elle habite dans une ville déshéritée à proximité de San Francisco, Ellie May essaie de ne pas grandir trop vite. Son père intellectuel déclassé est un ivrogne au chômage qui médite la phrase du philosophe Ménandre : "Nous vivons non selon nos désirs mais comme nous le pouvons". C'est donc sa mère qui ramène l'argent du ménage après de longues virées en compagnie d'un généreux protecteur. Elle ramène aussi toujours des cadeaux forts appréciés de la jeune Honeybell et de Grandma qui l'élève mais beaucoup moins de Homer qui sait que sa femme se prostitue ou de Ellie qui ne souhaite pas porter de bas qui l'habilleraient en femme, proie des jeunes mecs du quartier.

C'est donc avec des tresses qu'Ellie May s'en va chercher des clams sur la plage dans l'espoir illusoire d'un bouillon qui guérirait les maux d'estomac de son père. Sur le chemin elle accepte de se faire prendre en voiture par le vieux Gramp qui gère un restaurant et une station essence. Elle y rencontre Ed Wallace avec qui elle partage le même humour vachard et bon enfant. Ed la rejoint sur la plage et lui monter comment trouver les clams. Il fait tomber son portefeuille que lui dérobe Ellie May. Il la raccompagne en moto chez elle mais, arrêté par la police, il se voit contraint de sortir son portefeuille, que lui rend alors Ellie May pour qu'il échappe à une lourde amende.

Le soir même, elle s'habille et se maquille pour le rejoindre au dancing. Sa mère la conseille tout en pleurant la fin de l'enfance de sa fille. Ed ne reconnaît d'abord pas Ellie May déguisée en femme mais lorsque Carmelita, la jolie danseuse portoricaine, se moque d'elle, il sort discuter avec elle. Terriblement amoureuse, Ellie May lui fait croire que sa famille l'a chassée et qu'elle ne peut rentrer chez elle et, après avoir obtenu deux baisers, marche vers le bout du port pour se jeter à l'eau. Ed la retient... et l'épouse.

Habituée des comédies, Ginger Rogers trouve avec Primrose Path un formidable rôle à contre-emploi. Gregory La Cava y dresse une fresque sociale cruelle et sans concession où, après une romance délicate et sensible, la rupture du couple conduit l'héroïne à se prostituer pour survivre.

La mise en scène s'avère d'autant plus cruelle qu'aucun des personnages n'est chargé. Grandma possède un égoïsme qui manque bien de faire le malheur de sa petite-fille mais seulement parce que, pour elle, l'amour est uen tromperie. Hawkins qui avait pris en charge la mère d'Ellie May s'avère prévenant et attentif justifiant par là la bonne humeur passée de la mère.

La constante affection dont font preuve Ellie May et sa mère envers ceux qui sont plus fragiles (le père, la jeune sœur et la veille et égoïste grand-mère) est la preuve que leur coeur s'est maintenu pur comme le conseillait le père : "Ne laisse pas tes rêves s'envoler, après il ne restera rien. Si tu les laisses partir, il faudra t'en inventer d'autres et ils ne seront jamais aussi bien."

On notera aussi que La Cava sait ménager des effets intenses. Le nom d'Ellie May sur le bateau n'est pas montré lorsque Ed le peint, ce qui n'aurait pas accentué le romantisme du moment car le spectateur préfère le découvrir aux travers des yeux embués d'Ellie May. Le nom est seulement montré, dévasté lorsque Ed le brûle au chalumeau après avoir chassé sa femme. Le son de la moto qui vient chercher Ellie May ou emporte Ed, seul, est aussi employé avec précision. Le bruit de la moto est comme un espoir qui se dissipe dans le bruit du train.A la fin, il revient, inespéré retour miraculeux, entendu dans le taxi grâce à Hawkins.

Les fulgurants dialogues peuvent éventuellement faire penser quelques instants à une comédie, mais il s’agit surtout de la description cruelle et sans concession de la vie pitoyable de familles issues de classes défavorisées vivant à la périphérie de San Francisco. Après Pension d'artistes (Stage Door) et La Fille de la 5ème Avenue (Fifth Avenue Girl), déjà interprétés par Ginger Rogers, Gregory La Cava confronte à nouveau deux milieux différents sauf que ce ne sont plus des distinctions de classes sociales car tout le monde vit plus ou moins dans la pauvreté, mais de genres de vie.

Joel McCrea, d’un côté, travaille dans un restaurant au bord de la mer et fait bonne figure, aimé de ses clients pour son sens de la répartie et entourée des ouvrières de l’usine de poissons toute proche, parmi lesquelles il "puise" pour passer agréablement ses soirées ; il semble se complaire ainsi entre labeur et loisir. La famille de Ellie May, de l'autre, habite sur les hauteurs et baigne au contraire dans l’ignominie ambiante des paroles haineuses déversées à profusion par une grand-mère odieuse, cupide et mesquine qui semble avoir été une mère maquerelle. La situation des autres membres de la famille n’est guère plus reluisante, le père est un écrivain raté et sans travail, ayant sombré dans l’alcoolisme suicidaire ; la mère survient au besoin de la maisonnée en acceptant de sortir avec les admirateurs généreux qu’une amie lui présente.

Ce film choqua et fut censuré dans plusieurs Etats, rarement la prostitution avait été abordée aussi frontalement et rarement une vie de famille avait été dépeinte avec une telle noirceur. Même la partie "comédie" se déroulant dans le restaurant se révèle en fait d’un cynisme assez grinçant et presque insupportable ; ce feu d’artifice ininterrompu de boutades plus ou moins fines est expressément vulgaire et destiné à plaire à une clientèle qui en est avide.

Le film bénéficie d'un casting en tout point impeccable. Joel McCrea est à contre emploi dans la peau de cet homme extraverti, d’un naturel confondant ; Ginger Rogers est remarquable enactrice dramatique. A leurs côtés, les excellents Miles Mander, très touchant dans le rôle du père, véritable loque humaine, Marjorie Rambeau parfaite dans celui de la prostituée insouciante et au cœur d’or. Quant à Queenie Vassar, elle n’a rien à envier, en terme méchanceté, à la Baby Jane de Bette Davis

Le Happy End de convention est peu convaincant, mais l’ensemble est une belle réussite. Malheureusement, Primrose Path fut un échec financier et marqua le déclin du réalisateur ; les producteurs, l’establishment et ses pairs, qui le haïssaient déjà à cause de son alcoolisme, de son mépris de la hiérarchie et de son anticonformisme, l’abandonnèrent plus ou moins et, trois films après, tout aussi obscurément oubliés, Gregory La Cava mit fin à sa carrière.

 

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