Plus tard, de Amos Gitaï, sorti en 2008 | |||
Distribution:
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Fiche technique:
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Le film s’ouvre sur un beau travelling, accompagnant la marche de Victor sur le site du Mur des Noms, au sein du Mémorial Juif de Paris. Avec un retrait qu’elle conservera tout au long du film, la caméra de Gitaï passe derrière les hauts blocs clairs sur lesquels sont gravés en noir les noms des déportés. Dans ce court laps de temps qui ne correspond qu’à quelques pas de Victor, l’image en fuite du travelling se remplit de ce décompte infini de cadavres. Victor travaille dans de grands bureaux, entourés de charmantes secrétaires. Il refuse, en ce jour de 1987, alors que le procès Barbie est retransmis sur tous les postes, tout rendez-vous professionnel qui pourrait perturber ses recherches. Leur objet, qui l’absorbe tant, est strictement personnel : il collecte des informations sur le passé trouble de sa famille, mêlé à l’histoire de l’Occupation et aux lois du régime de Vichy. Ce qui l’obsède plus particulièrement, c’est la responsabilité indéterminée de son père pharmacien, bon français de souche, dans la déportation de la branche maternelle de sa famille, des juifs russes exerçant le métier de fourreurs, arrêtés en 1944 par les nazis dans un petit village de campagne. Il est freiné en cela par le silence buté de sa mère Rivka qui se refuse à toute confidence sur son passé, alors qu’elle vit entourée d’antiquités aussi muettes qu’elle. Le gros problème pour Victor, et la source de son angoisse, c’est qu’en termes d’identité, lui et sa sœur ont principalement hérité de la branche paternelle de la famille, les Bastien, tandis qu’il ne leur reste presque plus rien de celle des Gornick, hormis la mémoire enfouie de Rivka et le prénom de sa fille, Esther. Du coup, il récupère une culpabilité rétroactive et générale, qu’il prend le risque, dans le stricte cadre de sa famille, de réinventer. Cette part de réalité coupable qui nous constitue, ce crime métaphysique de l’Histoire légué aux générations d’après-guerre, ne s’endosse et ne s’expie qu’au prix d’une fiction privée. Le film, adapté du roman "Plus tard, tu comprendras", de Jérôme Clément, se remarque d'emblée par sa forme travaillée, ses somptueux travellings et la danse très élaborée de ses personnages dans l’espace. Cela ne l’empêche pas de se tenir au plus près des événements récents, notamment la reconnaissance par l’État français de sa responsabilité dans la spoliation et la déportation des juifs par le gouvernement de Vichy, à l’occasion du discours prononcé par Jacques Chirac en 1995. Gitai filme aussi les lieux singuliers, comme les locaux et couloirs de cette fameuse Commission d’indemnisation des victimes de spoliation, créée en conséquence du discours du Président. À la complexité du questionnement sur la culpabilité répond celle des chorégraphies de Gitaï entre ses acteurs et sa caméra, d’une grande mobilité, sans cesse en circulation, se faufilant dans les couloirs, derrière les portes, les cloisons, balayant les objets, les visages, comme en constante prospection. Ici, il n’existe pas d’espace ouvert, mais des enfilades d’espaces partitionnés, de pièces qui donnent chacune ou sur une autre pièce, séparées par de franches cloisons. L’espace de Gitaï exhibe le signe de sa structure sans jamais en montrer clairement l’ensemble. La première partie du film peut sembler classique et déja vue, Sous forme d’une enquête, se dévoile le scénario de la prise de conscience, avec ses remugles de passé mal digéré. La forme reste cependant passionnante comme le jeu de dissociation entre image et son au tout début du film, entre le témoignage sonore d’une rescapée au procès Barbie et la déambulation mélancolique de Rivka dans son appartement chargé d’objets. Ainsi également la façon dont l’intrigue est présentée par le raisonnement à voix haute, à moitié marmonné, de Victor seul devant l’étalement sur son bureau des archives qu’il est parvenu à réunir. L’idée d'observer une famille qui ne soit ni victime ni coupable, mais qui endosse à elle seule un unique destin de culpabilité nationale, où se rejoue à petite échelle le drame historique du vivre-ensemble, permet au film d’échapper au débat socio-catégorique et l’inscrit plutôt dans un discours stimulant sur la transmission, avec une touche de psychanalyse. Vers la fin du film Rivka décède et emporte avec elle le secret de famille. L'avant derniere phase voit la collection d’objets d’art de Rivka, livrée aux estimations d’un commissaire-priseur. Ainsi, chacun des souvenirs qu’ils représentent, devenus illisibles, est sous-pesé, évalué, monnayé, bradé, dans un tour du propriétaire où toute une vie est découpée selon la sécheresse des valeurs chiffrées. Enfin, dans une dernière forte séquence, Victor, dans les locaux de la Commission d’indemnisation, est aux prises avec deux dames très aimables. Instances de la République, elles reviennent sur chaque étape du calvaire des Gornick pour, en fonction des biens spoliés, y accoler un prix. C’est ainsi que la mémoire se découpe et se chiffre, donnant ainsi raison à marcuse et son homme unidimensionnel, cette seule dimension étant l'argent qui rachète finalement les crimes commis d’un côté et les souffrances endurées de l’autre. |
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