Peau d'âne, film français de Jacques Demy , sorti en 1970Les pages de Ciné-Passion . . .
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Distribution:
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Fiche technique:
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Au temps des contes et légendes, Le Roi , si parfait, aimé, respecté,
a une jolie femme et une douce fille. Il a aussi un âne très précieux
qui chie de l'or (littéralement) ce qui est assez pratique. Il en tombe amoureux et décide de l'épouser dans les 48 heures malgré
l'opposition de cette dernière. Celle-ci va consulter sa marraine, la
Fée des Lilas qui lui rappelle l'interdit d'une hymen père-fille et lui
conseille de demander à son géniteur, en échange de son accord, une chose
impossible à obtenir: une robe couleur du Temps. Désormais "Peau d'âne", elle arrive dans une ferme où "la vieille" (qui
crache des crapauds) l'engage comme souillon. Arrive le Prince Charmant
et sa suite, tous de rouge vêtus. Il aperçoit Peau d'âne et en tombe amoureux.
Après qu'il ait ordonné qu'elle lui prépare un gâteau , elle s'exécute
et lui cuit un cake d'amour dans lequel elle cache son anneau d'or |
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Thématiques Le thème de l'inceste, qui fait l'originalité du conte de Perrault, est
préservé dans la relecture plus moderne de Demy, qui reconnaît son aspect
« obscène, presque pornographique », ce pourquoi « le sujet est formidablement
intéressant ». Mais au contraire du conte, si ici le Roi prend, seul,
la décision d'épouser sa fille, celle-ci n'y répugne pas et oppose aux
arguments de sa marraine son propre amour pour son père, poussant ainsi
certains critiques à évoquer le complexe d'Électre au sujet de l'attirance
d'une fille pour son père. Le Prince, quant à lui, est à la recherche du grand amour et se voit
guider par une rose sensuelle aux lèvres charnues et érotisées qui lui
indique le chemin pour trouver la Princesse. Pourtant, les interactions
entre la Princesse et le Prince eux-mêmes sont peu romantiques et semblent
davantage relever d'un amour fraternel, en partie incestueux. Et à la
fin de l'histoire, au contraire de Perrault qui laisse les deux personnages
se réjouir seuls du mariage de la Princesse, Jacques Demy fait du Roi
bleu et de la Fée des lilas des amants. Les paroles ambiguës de la
Fée, au moment où elle conseille à sa filleule de fuir le Roi, prennent
alors tout leur sens : sa motivation à aider sa filleule tenait aussi
et surtout d'un empressement à éloigner une rivale prétendant aux affections
du Roi, et la Fée apparaît alors pourvue d'immoralité, déjouant le stéréotype
établi dans les contes. La moue qu'adopte la Princesse à la nouvelle de
ces fiançailles paraît alors exprimer sa déception face à la perte du
véritable homme aimé. Deux types d'apparences priment dans le film, le noble et le vulgaire, ou le beau et le laid. Dès le début du conte, le vulgaire se mêle au noble, c'est grâce à l'âne qui pond de l'or que le Roi bleu est prospère en son royaume, un miracle qui a des relents de scatophilie. Et si la richesse du royaume bleu et du royaume rouge est bien transmise par l'opulence des décors et des costumes, Peau d'âne la souillon fréquente un monde de laideur, obéissant à une femme qui crache des crapauds et devant s'occuper des auges des cochons. Ce sont d'ailleurs des blanchisseuses qui sont les premières à se moquer de l'apparence de la jeune fille. Et pourtant, le monde ne semble exister que pour le beau, les déjections de l'âne sont valorisées pour ce qu'elles représentent aux yeux du roi, la robe « couleur de temps » demandée sans davantage de précision est confectionnée de sorte à représenter le « beau temps », et la première action de Peau d'âne en entrant dans son nouveau logis est de faire le ménage. Cette dualité est à son paroxysme pendant la scène dite « du cake d'amour », lorsque la caméra présente aux fourneaux une héroïne dédoublée, à la fois princesse en tenue de soleil et souillon parée d'une peau d'âne, mélangeant l'or de sa robe à la crasse de la dépouille animale. C'est en fait le lieu même de la masure qui incarne la liminarité, où se côtoient indifféremment le propre et le sale, à travers les objets que l'héroïne a fait apparaître avec sa baguette magique. Cette domestication du taudis reflète un comportement social propre à l'époque des Trente Glorieuses en France, et que Walt Disney avait par ailleurs incorporé dans sa version de Blanche-Neige, dont Jacques Demy dit qu'elle lui venait à l'esprit à chaque fois qu'il pensait à la conception de cette scène. L'héroïne de Disney est ainsi une domestique en haillons qui cherche à marier la bonne gestion de son foyer et le maintien de son noyau familial constitué par les sept nains. Demy paraît dans cette perspective proposer une relecture comique voire parodique de cette scène, magnifiant le fossé entre la Princesse vêtue d'une robe splendide mais peu pratique et son double drapé d'une peau de bête. La scène du cake, qui fait coexister la princesse et la souillon dans un lieu dépourvu du bleu ou du rouge, marque également le milieu du voyage de la jeune fille, momentanément bloquée entre les deux châteaux qui lui sont tous deux inaccessibles, et donc entre deux identités inachevées. Il n'y a aucun point de rencontre entre ces trois lieux, et si la masure semble située au milieu du voyage de l'héroïne, elle n'en apparaît pas moins détachée du reste, comme détachée dans le temps, les mouvements se font au ralenti, les habitants de la ferme sont suspendus comme dans une dilatation de l'instant, et le Prince parvenu jusque-là est empêché d'approcher par une muraille invisible. Elle apparaît hors-jeu et permet de regarder ou bien en arrière ou bien en avant; le Roi puis le Prince apparaissent ainsi tour à tour dans les miroirs. Tout déplacement, exprimé par l'intermédiaire des changements de décors, tient davantage de la mutation d'une enveloppe et du récit que du passage d'un plan à un autre, puisque ses thématiques changent avec lui. La masure, elle, accueille chaque élément du film à la fois dans la série du propre et dans celle du sale, y coexistent en même temps les meubles luxueux que la Princesse a fait apparaître et les éléments misérables d'une cabane au beau milieu d'une forêt. Le miroir, instrument du reflet et du doute, est un motif qui revient
à plusieurs reprises tout au long du film comme pour interroger l'exactitude
des personnages. La sincérité des sentiments est un thème central de l'œuvre,
Peau d'âne se demande si son amour pour son père est suffisant pour l'épouser,
le Prince se désespère de ne pas trouver le véritable amour, la Fée masque
derrière son souci de protection de sa filleule un amour jaloux pour le
Roi bleu, et ces recherches de la vérité se heurtent au parti pris de
Demy, qui joue avec la fausseté assumée des décors et des anachronismes.
Le perroquet lui-même, qui reprend les refrains de la chanson Amour, Amour,
risquerait de déformer la réalité. Le miroir se fait encore voir lorsque la Princesse obtient les trois robes qu'elle a demandées comme défis auprès de son futur époux, elle se regarde elle-même et se fait regarder par les tailleurs. Il en est de même lorsqu'elle revêt la peau de l'âne, c'est un miroir qui lui sert à déplorer sa transformation. Un miroir apparaît encore pour lui permettre de se coiffer les cheveux ; puis plus tard, à l'instar de Narcisse, la jeune fille aperçoit dans la forêt son reflet dans une mare. Mais le miroir est aussi le support de la désillusion, illustrant la différence entre la jeunesse virginale de la Princesse et l'âge plus avancé de sa marraine à la manière du miroir de Blanche-Neige, qui annonce à la reine maléfique qu'elle a été surpassée en beauté. Il tend ainsi à renvoyer davantage le reflet de la jeune fille que celui de la Fée des lilas, lors de la première apparition de celle-ci, c'est Peau d'âne qui remplit le cadre du miroir, et il en va de même lorsque la Fée mentionne le déclin de ses charmes, qu'elle compare à des batteries usées. La ressemblance entre la Fée et la belle-mère maléfique de l'adaptation par Disney est accentuée par d'autres similitudes comme la composition chromatique de l'image et la collerette de la robe. Le miroir est enfin un moyen de communication équivoque, qui met en relations des univers pour qui sait comment y regarder. C'est dans celui de la Princesse que la Fée apparaît pour la première fois à l'intérieur du château, ayant quitté son repaire forestier. C'est d'un autre miroir dont l'héroïne se sert, depuis sa cabane, pour observer la réaction de son père une fois qu'elle a fui le château. La rencontre avec le Prince a aussi lieu par miroirs interposés, chacun n'apercevant l'autre que par son reflet, lui dans le grand miroir grâce auquel elle fait sa toilette, et elle dans le petit qu'elle utilise plus discrètement. Mais le jeune homme paraît aveuglé par cette image de la Princesse dans sa robe du soleil, si bien qu'il ne lui reste qu'à détourner les yeux et s'enfuir. Il ne paraît pas encore prêt à la rencontrer. La fin du film semble néanmoins proposer une résolution positive sur le plan des sentiments, lorsque l'héroïne retire sa peau puis marche avec le Prince vers le trône, face à la caméra, la scène suivante les observe de dos s'éloignant vers leurs témoins, comme s'ils avaient enfin franchi le miroir et achevé leur métamorphose. Esthétique et symbolique des couleurs L'esthétique du film tient de la transgression. Par ses couleurs vives,
habituelles à l'œuvre de Demy et ses costumes démesurés, elle se nourrit
des références psychédéliques du monde hippie, et notamment des mouvements
pop art et peace and love que Jacques Demy avait découverts aux États-Unis
où il venait de passer deux ans. Il garde aussi le souvenir des Renaissance
fairs (fêtes médiévales) chères aux Américains, qui reconstituent les
temps d'autrefois en respectant le folklore, les costumes, et où l'on
croise des jeunes filles aux longs cheveux de princesse. Le domaine du Roi bleu est envahi par le végétal et l'animal, qu'il s'agisse des murs couverts de lierre, des statues vivantes ou du trône que constitue un gros chat blanc ; cette même atmosphère désordonnée baigne la clairière de la Fée des lilas, envahie de fragments de pierre qui cohabitent avec une végétation omniprésente. Au contraire, le château rouge est plutôt celui de l'ordre, de la soumission à l'homme et à son industrie, et du minéral : la pierre du château est nue et s'offre peu aux décorations, à l'exception de tableaux psychédéliques, similaires à ceux du château bleu, qui associent ainsi les deux royaume et peuvent annoncer plastiquement leur union finale. Anachronismes et fantaisies historiques Les éléments qui distinguent l'adaptation de Demy des autres adaptations
de contes de fée tiennent pour beaucoup à l'audace du réalisateur qui
parsème volontairement le script de références postérieures à l'époque
de Perrault, et placent le film dans une ligne atemporelle. D'autres anachronismes, tous liés à la Fée des lilas, émaillent le film,
celle-ci dispose chez elle d'un téléphone et adopte des accoutrements
peu médiévaux, comme ses chaussures à hauts talons ou sa coiffure typique
des années 1930 à Hollywood. De même, lors du mariage qui clôt le film,
c'est à bord d'un hélicoptère Alouette II que le Roi bleu et la Fée des
lilas arrivent au château du Roi rouge. Une autre liberté que prend Demy est celle de faire mention dans le script de grandes figures de la Cour de France, se pressant toutes tour à tour devant le Prince lors de la séance d'essayage de la bague. Le ministre Thibaud organise l'ordre de passage des prétendantes par rang social, et c'est l'occasion d'entendre les noms de ces grandes dames, qui ont toutes un lien avec la littérature. La plupart sont contemporaines du temps où les contes de fées étaient à la mode, le temps de Charles Perrault (1628-1703) et de Louis XIV. Le ministre appelle ainsi (entre autres) :
Les noms de « La Ségur », en référence à Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur (1799-1874, romancière fameuse pour ses livres pour enfants), et de « La Clèves » (le personnage principal du roman de Madame de Lafayette, citée plus haut) sont également évoqués plus tôt dans le film par Godefroy, l'ami du Prince, qui l'avertit que ces dames ont cherché à le rencontrer. Cette atemporalité ou abolition du temps, qui pour Demy évoque le fantastique, se retrouve également dans la musique, par laquelle Michel Legrand mêle Renaissance, jazz et dessins animés à la Disney, et dans les costumes, qui mêlent modes de Louis XV (pour la Princesse et la Reine bleue), d'Henri II (le Prince), du Moyen Âge (les valets) et toiles de Le Nain (les paysans). La musique et les chansons: Michel Legrand a composé la musique de presque tous les films de Demy,
y compris ses deux précédents films musicaux. De même que dans les précédents films de Jacques Demy, les acteurs principaux sont doublés pour les chansons. Catherine Deneuve et Jacques Perrin sont respectivement doublés, comme dans les Demoiselles de Rochefort, par Anne Germain et Jacques Revaux. Delphine Seyrig est doublée par Christiane Legrand, bien que l'actrice ait également enregistré la chanson de la Fée des lilas.
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