Peau d'âne, film français de Jacques Demy , sorti en 1970

Les pages de Ciné-Passion . . .

Distribution:

  • Catherine Deneuve : La première reine/Peau d'âne
  • Jean Marais : Le Roi
  • Jacques Perrin : Le prince charmant
  • Micheline Presle : La Reine Rouge
  • Delphine Seyrig : La fée des lilas
  • Fernand Ledoux : Le Roi Rouge
  • Henri Crémieux : Le chef des médecins
  • Sacha Pitoëff : Le premier ministre
  • Pierre Repp : Thibaud

Fiche technique:

  • Réalisation : Jacques Demy
  • Scénario : Jacques Demy
    d'après Charles Perrault
  • Musique :Michel Legrand
  • Date de sortie : 1970    
  • Genre : conte musical
  • Durée : 90 minutes
  • Production : Mag Bodard
  • Images : Ghislain Cloquet
  • Montage: Anne-Marie Cotret

Au temps des contes et légendes, Le Roi , si parfait, aimé, respecté, a une jolie femme et une douce fille. Il a aussi un âne très précieux qui chie de l'or (littéralement) ce qui est assez pratique.
Mais la Reine tombe malade et meurt, non sans avoir fait jurer à son époux qu'il se remarie avec une femme plus belle et mieux faite qu'elle. A la suite de quoi, écrasé de chagrin, il décide de ne plus voir sa fille. Passent les saisons mais les ministres poussent le roi à se remarier afin d'avoir un héritier. Il refuse toutes les prétendantes proposées à l'exception d'une superbe jeune fille blonde qui se révèle être sa propre fille !

Il en tombe amoureux et décide de l'épouser dans les 48 heures malgré l'opposition de cette dernière. Celle-ci va consulter sa marraine, la Fée des Lilas qui lui rappelle l'interdit d'une hymen père-fille et lui conseille de demander à son géniteur, en échange de son accord, une chose impossible à obtenir: une robe couleur du Temps.
Mais il réussit à accéder à sa demande. De même aux suivantes: robes couleur de Lune puis du Soleil.
Toujours conseillée par sa marraine, la fille du roi exige alors la peau de l'âne-banquier. Elle l'obtient contre toute attente. Revêtue de celle-ci et de la baguette magique de la Fée des Lilas, elle s'enfuit.

Désormais "Peau d'âne", elle arrive dans une ferme où "la vieille" (qui crache des crapauds) l'engage comme souillon. Arrive le Prince Charmant et sa suite, tous de rouge vêtus. Il aperçoit Peau d'âne et en tombe amoureux. Après qu'il ait ordonné qu'elle lui prépare un gâteau , elle s'exécute et lui cuit un cake d'amour dans lequel elle cache son anneau d'or
Toutes les femmes sont convoqués au Château afin d'essayer l'anneau et devenir la promise du Prince.
Bien sûr, l'anneau n'ira qu'à la dernière à se présenter: Peau d'Âne. Elle épouse le Prince tandis que son père s'unit à la Fée des Lilas, qui devait être depuis longtemps amoureuse du roi.

Thématiques

Le thème de l'inceste, qui fait l'originalité du conte de Perrault, est préservé dans la relecture plus moderne de Demy, qui reconnaît son aspect « obscène, presque pornographique », ce pourquoi « le sujet est formidablement intéressant ». Mais au contraire du conte, si ici le Roi prend, seul, la décision d'épouser sa fille, celle-ci n'y répugne pas et oppose aux arguments de sa marraine son propre amour pour son père, poussant ainsi certains critiques à évoquer le complexe d'Électre au sujet de l'attirance d'une fille pour son père.
Demy prend ses distances avec les princesses des contes de fées classiques, qui n'existent que par rapport à leur prince et font preuve de passivité ; la Peau d'âne de Demy, contrairement à ces dernières, n'hésite pas à faire valoir ses sentiments pour son père et semble manipuler magiquement le Prince. Le Prince est d'abord bloqué par un mur invisible, puis n'a d'autre choix que de grimper vers une lucarne, ce qui permet à la Princesse de contrôler la façon dont elle lui apparaît et de l'observer à son aise avec son miroir. Elle se montre ainsi active dans la poursuite du Prince, l'éblouissant d'un éclat lumineux et glissant délibérément sa bague dans le cake, ruse déjà présente dans le conte. Elle est en position de force par rapport aux héroïnes classiques et apparaît comme une figure de la transgression des règles du genre.
L'inceste même n'apparaît pas condamnable : les deux personnages concernés sont favorables au mariage et, si la Fée des lilas décourage sa filleule, c'est au nom de questions de culture et de législature, non pas au nom de la morale. L'amour n'est pas vraiment distinct de la dépravation dans la scène durant laquelle la Princesse chante Amour, Amour tandis que son père la contemple d'une fenêtre d'une château.

Le Prince, quant à lui, est à la recherche du grand amour et se voit guider par une rose sensuelle aux lèvres charnues et érotisées qui lui indique le chemin pour trouver la Princesse. Pourtant, les interactions entre la Princesse et le Prince eux-mêmes sont peu romantiques et semblent davantage relever d'un amour fraternel, en partie incestueux. Et à la fin de l'histoire, au contraire de Perrault qui laisse les deux personnages se réjouir seuls du mariage de la Princesse, Jacques Demy fait du Roi bleu et de la Fée des lilas des amants. Les paroles ambiguës de la Fée, au moment où elle conseille à sa filleule de fuir le Roi, prennent alors tout leur sens : sa motivation à aider sa filleule tenait aussi et surtout d'un empressement à éloigner une rivale prétendant aux affections du Roi, et la Fée apparaît alors pourvue d'immoralité, déjouant le stéréotype établi dans les contes. La moue qu'adopte la Princesse à la nouvelle de ces fiançailles paraît alors exprimer sa déception face à la perte du véritable homme aimé.
Avec ce mariage contracté par pures considérations sociales envers un homme ayant une bonne situation, la fin de l'histoire ne satisfait pas nécessairement les désirs non conventionnels de l'héroïne. La sempiternelle ritournelle propre aux contes de fées, qui assure bonheur et stabilité au couple de héros, est ainsi remise en question. Les passions intimes sont refoulées, tout n'est que rapports de force, entre la brutalité du désir du Roi bleu, les manigances de la Fée marraine, la société moqueuse de la ferme, les caprices du Prince qui obtient ce qu'il veut, et la Peau d'âne-souillon qui commande à la Peau d'âne-princesse lors de la scène du cake. Le laid est transfiguré et le beau promulgué.

Deux types d'apparences priment dans le film, le noble et le vulgaire, ou le beau et le laid. Dès le début du conte, le vulgaire se mêle au noble, c'est grâce à l'âne qui pond de l'or que le Roi bleu est prospère en son royaume, un miracle qui a des relents de scatophilie. Et si la richesse du royaume bleu et du royaume rouge est bien transmise par l'opulence des décors et des costumes, Peau d'âne la souillon fréquente un monde de laideur, obéissant à une femme qui crache des crapauds et devant s'occuper des auges des cochons. Ce sont d'ailleurs des blanchisseuses qui sont les premières à se moquer de l'apparence de la jeune fille. Et pourtant, le monde ne semble exister que pour le beau, les déjections de l'âne sont valorisées pour ce qu'elles représentent aux yeux du roi, la robe « couleur de temps » demandée sans davantage de précision est confectionnée de sorte à représenter le « beau temps », et la première action de Peau d'âne en entrant dans son nouveau logis est de faire le ménage.

Cette dualité est à son paroxysme pendant la scène dite « du cake d'amour », lorsque la caméra présente aux fourneaux une héroïne dédoublée, à la fois princesse en tenue de soleil et souillon parée d'une peau d'âne, mélangeant l'or de sa robe à la crasse de la dépouille animale. C'est en fait le lieu même de la masure qui incarne la liminarité, où se côtoient indifféremment le propre et le sale, à travers les objets que l'héroïne a fait apparaître avec sa baguette magique. Cette domestication du taudis reflète un comportement social propre à l'époque des Trente Glorieuses en France, et que Walt Disney avait par ailleurs incorporé dans sa version de Blanche-Neige, dont Jacques Demy dit qu'elle lui venait à l'esprit à chaque fois qu'il pensait à la conception de cette scène. L'héroïne de Disney est ainsi une domestique en haillons qui cherche à marier la bonne gestion de son foyer et le maintien de son noyau familial constitué par les sept nains. Demy paraît dans cette perspective proposer une relecture comique voire parodique de cette scène, magnifiant le fossé entre la Princesse vêtue d'une robe splendide mais peu pratique et son double drapé d'une peau de bête.

La scène du cake, qui fait coexister la princesse et la souillon dans un lieu dépourvu du bleu ou du rouge, marque également le milieu du voyage de la jeune fille, momentanément bloquée entre les deux châteaux qui lui sont tous deux inaccessibles, et donc entre deux identités inachevées. Il n'y a aucun point de rencontre entre ces trois lieux, et si la masure semble située au milieu du voyage de l'héroïne, elle n'en apparaît pas moins détachée du reste, comme détachée dans le temps, les mouvements se font au ralenti, les habitants de la ferme sont suspendus comme dans une dilatation de l'instant, et le Prince parvenu jusque-là est empêché d'approcher par une muraille invisible. Elle apparaît hors-jeu et permet de regarder ou bien en arrière ou bien en avant; le Roi puis le Prince apparaissent ainsi tour à tour dans les miroirs. Tout déplacement, exprimé par l'intermédiaire des changements de décors, tient davantage de la mutation d'une enveloppe et du récit que du passage d'un plan à un autre, puisque ses thématiques changent avec lui. La masure, elle, accueille chaque élément du film à la fois dans la série du propre et dans celle du sale, y coexistent en même temps les meubles luxueux que la Princesse a fait apparaître et les éléments misérables d'une cabane au beau milieu d'une forêt.

Le miroir, instrument du reflet et du doute, est un motif qui revient à plusieurs reprises tout au long du film comme pour interroger l'exactitude des personnages. La sincérité des sentiments est un thème central de l'œuvre, Peau d'âne se demande si son amour pour son père est suffisant pour l'épouser, le Prince se désespère de ne pas trouver le véritable amour, la Fée masque derrière son souci de protection de sa filleule un amour jaloux pour le Roi bleu, et ces recherches de la vérité se heurtent au parti pris de Demy, qui joue avec la fausseté assumée des décors et des anachronismes. Le perroquet lui-même, qui reprend les refrains de la chanson Amour, Amour, risquerait de déformer la réalité.
Le miroir, célébration de frivolité et superficialité par laquelle on vérifie son apparence, apparaît notamment lorsque la Princesse rend visite à sa marraine, qui la réprimande pour l'interrompre dans sa toilette avant même qu'elle ne soit présentable. La crise de larmes de la Princesse provoque chez la Fée un comportement qui illustre encore davantage sa coquetterie, après lui avoir déconseillé de pleurer, les larmes étant selon elle néfastes pour la beauté du visage, elle finit sa toilette par quelques essais de robes de couleur différente. Mais Demy semble valoriser cet aspect voulu du personnage, qui accorde ainsi davantage d'importance aux apparences qu'à la question morale de l'inceste.

Le miroir se fait encore voir lorsque la Princesse obtient les trois robes qu'elle a demandées comme défis auprès de son futur époux, elle se regarde elle-même et se fait regarder par les tailleurs. Il en est de même lorsqu'elle revêt la peau de l'âne, c'est un miroir qui lui sert à déplorer sa transformation. Un miroir apparaît encore pour lui permettre de se coiffer les cheveux ; puis plus tard, à l'instar de Narcisse, la jeune fille aperçoit dans la forêt son reflet dans une mare. Mais le miroir est aussi le support de la désillusion, illustrant la différence entre la jeunesse virginale de la Princesse et l'âge plus avancé de sa marraine à la manière du miroir de Blanche-Neige, qui annonce à la reine maléfique qu'elle a été surpassée en beauté. Il tend ainsi à renvoyer davantage le reflet de la jeune fille que celui de la Fée des lilas, lors de la première apparition de celle-ci, c'est Peau d'âne qui remplit le cadre du miroir, et il en va de même lorsque la Fée mentionne le déclin de ses charmes, qu'elle compare à des batteries usées. La ressemblance entre la Fée et la belle-mère maléfique de l'adaptation par Disney est accentuée par d'autres similitudes comme la composition chromatique de l'image et la collerette de la robe.

Le miroir est enfin un moyen de communication équivoque, qui met en relations des univers pour qui sait comment y regarder. C'est dans celui de la Princesse que la Fée apparaît pour la première fois à l'intérieur du château, ayant quitté son repaire forestier. C'est d'un autre miroir dont l'héroïne se sert, depuis sa cabane, pour observer la réaction de son père une fois qu'elle a fui le château. La rencontre avec le Prince a aussi lieu par miroirs interposés, chacun n'apercevant l'autre que par son reflet, lui dans le grand miroir grâce auquel elle fait sa toilette, et elle dans le petit qu'elle utilise plus discrètement. Mais le jeune homme paraît aveuglé par cette image de la Princesse dans sa robe du soleil, si bien qu'il ne lui reste qu'à détourner les yeux et s'enfuir. Il ne paraît pas encore prêt à la rencontrer. La fin du film semble néanmoins proposer une résolution positive sur le plan des sentiments, lorsque l'héroïne retire sa peau puis marche avec le Prince vers le trône, face à la caméra, la scène suivante les observe de dos s'éloignant vers leurs témoins, comme s'ils avaient enfin franchi le miroir et achevé leur métamorphose.

Esthétique et symbolique des couleurs

L'esthétique du film tient de la transgression. Par ses couleurs vives, habituelles à l'œuvre de Demy et ses costumes démesurés, elle se nourrit des références psychédéliques du monde hippie, et notamment des mouvements pop art et peace and love que Jacques Demy avait découverts aux États-Unis où il venait de passer deux ans. Il garde aussi le souvenir des Renaissance fairs (fêtes médiévales) chères aux Américains, qui reconstituent les temps d'autrefois en respectant le folklore, les costumes, et où l'on croise des jeunes filles aux longs cheveux de princesse.
Il emprunte des éléments aux films de Walt Disney Productions (en particulier à Blanche-Neige et les Sept Nains) et à Andy Warhol ainsi qu'à Gustave Doré et Leonor Fini. L'affiche dessinée par Jim Léon en est l'exemple. Les couleurs, qui imprègnent bien plus d'éléments que les films traditionnels, des chevaux jusqu'à la peau des gardes, sont à rattacher au style vif et aux couleurs tranchées dandy Warhol. La symbolique en est également riche : le bleu du château d'où provient Peau d'âne rappelle, en plus du conte de Barbe bleue et du danger qu'il représente pour la gent féminine, le « sang bleu », c'est-à-dire le sang de la noblesse qui régnait dans les temps féodaux, ainsi que la consanguinité, qui peut exister dans les familles nobles et que ne renie pas le Roi bleu lorsqu'il propose à sa fille de l'épouser. C'est un royaume clos sur lui-même et endogame, à l'image de son château tourné vers la cour intérieure.
Le rouge du royaume où Peau d'âne se réfugie évoque au contraire une dimension révolutionnaire : c'est là que la jeune Princesse peut échapper à la volonté de son géniteur et de son roi, et là que le Prince daigne quitter sa réserve pour s'enquérir d'elle bien qu'elle ne soit plus princesse, mais souillon, et s'indigne de sa condition dans une réplique aux tendances socialisantes. Le blanc de l'innocence et de l'harmonie, qui sacre la résolution de tous les conflits, nimbe tous les personnages à la fin : la Princesse et le Prince, unis dans le mariage, le Roi rouge et la Reine rouge, qui se réjouissent de voir leur fils guéri, et le Roi bleu et la Fée des lilas, nouvellement fiancés et au sujet desquels on devine que la tension amoureuse a été résolue.
Le blanc, qui est le résultat de l'addition de toutes les couleurs du prisme, est ainsi également la couleur de transition et d'unification qui fait le lien entre les personnages, à l'image du carrosse argenté tiré par des chevaux blancs et rempli de plumes, qui mène la Princesse du royaume bleu au royaume rouge. Dans les films de Demy plus particulièrement, le blanc est aussi la couleur de l'amour sublimé, de l'idéal poursuivi et du rêve. La distinction entre les deux royaumes se poursuit dans les décors. Le château du Roi bleu apparaît comme une forteresse féodale imposante, tournée exclusivement vers la cour intérieure où la Princesse fait de la musique, tandis que celui du Prince paraît plus ouvert, le mariage prenant place à l'extérieur, et plus symétrique.

Le domaine du Roi bleu est envahi par le végétal et l'animal, qu'il s'agisse des murs couverts de lierre, des statues vivantes ou du trône que constitue un gros chat blanc ; cette même atmosphère désordonnée baigne la clairière de la Fée des lilas, envahie de fragments de pierre qui cohabitent avec une végétation omniprésente. Au contraire, le château rouge est plutôt celui de l'ordre, de la soumission à l'homme et à son industrie, et du minéral : la pierre du château est nue et s'offre peu aux décorations, à l'exception de tableaux psychédéliques, similaires à ceux du château bleu, qui associent ainsi les deux royaume et peuvent annoncer plastiquement leur union finale.

Anachronismes et fantaisies historiques

Les éléments qui distinguent l'adaptation de Demy des autres adaptations de contes de fée tiennent pour beaucoup à l'audace du réalisateur qui parsème volontairement le script de références postérieures à l'époque de Perrault, et placent le film dans une ligne atemporelle.
Ces anachronismes témoignent également de la fusion du merveilleux et du réalisme. Ainsi le réalisateur et scénariste met-il, entre les mains du Roi bleu, des auteurs de la littérature française moderne. Celui-ci, avant de lire dans un recueil qui lui a été offert par la Fée des lilas certains de ces « poèmes des temps futurs », les présente à Peau d'âne de la manière suivante : « Les anciens ont écrit de fort belles choses, évidemment, mais... les poètes de demain devraient vous exalter davantage. » Il lui lit d'abord des vers extraits du second volume de l'Ode à Picasso, de Jean Cocteau, qui évoquent les Muses de l'Antiquité utilisant des ustensiles de l'âge moderne. Le deuxième poème lu est L'Amour, de Guillaume Apollinaire , extrait du Guetteur mélancolique. Mais la Princesse ne saisit pas l'amusement que son père tire de poèmes aussi incompréhensibles à l'époque du film, et est effarée de la déclaration d'amour qu'il lui fait alors, si bien qu'elle lui réplique pour mettre fin à cet épanchement anachronique : « La poésie vous égare, mon père ».

D'autres anachronismes, tous liés à la Fée des lilas, émaillent le film, celle-ci dispose chez elle d'un téléphone et adopte des accoutrements peu médiévaux, comme ses chaussures à hauts talons ou sa coiffure typique des années 1930 à Hollywood. De même, lors du mariage qui clôt le film, c'est à bord d'un hélicoptère Alouette II que le Roi bleu et la Fée des lilas arrivent au château du Roi rouge.
Des inventions retiennent l'attention comme la dépouille de la Reine, transportée dans une grosse bulle de verre, ainsi que les serviteurs du Roi au visage bleu comme des Schtroumpfs.

Une autre liberté que prend Demy est celle de faire mention dans le script de grandes figures de la Cour de France, se pressant toutes tour à tour devant le Prince lors de la séance d'essayage de la bague. Le ministre Thibaud organise l'ordre de passage des prétendantes par rang social, et c'est l'occasion d'entendre les noms de ces grandes dames, qui ont toutes un lien avec la littérature. La plupart sont contemporaines du temps où les contes de fées étaient à la mode, le temps de Charles Perrault (1628-1703) et de Louis XIV.

Le ministre appelle ainsi (entre autres) :

  • la princesse Pioche de La Vergne : c'est le nom de baptême de Madame de La Fayette (1634-1693), femme de lettres française célèbre pour ses romans La Princesse de Montpensier et La Princesse de Clèves ;
  • la princesse de Monthion : le nom de cette fillette évoque Jean-Baptiste de Montyon (1733-1820), économiste français créateur du prix littéraire du même nom ;
  • la duchesse Antoinette du Ligier de la Garde : cette femme très âgée porte le nom de baptême d'Antoinette Des Houlières (1638-1694), poétesse française ;
  • la marquise Marie de Rabutin-Chantal : c'est le nom de baptême de la marquise de Sévigné (1626-1696), aristocrate française célèbre pour sa correspondance épistolaire fournie ;
  • la baronne Mary Wortley Montagu : elle porte le nom de Mary Wortley Montagu (1689-1762), femme de lettres britannique notamment connue pour ses lettres sur la Turquie, où son mari était diplomate ;
  • la baronne Vauquelin de la Fresnaye : son nom rappelle Jean Vauquelin de La Fresnaye (1536-1606), poète français notamment auteur d'un art poétique.

Les noms de « La Ségur », en référence à Sophie Rostopchine, comtesse de Ségur (1799-1874, romancière fameuse pour ses livres pour enfants), et de « La Clèves » (le personnage principal du roman de Madame de Lafayette, citée plus haut) sont également évoqués plus tôt dans le film par Godefroy, l'ami du Prince, qui l'avertit que ces dames ont cherché à le rencontrer. Cette atemporalité ou abolition du temps, qui pour Demy évoque le fantastique, se retrouve également dans la musique, par laquelle Michel Legrand mêle Renaissance, jazz et dessins animés à la Disney, et dans les costumes, qui mêlent modes de Louis XV (pour la Princesse et la Reine bleue), d'Henri II (le Prince), du Moyen Âge (les valets) et toiles de Le Nain (les paysans).

La musique et les chansons:

Michel Legrand a composé la musique de presque tous les films de Demy, y compris ses deux précédents films musicaux.
Peau d'âne est la première incursion du compositeur dans le genre du merveilleux et Demy le conforte dans sa première idée de mélanger des styles volontairement contrastés (baroque, jazz et pop) « pour faire naître la féerie ». Pour le compositeur, « la convergence de toutes ces influences, les partis pris visuels et musicaux, aboutit à un temps imaginaire, à un entre-deux temporel. » En incorporant au motif classique de la fugue des rythmes et des instruments plus modernes, comme les instruments électroniques, Michel Legrand souhaite en effet se démarquer des thèmes médiévaux utilisés précédemment par d'autres films, tels Les Visiteurs du soir de Marcel Carné (1942).

De même que dans les précédents films de Jacques Demy, les acteurs principaux sont doublés pour les chansons. Catherine Deneuve et Jacques Perrin sont respectivement doublés, comme dans les Demoiselles de Rochefort, par Anne Germain et Jacques Revaux. Delphine Seyrig est doublée par Christiane Legrand, bien que l'actrice ait également enregistré la chanson de la Fée des lilas.

  • Amour, Amour - la Princesse C'est la première chanson du film, et la seule à s'insérer dans le contenu diégétique, c'est-à-dire à être perçue comme telle dans la narration, au contraire des autres chansons qui participent à l'action : la Princesse l'interprète dans la cour du château sous les yeux méditatifs de son père. Un perroquet de compagnie reprend de temps à autre certains vers. Mais on apprend plus tard dans le film que le Prince connaît lui aussi cette chanson, et que les deux personnages avaient en commun encore plus qu'ils ne le pensaient, les destinant ainsi l'un à l'autre.
  • Les Conseils de la Fée des lilas - La Fée des lilas Cette chanson, durant laquelle la marraine de Peau d'âne lui dit de fuir le royaume car « on n'épouse jamais ses parents », introduit l'idée de résistance à l'inceste, déjà présente dans le conte de Perrault. La Fée, dont c'est la première apparition dans le film, y apparaît comme un personnage résolument moderne, grâce à ses vêtements et ses velléités de rébellion face au pouvoir établi, mais non dénué d'arrières-pensées, puisqu'elle trahit un fort attachement pour le roi.
  • Recette du cake d'amour - la Princesse La scène de confection du cake est l'une des plus célèbres du film, notamment pour la chanson et en raison du moment où Peau d'âne, en cassant un œuf, libère un poussin. Catherine Deneuve y est dédoublée et apparaît en même temps sous les traits de la Princesse et de la souillon, jouant ainsi avec les thèmes de la dualité et de l'indécision. Il y a également fusion du merveilleux des costumes avec le réalisme concret de la préparation du gâteau. Un tel champ-contrechamp des deux identités de l'héroïne est alors inédit au cinéma.
  • Rêves secrets d'un prince et d'une princesse - la Princesse, le Prince cette chanson, subversive pour les deux personnages, a des résonances hippies. C'est le seul véritable duo du film (« Mais qu'allons-nous faire de tant de bonheur ? »).

Ces pages sont rédigées par et pour des passionnés du cinéma.
Pour nous joindre, déposer vos questions ou remarques: Ciné-Passion . . . . Les autres films cultes . . . . . . . . . . Sommaire général