Mustang, coproduction Turquie, France, Allemagne de Deniz Gamze Ergüven, sorti en 2015 Le film raconte le destin de cinq sœurs éprises de liberté, dans un village reculé de Turquie.
Distribution:
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Analyse critique Cinq surs orphelines sont élevées par leur grand-mère dans un village du nord de la Turquie, à 1 000 km d'Istanbul. Le dernier jour de l'année scolaire, elles rentrent chez elles par le bord de mer, en compagnie de camarades de classe. Juchées sur les épaules des garçons, elles s'affrontent pour se faire tomber à l'eau tout habillées. Les ragots du village les précèdent chez elles. Leur jeu innocent a été jugé obscène. L'oncle Erol, très à cheval sur un patriarcat qui se drape de tradition, de morale et de religion, reproche à la grand-mère une éducation trop laxiste. Les aînées doivent subir à l'hôpital un examen d'intégrité hyménéale. Et la maison se transforme peu à peu en prison : murs d'enceinte rehaussés, portes fermées à clef, barreaux aux fenêtres, plus d'école, plus d'ordinateur, plus de téléphone, mais des cours de cuisine et de ménage dispensés par des femmes à hijab. La benjamine, ale, sollicite de l'oncle Erol l'autorisation de l'accompagner à un match de football. Erol refuse. Comme des violences entre supporters ont émaillé une précédente rencontre, la Fédération de Turquie de football décide que le prochain match sera joué non pas à huis clos, mais devant un public exclusivement féminin. Les cinq filles font le mur et réussissent à gagner le stade en car. Cependant, à la maison, les hommes se disposent à regarder le match à la télévision. Dans la cuisine, il y a également un téléviseur, et les femmes ont la surprise de voir les filles apparaître sur l'écran. Une tante a le réflexe de faire sauter les plombs de la maison. Puis elle sort et, à coups de pierre, fait disjoncter un transformateur, privant tout le village d'électricité. Si le pire a été évité, si les hommes et le voisinage n'ont rien su, les conséquences vont quand même être lourdes pour les cinq soeurs On leur confectionne de ces robes informes « couleur
de merde » qu'elles méprisent tant. Et leurs mariages vont être arrangés
tour à tour. L'aînée, Sonay, tient bon. Elle menace de faire un scandale
si on ne la laisse pas épouser Ekin, son petit ami. La grand-mère cède. L’incontestable réussite de Mustang tient au filmage des soeurs, corps collectif superbement fluide et chatoyant, bouquet de “jeunes filles en fleurs” telles qu’on les trouve par exemple chez Sofia Coppola. Mais il existe chez Deniz Gamze Ergüven un vitalisme, une scénographie vitaminée qui, à chaque instant, émeut et égaie l’œil, étonne le spectateur. Cette qualité range le film du côté d’un “féminisme joyeux”, expression utilisée par Agnès Varda pour qualifier la couleur de ses propres films. On peut être tenté de reprocher au film sa légèreté, sa fin heureuse ou son infidélité à un réel autrement plus sombre. Mais il ne fait pas l'impasse sur la noirceur, la société liberticide, la mort parfois comme seule échappatoire, renforcée justement par le contraste entre un corsetage moral et cette sorte de grâce ouatée de l’enfance, jusqu’à la dispersion du petit groupe, en cinq identités distinctes, avec chacune un destin plus ou moins enviable à la clé. Sans diaboliser le mariage arrangé car l’une des soeurs y trouve son compte de câlins et de baisers, la réalisatrice dénonce une tradition nuisible dès lors qu’elle se meut en tyrannie, en prison. Une menace illustrée lors de cette très belle séquence où les soeurs cloîtrées transforment leur geôle en refuge contre le monde extérieur. C’est alors les autres qui sont désignés en vrais captif d’une doctrine morale et religieuse. Contexte La Turquie accorde le droit de vote aux femmes bien avant la France. C’est un pays officiellement laïque où les femmes ont voté dans les années 30, de 1982 à 2002, le mouvement des femmes devient une force en Turquie. En 1983, une loi autorise l'IVG jusqu'à la dixième semaine de grossesse. Mais, depuis l'arrivée au pouvoir en 2003 de l'AKP, le parti de Recep Tayyip Erdogan, le patriarcat regagne du terrain par petites touches, sous couvert de tradition, de morale ou de religion. En 2012, Erdogan assimile l'IVG à un « meurtre », et affiche sa volonté de la rendre illégale au-delà de quatre semaines de grossesse. En juillet 2011, lors d'un match amical, les supporters de l'équipe de football de Fenerbahçe envahissent le terrain. Plutôt que d'infliger au club une amende ou une rencontre à huis-clos, la Fédération de Turquie de football décide d'interdire les spectateurs masculins de plus de 12 ans au match de troisième journée de Championnat Fenerbahçe-Manisaspor. Le 20 septembre, au stade Sükrü Saracoglu d'Istanbul, c'est une première mondiale : le public est composé de 41 000 femmes et enfants. La Réalisatrice Deniz Gamze Ergüven est née le 4 juin 1978 à Ankara en Turquie, elle est la fille d'un diplomate turc qui a travaillé pour l'UNESCO et l'OCDE. Elle grandit entre Paris et Ankara puis aux États-Unis. Elle s'installe définitivement en France dans les années 1990. Après avoir obtenu une maîtrise d'Histoire africaine à Johannesburg, Deniz Gamze Ergüven intègre la Fémis en 2002 et sort diplômée en Réalisation en 2006. Son court métrage de fin d'étude Bir Damla Su est retenu dans plusieurs festivals (cinéfondation, prix à Locarno). Déclarations de Deniz Gamze Ergüven « Une des choses que fait le gouvernement actuel, , c’est
de transformer les écoles laïques en écoles religieuses IIs sont en
train de torpiller la laïcité à sa source. Ce qui veut aussi dire qu’ils
sont en train de modeler une société très religieuse qui peut être dirigée
un peu comme des moutons dans une direction ou une autre. Ce n’est pas
dans un but spirituel, mais dans un but de générer de la cohésion sociale
identitaire. » |
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