Moonlight, film américain de Barry Jenkins, sorti en 2016

Distribution:

  • Mahershala Ali : Juan
  • Janelle Monáe : Teresa
  • Naomie Harris : Paula
  • Trevante Rhodes : Black (Chiron adulte)
  • André Holland : Kevin adulte

Fiche technique:

  • Titre original : Moonlight
  • Titre québécois : Moonlight : L'Histoire d'une vie
  • Réalisation : Barry Jenkins
  • Scénario : Barry Jenkins, d'après la pièce de théâtre In Moonlight Black Boys Look Blue de Tarell Alvin McCraney
  • Photographie : James Laxton
  • Musique : Nicholas Britell
  • Montage : Joi McMillion et Nat Sanders
  • Production : Dede Gardner, Jeremy Kleiner et Adele Romanski
  • Sociétés de production : A24 Films et Plan B Entertainment
  • Durée : 110 minutes
  • Dates de sortie : États-Unis : 2 septembre 2016
    • France : 1er février 2017
  • Récompenses Oscars 2017 :Meilleur film
    • Meilleur scénario adapté pour Barry Jenkins et Tarell Alvin McCraney
    • Meilleur acteur dans un second rôle pour Mahershala Ali

Écrit pour l’écran par un dramaturge, Tarell McCraney, Moonlight est divisé en trois actes, très nettement séparés et qui mettent en scène trois moments de la vie de Chiron, interprétés par 3 acteurs différents. Ces trois acteurs aux corps et attitudes sensiblement différents produisent un effet de bizarrerie qui résume tout le projet du cinéaste, raconter la naissance d’une identité flottante et hybride, libérée de la pesanteur des apparences.

À 9 ans, le petit garçon vit à Liberty City, une banlieu de Miami en passe de devenir un ghetto. Sa mère, qui travaille, n’est pas assez souvent là pour le protéger du harcèlement constant de ses camarades. En tentant de leur échapper, Chiron, que l’on surnomme Little se réfugie dans un appartement abandonné où le trouve Juan. Grâce à son commerce, ce jeune dealer vit la vie d’un Américain moyen dans une jolie maison où règne la présence maternelle de Paula.

Si les autres garçons persécutent Little, c’est qu’ils pressentent sa différence, une différence que lui-même ne parvient pas à définir. Et c’est à Juan, qui empoisonne tout le quartier, on est au début de l’épidémie du crack, que revient la tâche de rassurer l’enfant quant à son identité, de lui dire qu’il n’est de toute façon pas un « faggot » (pédé). Ce pourrait être un paradoxe, une grinçante ironie. Devant la caméra de Barry Jenkins, avec les mots de Tarell McCraney, les interprètes font de cet échange un moment d’une extrême douceur, l’un de ces répits qui donneront à l’enfant la force de continuer, comme l’a été une brève conversation avec Kevin, le seul de ses condisciples à lui accorder un peu de considération.

Dans une deuxième partie, on retrouve Chiron adolescent, toujours en butte aux insultes et aux coups, face auxquels il est de plus en plus démuni. Juan a eu une vie courte comme beaucoup de dealers, sa mère ne voit plus en son fils qu’un bailleur de fonds pour entretenir sa dépendance au crack, Chiron est encore plus seul que lorsqu’il était enfant. Et cette solitude est rompue, sur une plage, au clair de lune, d'où le titre, par une étreinte brève et sans lendemain avec Kevin. Le lendemain, il est soumis à une provocation, et son nouvel ami est obligé de le cogner. Il s'écroule, se relève, attend le prochain coup. L'arrivée des surveillants met fin au supplice ou sacrifice. Il ne dénonce personne. Le lendemain, il a changé. Il arrive déterminé en salle de classe, et il frappe, sans prévenir, ce qui le conduira Chiron en prison.

Ces épisodes dramatiques façonnent le jeune homme que l’on découvre dans la dernière partie de Moonlight. Mais ce garçon est aussi fait de chacun des échanges qu’il a eus tout au long du film, des pauses que la narration s’accorde pour laisser le monde envahir le champ. De Miami, on ne verra que Liberty City et ses abords, et pourtant on sait, par la lumière, qu’on est sous les tropiques, plus sûrement que si la caméra défilait sous les palmiers, le long des hôtels art déco de Miami Beach. Le plus fugace des personnages est traité avec une attention, un sens des détails qui le rendent unique, fut-il le client désespéré d’un gamin qui vend du crack à un coin de rue.

Moonlight semble avoir jeté un drôle de sortilège aux États-Unis, où il s’est attiré les louanges quasi unanimes de la critique, devenant un vaste phénomène de société et s’imposant tel le film-rempart d’un pays heurté par les tensions populistes et xénophobes du début de l’ère Trump. Couronné aux Golden Globes, il triomphe également aux Oscars, avec celui du meilleur film. Ce triomphe, le succès en salles du film dans son pays, ce qui ne va pas de soi quand le personnage principal est afro-américain et gay, sans même être « inspiré d’une histoire vraie », ne doivent pas non plus obscurcir la formidable originalité du film. Barry Jenkins ne doit pas grand-chose aux modèles narratifs hollywoodiens. Sa manière de tirer très légèrement ses images vers l’abstraction, par la géométrie des compositions, la grâce des mouvements, les harmonies chromatiques, le rapproche des cinéastes européens, ou asiatiques. Ainsi, à la fin du film, dans une longue scène de retrouvailles maladroites, le héros, désormais gangster, part enfin à la rencontre de ses désirs. Jenkins libère la puissance contemplative de sa mise en scène, dont l’attention hypersensible aux gestes trahit l’influence des maîtres asiatiques comme Wong Kar-wai.

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