Midnight Special, film américain de Jeff Nichols, sorti en 2016

Distribution:

  • Michael Shannon: Roy Tomlin
  • Joel Edgerton : Lucas
  • Kirsten Dunst : Sarah Tomlin
  • Adam Driver : Paul Sevier
  • Jaeden Lieberher : Alton Meyer, né Tomlin
  • Sam Shepard : Calvin Meyer
  • Bill Camp : Doak

Fiche technique:

  • Titre québécois : Le lieu secret
  • Réalisation et scénario : Jeff Nichols
  • Direction artistique : Austin Gorg
  • Photographie : Adam Stone
  • Montage : Julie Monroe
  • Musique : David Wingo
  • Production : Sarah Green et Brian Kavanaugh-Jones
  • Sociétés de production : Faliro House Productions et Tri State Pictures
  • Durée : 111 minutes
  • Dates de sortie : Allemagne : 12 février 2016 (Berlinale 2016)
  • France : 16 mars 2016

Alton a 8 ans et est séquestré depuis deux ans dans une communauté évangélique sectaire, il est enlevé par son père. L'enfant a des pouvoirs extraordinaires qu'il a du mal à maîtriser. Il ne peut pas être exposé à la lumière du jour, car il est pris de convulsions aux effets dévastateurs. Ses yeux lancent alors des faisceaux lumineux destructeurs. Roy, son père, veut le mettre à l'abri et découvre que l'enfant est chargée d'une mission. Accompagné de Lucas, un policier et ami d'enfance, et de Sarah, la mère de son fils, il tente d'échapper à la fois aux autorités qui les pourchassent, sous la direction du FBI, et aux limiers de la secte qui veulent récupérer l'enfant aux capacités extraordinaires.

Le titre du film vient de la chanson "Midnight Special" du groupe Creedence Clearwater Revival. Le morceau n'est pas utilisé dans le film mais on peut en entendre une réinterprétation dans le générique de fin. Le film a été fortement influencé par les œuvres qui ont marqué la jeunesse du réalisateur : Rencontre du troisième type, E.T. Le cinéaste cite également Un monde parfait comme étant l'un de ses films favoris. Jeff Nichols a signalé que le film était hanté par un événement survenu dans sa vie : jeune papa, il a vu son bébé souffrir de problèmes respiratoires et être amené à l'hôpital. Son fils s'en est heureusement sorti, mais l'impact émotionnel fut intense pour le réalisateur qui s'est inspiré de cette peur pour nourrir son film. Afin que ses comédiens ressentent pleinement les choses, Jeff Nichols a insisté pour que les effets spéciaux soient effectués, au maximum, en direct sur le plateau plutôt qu'en post-production. Pour représenter les rayons qui sortent des yeux d'Alton, le responsable des effets spéciaux a ainsi placé 2 LED sur le visage de l'enfant.

Cette cavale, où la mélancolie le dispute à l'action entraîne le spectateur de motels crépusculaires en cascades sur le bitume. Jeff Nichols joue sur tous les tableaux, la complexité des sentiments, autant que le vertige du spectacle. Du plus délicat au plus fracassant, des demi-teintes et demi-mots du cinéma indépendant au surgissement démesuré du merveilleux, ce film atypique change peu à peu de registre et d'ampleur et procède à une incursion très personnelle sur les terres de la science-fiction. L'enfant a des pouvoirs. Il est hanté par une force surnaturelle, écho d'un ailleurs inconnu. Le réalisateur joue avec les codes du genre, emprunte ses voies rapides, suspense, hypothèses et révélations, et ses chemins oubliés, effets spéciaux un peu « vintage », volontairement artisanaux, presque bricolés, en hommage à la Science fictionF des années 70-80.

Jamais avant Midnight Special l’intrigue chez Jeff Nichols n’avait paru à ce point resserré, ne se contentant que de porter quelques formes, dans un pur acte de mise en scène. Il entraîne le spectateur en une fuite noctambule fiévreuse et lapidaire. Là où Take Shelter se montrait plus diserts quant à la psychologie et la motivation de leurs personnages, Midnight Special ne s’embarrasse d’aucun détail superflu et privilégie l’esquisse d’une structure elliptique jusqu’au-boutiste. La trajectoire, radicale bien que ténue, propulse deux hommes, Roy et Lucas, sur la route à toute allure dans le silence de la nuit. Du duo, qui convoie au péril de sa vie Alton, un enfant aux pouvoirs surnaturels vers un lieu énigmatique, l’on ne sait rien ou presque, aucune exposition ne venant nous enquérir des enjeux initiaux. Et d’innombrables questions se posent, mais Jeff Nichols ne cloisonne heureusement jamais le regard, l’incitant au contraire à se perdre dans la course effrénée des plans et des séquences. Toute l’énergie du récit consiste à placer l’enfant au cœur du film, à le sonder et peut-être à terme à le comprendre. C’est que le cinéaste poursuit sa quête introspective, celle d’un homme devenu père et vivant ce nouveau rôle avec beaucoup d’angoisse. Cet être sera-t-il bon, et ses parents capables de dominer leurs peurs afin d’éviter à l’avenir d’exercer sur lui un contrôle néfaste ?

Ce père et cette mère sont contraints de manifester une confiance aveugle en leur enfant, lui-même à l’origine d’événements extraordinaires. Par-delà les apparences, la question ici posée n’est non pas celle d’un dogme ou d’une croyance, comme le laisse d’abord penser l’importance de la secte d’évangélistes tordus d’où s’enfuit Alton, mais de croire simplement en son enfant. Alton, dont l’origine des pouvoirs n’est pas explicite, fonctionne comme une boîte de Pandore, comme un pont entre deux mondes dont l’ouverture inattendue provoque chaque fois son petit cataclysme. Faut-il y voir l’allégorie de l’horizon futur du jeune garçon, perçu par les adultes comme l’imminence d’une possible catastrophe, la fameuse angoisse du père ? Quoi qu’il en soit, Alton suscite l’intérêt de tous : considéré comme un messie par la secte à ses trousses, il est vu par la NSA comme une arme à même d’interférer sur les communications des services secrets américains. Il faut noter l’absence de technologies dans le film, dont Nichols ne supporte pas la vue. Même le responsable de la NSA, incarné par Adam Driver, est analogique, de sa prise de note à la main à ce moment où il brise symboliquement son téléphone portable.

Le film développe des atmosphères vaporeuses et quasi oniriques, mais toutefois contaminées par une violence sourde, ou a contrario retentissante comme dans la séquence retentissante des satellites s’écrasant près de la station service en des gerbes de flamme. Le suspense et la tension, avec leurs ressorts mystérieux et leur portée universelle, font écho à Steven Spielberg, à commencer par E.T., Rencontres du troisième type et La guerre des mondes. Ces trois films se veulent eux aussi des descriptions délicates de la famille et de la société américaine.

Il ne faut pas compter sur Jeff Nichols pour dévoiler la totalité du mystère. Il l'a voulu trop grand pour ses personnages, largement ouvert à l'imagination de ses spectateurs. C'est à la fois passionnant comme une espèce d'ode fervente et douloureuse à l'inconnu et presque naïf, dans la vision finale grandiose et clinquante d'un autre monde.

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