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Manon des sources de Marcel Pagnol, film français sorti en 1952


Distribution:

  • Jacqueline Pagnol : Manon
  • Raymond Pellegrin : Bernard, l'instituteur
  • Rellys : Ugolin
  • Henri Poupon : le Papet
  • Anne Roudier : la mère de l'instituteur
  • Robert Vattier : M. Belloiseau
  • Henri Vilbert : le curé
  • René Sarvil : le brigadier
  • Fernand Sardou : Philoxène, le maire
  • Henri Arius : Claudius
  • André Bervil : Anatole
  • Charles Blavette : Pamphile, le menuisier
  • Milly Mathis : Amélie, la femme du menuisier
  • Christian Lude : l'ingénieur
  • Édouard Delmont : Anglade
  • Edmond Ardisson : Ange, le fontainier
  • Julien Maffre : Pétugue, le forgeron
  • Jenny Hélia : Aricie, femme de Cabridan
  • Marcelle Géniat : Baptistine
  • Daxeli : Josias, frère de Jonas

Fiche technique:

  • Réalisation : Marcel Pagnol
  • Scénario et dialogues : Marcel Pagnol
  • Musique : Raymond Legrand
  • Musique additionnelle : extrait de L'Arlésienne de Georges Bizet
  • Photographie : Willy Faktorovitch
  • Montage : Raymonde Bianchi, Jacques Bianchi
  • Producteur : Marcel Pagnol
  • Société de production : Les Films Marcel Pagnol
  • Sociétés de distribution : Gaumont, Compagnie méditerranéenne de films
  • Format : noir et blanc
  • Durée : 200 minutes
  • Date de sortie : 16 décembre 1952
Fiche IMDB
Manon des sources et Ugolin est un diptyque, en fait un seul film de plus de 3 heures, divisé en deux parties pour l’exploitation, écrit et tourné par Marcel Pagnol pour sa femme Jacqueline. Cadeau d’amoureux, c’est aussi et surtout une œuvre somme, le dernier grand film de son auteur. Pagnol ressentira le besoin de revenir à cette histoire qui concentre tous ses thèmes, son univers, et il la transformera une dizaine d’années plus tard en roman, l’enrichissant et la concluant en écrivant L’Eau des collines qui deviendra Jean de Florette dans l’adaptation cinématographique de Claude Berri.

Pour ce film, Pagnol s’enfonce encore plus loin dans l’arrière pays provençal sans faire appel cette fois à son chantre que fut Jean Giono, auteur qu’il adapta plusieurs fois à l’écran. Il puise dans ses souvenirs d’enfance, ceux du village de la Treille qui donneront naissance à La Gloire de mon père et au Château de la mère. Il fait jouer dans son film de nombreux habitants du village. S’il aime profondément ce pays et ses habitants, il réalise néanmoins un film âpre et dur sur le monde paysan, sur la loi du silence, sur ces hommes qui préfèrent baisser les yeux devant les drames des autres. Film sur le silence, mais paradoxalement œuvre de mots. Des mots qui guident l’image, le récit, des mots qui sont comme cette rivière souterraine cachée qui est au cœur de l’histoire. Des silences qui tuent, des paroles qui font vivre.

À la terrasse d'un café, les notables prennent l'apéro et discutent de tout et de rien. Ils évoquent notamment les gendarmes qui recherchent actuellement Manon, une jeune sauvageonne de la région. Dans les collines avoisinantes, une vieille femme, Baptistine, jette une malédiction sur le village, ayant appris que la tombe de son mari a été supprimée pour des raisons administratives. Elle est accompagnée d'une jeune femme, Manon.

À la terrasse du café, les notables parlent de cette Manon: elle est la fille du "Bossu des sources", qui s'est tué à la tâche car son domaine était sans source d'eau et qui a dû s'approvisionner chaque jour à plusieurs kilomètres, la région étant singulièrement sèche. Les sources sont donc vitales et, en général, gardées secrètes par les pays: "Une source des collines, ça ne se dit pas" commente même Philoxène, le maire-bistrotier. Les notables croyaient que ce bossu, Jean Cadoret, était un étranger qui venait de Pépin, un village voisin, mais il était en fait le fils d'une fille du village, Florette Camoins, que le Papet, un des notables présents, avait bien connu dans sa jeunesse; son tort est d'avoir épousé un étranger! Plusieurs notables semblent apprendre l'origine du bossu et commentent que cela aurait pu éviter une injustice, sans en dire plus cependant. Belloiseau, un clerc de notaire à la retraite dur d'oreille, raconte sa rencontre avec le bossu, sa femme et leurs deux enfants, un garçon et une fille. Quelques femmes viennent également commenter les propos des notables en accusant Manon d'être une sorcière.

Les gendarmes ont arrêté Manon et la ramènent au village. Elle est accusée d'avoir blessé un gars du village, Polyte, et aussi d'avoir volé des melons à Ugolin, un paysan de la région. Le chef de la gendarmerie organise immédiatement une sorte de procès pour régler cette situation. Tous se retrouvent dans une salle communale et les témoins défilent. L'instituteur, avocat de Manon, met en évidence l'obscurantisme et la superstition dont la plupart des témoignages font preuve. Manon explique qu'elle s'est défendue en frappant avec un bâton Polyte à la tête car il a tenté de l'agresser sexuellement. On passe à l'affaire du vol des melons et Ugolin témoigne qu'il les a lui-même mis à disposition de Manon. Après une dernière intervention ironique de l'instituteur, Manon est libérée de toutes les charges contre elle.

De retour à leur terrasse, les notables rappellent que la fête de la fontaine du village a lieu le lendemain. Manon a rejoint Baptistine dans les collines et celle-ci lui montre où et comment réaliser sa vengeance: "Maintenant tu as vu, fais ce que tu voudras!" Quelques instants plus tard, Manon rencontre l'instituteur qui cherche des cailloux pour sa collection. Manon, sans trop entrer dans les détails, lui explicite combien Ugolin est un méchant homme. Elle raconte que, lorsqu'elle était enfant et en l'absence de source à proximité, elle, son frère et ses parents ont dû porter l'eau tous les jours sur des kilomètres. Et aussi comment rapidement Ugolin a trouvé une source sur leurs terres après les avoir rachetées! L'instituteur la quitte. Quelques instants plus tard, Ugolin la rejoint et lui déclare son amour. Elle l'abandonne à sa quasi hystérie.

Le même jour, plus tard, Manon sort d'une anfractuosité dans une paroi abrupte des collines; elle transporte notamment une pioche. L'instituteur montre ses cailloux à un ami. Il reconnaît apprécier Manon. Le lendemain, c'est la fête de la fontaine et Manon vient au village. Pendant le discours commémoratif de Belloiseau qui encense les vertus de la nature et de l'eau bienfaitrice, la fontaine commence à toussoter et, tout à coup, son débit d'eau s'arrête: les villageois, les paysans du coin, tout le monde commence à paniquer. Le maire annonce qu'il a pris contact avec l'ingénieur du génie rural du département.

Seconde partie : Ugolin

Devant une assemblée des villageois, l'ingénieur du génie rural présente son analyse et ses hypothèses quant à la problématique hydrométrique qui expliquerait l'arrêt de la fontaine dont l'eau provient d'une source des hauteurs avoisinantes. Pour l'instant, la seule chose qu'il puisse offrir, pour les habitants, animaux et cultures, est de faire livrer de l'eau au village, ce qui ne contente pas du tout les villageois. Le curé annonce pour le lendemain une cérémonie à l'église pour prier le Seigneur. Manon retourne dans les collines. Manon y surprend Ugolin qui prie devant une statue de la Vierge et l'entend même confesser sa faute, qu'il désire à tout prix réparer.

Le lendemain à l'église, le curé prononce un sermon qui se révèle être un sérieux réquisitoire contre celui qui a commis la faute mais également contre ceux qui se sont tus en connaissance de cause. Il attend que les responsables, présents dans l'église, se dénoncent de manière à apaiser la colère divine. À la sortie de l'église, l'instituteur rappelle à Manon que, le jour précédent, elle avait évoqué une catastrophe à venir et lui demande si elle est à l'origine du tarissement de la fontaine. Elle nie, en précisant qu'elle aussi manque d'eau et qu'elle va devoir déménager à Aubagne, la plus proche grande ville.

Après le sermon, une réunion a lieu chez l'instituteur dans le but de résoudre tous les problèmes liés à l'eau des collines. Ugolin est accusé d'être le responsable et les notables mentionnent ne s'être simplement pas mêlés des affaires des autres. Ugolin se défend et rappelle qu'il a aidé le bossu en rachetant sa maison, Les Romarins, laquelle avait appartenu auparavant à Pique-Boufigue, le frère de Florette, mère du bossu. Manon révèle alors qu'Ugolin avait bouché la seule source du domaine des Romarins avant que son père en prenne possession et que sa famille n'a jamais su qu'il y avait de l'eau à proximité, ce qui est confirmé par Eliacin, un villageois, qui a lui-même vu Ugolin le faire. L'absence d'eau induisait une valeur du domaine peu élevée, ce qui profitait à tout acheteur éventuel, en l'occurrence Ugolin. Manon commente également que personne au village ne les a informés de la présence d'une source sur leur propriété. À la suite de toute cela, le frère de Manon, Paul, est décédé après avoir bu l'eau impropre de la citerne ce qui l'a rendu malade, puis le bossu est mort de chagrin. Bien qu'Ugolin n'avoue pas explicitement son crime, tous ont arrêté leur avis à ce sujet.

Quelques instants plus tard, Ugolin erre dans les collines puis retourne aux Romarins. Les notables du village ont décidé d'aller chez Ugolin pour officialiser la restitution des Romarins à Manon. Ils découvrent la confession-testament d'Ugolin, puis qu'il s'est pendu à la branche d'un olivier. Les notables veulent également présenter leurs excuses à Manon et se rendent chez elle. Ils lui révèlent qu'Ugolin est mort et qu'il lui a cédé Les Romarins et, contrits, lui demandent de venir à la procession organisée au village. Après qu'ils se soient en allés, l'instituteur révèle à Manon le suicide d'Ugolin - "...l'hérédité, le remord, l'amour?" - et surtout la persuade de rendre l'eau au village, ce qu'ils vont réaliser ensemble.

Manon tente de persuader le curé de renoncer à la procession puisque l'eau va revenir tout prochainement. La procession a lieu, l'eau revient à la fontaine, les villageois sont heureux et le curé obtient son miracle. Manon vend sa récolte d'oeillets à un paysan voisin; avec l'argent, elle veut soigner sa mère. L'instituteur avoue son amour à Manon.

Manon des sources est le sommet de Pagnol au cinéma. Il y souffle un vent lyrique et depuis sa trilogie marseillaise, jamais Pagnol n’avait approché d’aussi prêt la puissance des tragédies antiques. Ce lyrisme naît d’abord de l’omniprésence de la terre, de l’eau, thème récurrent chez Pagnol que l’on retrouve dans La Fille du puisatier ou La Belle meunière, du vent, de la chaleur, la nature tout puissante dans laquelle l’homme cherche à trouver sa place. Pagnol capte à merveille l’atmosphère de la Provence, nous fait ressentir son aridité, ses senteurs, la beauté sèche de ses paysages, s’appuyant sur une bande sonore très riche, savamment composée autour des bruits de la nature. La musique de Raymond Legrand, très en retrait, évoque une présence discrète de l’homme au travers d’une partition s’inspirant de chants provençaux. Si elle se déchaîne parfois, lorsqu’elle accompagne la crise de folie d’Ugolin, elle est surtout l’évocation d’une communauté humaine vivant à l’ombre d’une nature toute puissante. La mythologie est également présente dans cette séquence où les villageois viennent faire des offrandes à Manon, déesse, augure, régnant sur le pays. Les villageois jouent également le rôle du chœur antique, commentant et expliquant l’action du film.

Force tellurique, images mythologiques, chœurs antiques sont utilisés par Pagnol pour développer sa tragédie moderne, tragédie qui met en scène non pas des héros mais des hommes simples, des hommes de tous les jours auxquels on s’identifie immédiatement. Le personnage de Manon trouve sa source dans la petite fadette de George Sand mais aussi et surtout dans la figure d’Antigone. Pagnol désirait, on l’a vu, écrire un rôle pour sa femme Jacqueline, et ce furent les deux personnages dont celle-ci très vite lui parla. Pagnol met également un brin de Jacqueline enfant, s’inspirant de ses souvenirs lorsqu’elle gardait les chèvres d’un oncle de Camargue. On le voit, deux courants traversent l’œuvre de Pagnol. Un courant intimiste où se côtoient ses souvenirs et ceux de sa femme, la vie d’un petit village et de ses habitants, et un courant universel qui emporte le cinéaste sur les rives de la tragédie.

Manon des sources marque par la terrible description de ce village qui a laissé sciemment mourir des "étrangers" en leur cachant la présence d’une source d’eau. Avec ce postulat de base, Pagnol s’écarte de tout un folklore du sud de la France auquel on le ramène constamment. Pourtant il n’est qu’à revoir ses réalisations pour se rendre compte que celles-ci en sont totalement dénuées, à moins de s’arrêter au seul accent du midi. Les œuvres de Pagnol ne se cantonnent jamais à une région, elles sont universelles et intemporelles.

 

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