Manchester by the Sea, film américain de Kenneth Lonergan, sorti en 2016

Distribution:

  • Casey Affleck : Lee Chandler
  • Michelle Williams : Randi
  • Lucas Hedges : Patrick Chandler
  • Kyle Chandler : Joe Chandler
  • C.J. Wilson : George
  • Anna Baryshnikov : Sandy
  • Gretchen Mol : Elise
  • Kara Hayward : Silvie
  • Heather Burns : Jill

Fiche technique:

  • Réalisation et scénario :Kenneth Lonergan
  • Direction artistique : Ruth De Jong
  • Photographie : Jody Lee Lipes
  • Montage : Jennifer Lame
  • Musique : Lesley Barber
  • Sociétés de production : The Affleck/Middleton Project, B Story, Big Indie Pictures, CMP, K Period Media et Pearl Street Films
  • Durée : 135 minutes
  • Dates de sortie : 23 janvier 2016 (festival du film de Sundance)
    • France : 14 décembre 2016
  • Oscar 2017 du meilleur scénario original
  • Oscar du meilleur acteur pour Casey Affleck

 

Lee Chandler, barbu, transi, le corps disparu sous les couches de vêtements, est l’homme à tout faire d’un grand ensemble, logeant en ermite dans un gourbi obscur. Il rend service comme plombier mais refuse les avances de locataires esseulées, laissant planer le mystère de ses relations avec les femmes. Personnage de part en part opaque, perclus, intense, granitique, englouti dans une douleur qui ne dit pas son nom et que le film mettra du temps à révéler, douleur de laquelle il s’extirpe à intervalles réguliers, en faisant, de manière alcoolisée et arbitraire, le coup de poing dans les bars.

Auteur d’un cinéma intimiste d’une amplitude et d’une sensibilité devenues rarissimes dans le cinéma américain, Lonergan livre avec Manchester by The Sea un récit bouleversant, mélodrame noueux et cristallin comme un matin d’hiver, débarrassé des canons comme des facilités du genre.

Le film va insensiblement nous apprendre à connaître Lee, le talent du réalisateur éclatant justement dans la mise en scène éblouissante qui permettra de lever le voile sur son mystère et sa culpabilité, dans le lyrisme délicat, puis de plus en plus intense et poignant, qu’elle dispense. L’accablement minéral qui cloue le héros au sol, Lonergan va lentement l’entamer, à compter d’un coup de téléphone. C’est l’hôpital qui annonce à Lee la mort de son frère, marin pêcheur malade de longue date, qui l’a désigné, en l’absence d’une femme alcoolique qui a quitté le foyer, comme tuteur de son fils Patrick. Lee n'est pas du tout préparé à cette nouvelle responsabilité. D'autant qu'elle implique un déménagement et un retour dans une ville où il a des souvenirs douloureux. Patrick, qui se partage entre deux petites amies et son groupe de rock, a dû mal à accepter son oncle comme tuteur.

Lee est donc obligé de revenir à Manchester by the Sea, sa ville natale désertée, il reprend contact avec son neveu, adolescent grave et résolu, le conflit est incessant entre les deux hommes sur à peu près tout. Lee, qui ne sait pas plus sentir les choses qu’il ne parvient à s’exprimer, voudrait tout bazarder de l’héritage de son frère, quitter la ville de ses mauvais souvenirs et emmener son neveu avec lui à Boston. Patrick, étonnamment mature, tente de ménager son oncle, tout en lui résistant fortement, lui qui veut vivre, voir ses amis, conserver le fer au feu de ses deux amies, garder le bateau de son père, comme le bien le plus précieux que celui-ci lui a légué. On ne sait qui, au juste, veille sur qui dans ce couple d’écorchés vifs, c’est l’une des grandes intelligences du film. Cette opposition, en laquelle l’appétit de la vie et l’appel du tombeau se livrent bataille, ne serait pas si vibrante si le film ne nous suggérait en même temps, par un système complexe, fragmentaire et souvent brutal de retours dans le passé, qu’elle se joue au-dessus d’un gouffre au bord duquel l’oncle Lee survit vaille que vaille, depuis un terrible accident qui a anéanti sa propre famille et il sent entièrement responsable.

La mort est très présente dans ce qu’elle a de plus cruel et de plus ravageur, la mort en ce qu’elle dénude chacun dans son inexorable injustice. Mais la beauté des images, ainsi que la musique d'Albinoni, exacerbe en même temps qu’elle soulage les effets de cette cruauté. Le titre du film, qui est celui du décor dans lequel il se déroule, saisit donc la forme et le fond, l’esprit même du récit. Le bleu-gris de la ville balnéaire, la brique des immeubles, la morsure de l’hiver, la peine qui, tel un manteau de neige, semble tout recouvrir, mais aussi le rayonnement de la lumière océanique, les heures insouciantes, les moments heureux dont on ne se doute pas combien ils seront chèrement payés.

Réduit à son résumé, le récit de Manchester by the Sea pourrait passer pour un mélo facile, un tire-larmes simpliste,mais c’est justement toute la réussite de Lonergan que d'épaissir son synopsis, de donner de la chair à ses grandes lignes. Il y parvient grâce au temps, dans un film de plus de deux heures, sans aucun moment faible. Il prend d’abord le temps de déployer un récit riche en virages et en couches dramaturgiques, mais aussi de regarder le charmant paysage maritime du Massachusetts et de traiter chaque scène avec toute l’intensité et la durée requises, sans hâte le mais sans non plus s’appesantir artificiellement et enfin d’entrer en empathie avec les protagonistes avant de révéler les grands ressorts secrets qui les habitent et les travaillent.

Il a l'habileté de traiter le temps comme un feuilleté de temporalités qui se mélangent sans cesse, où le passé agit sur le présent, où le temps subjectif perturbe le temps objectif, où les années qui ne passent pas viennent ombrer les années qui passent. Le vrai sujet de ce film, c’est cette ombre portée du temps, et comment on s’en libère un peu, beaucoup, ou pas du tout, en tous cas comment vivre avec. Loin des facilités du mélo sentimental hollywoodien, bouleversant grâce à sa tenue à distance du pathos, à son exigence de justesse et à sa précision, Manchester by the Sea réussit dans tous les domaines de cette espèce que l'on croyait en voie de disparition : le mélodrame.

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