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Le jour se lève , film français de Marcel Carné, sorti en 1939

 


Distribution:

  • Jean Gabin : François, ouvrier sableur
  • Jules Berry : Valentin, dresseur de chiens
  • Jacqueline Laurent : Françoise, la fleuriste
  • Arletty : Clara, la partenaire de Valentin
  • Arthur Devère : Mr Gerbois, un voisin de François
  • Jacques Baumer : Le commissaire
  • Mady Berry : La concierge
  • René Génin : Le concierge
  • Georges Douking : L'aveugle
  • Bernard Blier : Gaston, un collègue de François
  • Marcel Pérès : Paulo, un collègue de François

Fiche technique:

  • Réalisation : Marcel Carné
  • Scénario : Jacques Viot
  • Adaptation et dialogues : Jacques Prévert
  • Sociétés de production : Sigma Production, Vauban Production
  • Musique : Maurice Jaubert
  • Photographie : Curt Courant, André Bac, Philippe Agostini et Albert Viguier
  • Montage : René Le Hénaff
  • Format : Noir et blanc - - Mono - 35mm
  • Durée : 87 minutes
  • Date de sortie : 17 juin 1939 (France)

François ouvrier sableur vient de commettre l’irréparable, cloîtré dans sa petite chambre, un parallélisme prend forme : un homme effondré repasse dans sa mémoire les évènements qui l’ont forcé à exécuter cet acte insensé pendant que toute une logistique policière destinée à le déloger prend forme.

Il y a vraiment un gouffre d’incompréhension entre un Valentin provocateur et méprisant la classe ouvrière prenant plaisir à séduire par jeu la fragilité de Françoise promise à un François sans avenir, victime des conditions déplorables de travail dans une usine où les décibels meurtriers ruinent les éventuels espoirs de contacts entre les êtres. Dans cet îlot inhumain, les fleurs se fanent presque instantanément.

François retranché sent que la fin est proche sa raison l’abandonne, victime d’une technologie professionnelle quotidienne abrutissante mêlé d’un amour contrarié par la fausse lumière mensongère d’un vieux beau, il s’autodétruit par le crime en prononçant de sa fenêtre quelque temps après son méfait la phrase célèbre « Quel François ? Y a plus de François ». Symboliquement tout ceci dénonce à la veille de la Seconde Guerre mondiale le drame ouvrier qui, par sa condition fragilisé, éprouve de grosses difficultés à accéder à un concept simple : être doublement heureux par l'amour et l'utilisation d'un outil de travail décent.

Valentin n’a aucune consistance mais il est bien habillé et ne trime pas, avec de bons mots il grise Françoise qui rêve d’un ailleurs. De par sa condition François ne peut lutter. Les provocations volontaires répétées de Valentin déclenchent un mécanisme évolutif violent chez François, c’est le but recherché, débusquer chez cet être, considéré comme primaire par Valentin, ses facultés prédestinées à tuer. C’est un peu le schéma directeur de l’association Carné/Gabin dont le personnage déjà poussé à bout dans Quai des brumes semble conditionné au meurtre suite à des rencontres avec des éléments négatifs et perturbant un équilibre précaire. Une vraie malchance dont la finalité est un destin implacable.

Pour Le jour se lève, Alexandre Trauner fit construire un immeuble imposant censé représenter par sa froideur le retranchement d’un homme solitaire aveuglé, suite à son geste, par ses propres démons. L’étonnant procédé du flash-back, novateur pour l’époque, apporte une approche réflective de faits déterminants conduisant le héros vers l’acte final spontané et irréfléchi.

Le jour se lève c’est l’histoire d’un homme qui en a tué un autre. Pour quelle raison ? C’est ce que cette construction à rebours entend nous expliquer. François est seul dans son appartement, barricadé, avec pour seuls compagnons ses souvenirs qui viennent se heurter comme autant de papillons nocturnes au miroir de ses pensées. On découvre alors un homme partagé entre deux femmes. Clara est une femme usée par la vie, amoureuse de François et souffrant que cet amour ne soit pas réciproque. Françoise semble l’innocence même. Aimée par François, elle va pourtant nouer une étrange relation avec lui.

Le fil directeur entre ces deux femmes est un homme, un dresseur de chien violent et affabulateur, Valentin . Il a été le patron et l’amant de la première, et il a abusé de l’innocence de la seconde. De plus, il se plait à se jouer de François, à enfler cette jalousie presque palpable par moments.

Ce film est le dernier tourné avant-guerre par Marcel Carné, Le jour se lève figure à juste titre parmi les grands classiques du cinéma. Il est le résultat de la quatrième des nombreuses collaborations, toutes fructueuses, entre le réalisateur Marcel Carné et le poète-scénariste-dialoguiste Jacques Prévert. De par sa structure, il s’agit d’une véritable révolution narrative, puisque le film est un des premiers à être entièrement construit à partir de flashbacks. Une narration qui a d’ailleurs sensiblement dérouté le public de l’époque, habitué à ce qu’on le tienne par la main.

Gabin donne une profondeur exceptionnelle à son personnage, véritable tigre en cage prenant peu à peu conscience du caractère irrémédiable de son acte. La mise en scène de Carné ajoute encore à cette atmosphère oppressante avec un décor non pas en U, trois murs véritables et le quatrième servant à la technique, comme c’est le plus souvent le cas, mais avec quatre murs véritables, les opérateurs accédant à la petite chambre par le plafond. Cette chambre apparaît comme le seul élément « solide » du récit. Le temps lui s’étire, se dilate, projette certains souvenirs en avant, en enterre d’autres définitivement, le tout donnant un impact plus important aux réguliers retours au réel en crise du héros. Au final un très beau film sur l’amour, la mort, la jalousie, le désespoir, porté par de grands comédiens et bénéficiant d’une mise en scène soignée et originale. Rarement le distinguo entre amour et amitié n'a été abordé avec autant de franchise et de sobriété.

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