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Karakara, film canadien (et japonais) de Claude Gagnon, sorti en 2012

 

Distribution :

  • Gabriel Arcand : Pierre
  • Youki Kudoh : Junko
  • Takuya Maeda : capitaine de bateau
  • Tamae Maeda : Femme de l'hôtel Iheya Kanko
  • Toshi Moromi : Grand-maman Mekaru
  • Tamiko Naka : Femme de l'hôtel Mishima
  • Tenyu Okuda : maître Qi Gong
  • John Potter : Brian
  • Megumi Tomita : Akemi
  • Atta Yuichi : Kenichi

Fiche technique:

  • Titre original : Karakara
  • Réalisation : Claude Gagnon
  • Scénario : Claude Gagnon
  • Musique originale : Yukito Ara
  • Images : Michel St-Martin
  • Pays d'origine : Japon, Canada
  • Durée : 100 min
  • Dates de sortie : 28 août 2012 (Canada)
  • Lieux de tournage : Okinawa, Japon

Bande annonce

Pierre, un professeur de philosophie québécois à la retraite débarque tout droit de Montréal sur l’Île d’Okinawa afin de se ressourcer et de repenser sa vie. Il termine un stage de Qi Gong et compte partir tranquillement pour une semaine de découverte de l'île. Mais il rencontre Junko, qui se propose tout d'abord spontanément comme interprète bénévole. Bien qu’il souhaite voyager en toute quiétude, Pierre accepte la présence de cette femme à la quarantaine pétulante et qui lui avoue alors avoir fui le domicile conjugal en raison de l'attitude violente de son mari. Pierre est plutôt confus et hésite à poursuivre cette nouvelle relation inattendue. Mais pris d'un élan difficile à expliquer, il décide de suivre sa destinée, quel que soit l'endroit où cette aventure le mènera et les péripéties qui en découleront.

En japonais, le mot karakara renvoie à une carafe dont on se sert pour la liqueur awamori; signifiant "vide vide", ce mot se veut la reproduction du son de la boule que l’on glisse dans la carafe pour indiquer qu’elle est vide. C’est en buvant de l’alcool que Pierre retrouve goût à la vie. En quelque sorte, karakara correspond à son vide intérieur. Le thème du renouveau de l’homme occidental, fragilisé par un événement personnel dramatique, est mis en avant. La crainte de la mort que le professeur à la retraite ressent se retrouve confrontée à l’apparente éternité des paysages et des pratiques ancestrales japonaises.

Au contact d’un Japon traditionnel fascinant et qui semble figé dans l’histoire depuis une éternité, Pierre puise les forces nécessaires pour remettre en cause ses propres valeurs et retrouver espoir en la vie, aidé en cela par une improbable amourette avec une jeune femme souffrant elle aussi de difficultés dans sa vie personnelle. Dans ce bain de jouvence inspiré par des personnages locaux plus grands que nature et par l’envoûtante beauté des paysages de l’Île d’Okinawa, Claude Gagnon nous renvoie le portrait d’une société japonaise, où la sérénité se vit à chaque instant et où l’artisanat devient source de longévité. Il évite le point de vue touristique lorsqu’il filme la fabrication de kimonos tissés en fibre de bananier (bashofu).

Claude Gagnon ne se gêne pas pour dénoncer la présence des américains, stationnés dans cette île du Japon, dont ils occupent un bon quart, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et des effets néfastes de leur culture bulldozer. Par ailleurs, il n'hésite pas, même si c'est avec humour et légèreté, à dénoncer la violence conjugale, qui existe bien dans ce pays, mais qui reste trop souvent dans la sphère privée.

Karakara est un road movie original et apaisant, qui bénéficie en outre d’une interprétation épatante. Youki Kudoh est une actrice dans la plénitude de son art, surprenante et rafraîchissante. En Gabriel Arcand, Claude Gagnon a trouvé l’acteur parfait pour nous guider dans cette lente quête initiatique en sol japonais. D’une force tranquille, tout en retenue, l’acteur devient en quelque sorte l’alter ego du spectateur, qui partagera avec lui le même agréable dépaysement, le même irrésistible envoûtement, les mêmes surprises, les bonnes comme les mauvaises. Il est savoureux de le voir, lui le végétarien convaincu, savourer un délicieux porc sauté, et lui, le non-violent pacifiste être conduit au poste de police pour avoir fait le coup de poing avec le mari jaloux.

Par rapport à ses films précédents, Claude Gagnon a choisi de simplifier son propos en donnant moins de profondeur psychologique. Karakara est en effet émaillé de plusieurs touches humoristiques qui allègent les tensions sans leur faire perdre leur sens ni leur importance. Ainsi la pudeur légendaire des Japonais est battue en brèche par les cris puissants que pousse Junko dans l'acte d'amour. L’opposition des cultures et des modes de vie se fait ici tout en finesse, dans la contemplation plus que dans la confrontation.

Claude Gagnon déclare :
-"J’aime beaucoup la complémentarité des gens. Ne pas être pareil à l’autre, c’est toujours un plus, jamais un moins"
-"J’ignore à quel moment Pierre a perdu sa passion, mais je sais qu’il cherche dans la mauvaise direction, poursuit-il. J’ai rencontré beaucoup de ces étrangers qui vont en Asie en quête de spiritualité, qui croient que celle-ci signifie ne plus avoir de vie. Ces gens vont trop loin dans leur quête, comme lui rappelle à la fin de son stage son maître de Qi Gong. Il ne faut jamais aller trop loin ni ne brûler d’étapes dans les opérations de ce genre-là."
-"Originaire de Tokyo, Junko est, à l’instar de Pierre, déracinée, en perte de repères. Je crois beaucoup à cette notion de déracinement. Quand on est confronté à une autre réalité, on se questionne différemment. Le point le plus important, c’est de se donner un contexte nous permettant de le faire. J’aime beaucoup l’idée de l’étranger; mon prochain film fera des liens entre le Québec et la Hongrie. Il ne s’agit pas d’une fuite, mais d’un repositionnement dans un milieu différent."
- "La plus grande différence sociale entre l’Asie et l’Occident, c’est le respect de l’âge et cette notion que l’on peut apprendre l’un de l’autre. La relation intergénérationnelle est hyper importante; moi qui ai souvent engagé des jeunes, j’ai toujours cru à cette stimulation. Ce qui est fascinant à Okinawa, c’est que les enfants communiquent et jouent avec les gens âgés. Chez nous, on a un peu peur des rides, on rejette l’âge et on perd en crédibilité en vieillissant."
-"Au cours de sa quête initiatique, Pierre développera un intérêt envers une artisane nonagénaire, considérée comme un trésor national, qui pratique le bashofu, technique de tissage de fibres de bananier. Celui qui a enseigné toute sa vie retrouvera-t-il l’équilibre en redevenant élève? Il faut apprendre à vivre. À une certaine époque, on avait des modèles pour cela. Aujourd’hui, on doit se débrouiller. C’est l’éternel "to be or not to be". J’ai passé ma vie à me questionner."

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