Un ancien sergent d'infanterie, Joseph Bouvier a été traumatisé par
une déception amoureuse. Esprit simple et exalté, nourri de slogans anarchistes,
il va parcourir les villages en égorgeant et violant bergers et bergères,
entre deux airs d'accordéon. Ces scènes se passent dans la campagne
ardéchoise, en 1893.
Un juge de province le suit patiemment à la trace et, après un interrogatoire
serré, parvient à le confondre. Bouvier sera exécuté, sans se départir
de sa faconde, et aura les honneurs des gazettes. Par contagion, ou par
dépit, le juge ira sodomiser honteusement sa petite amie.
Partant d'un fait divers criminel assez sordide , l'affaire Vacher
, dont il a respecté la trame générale, en l'assaisonnant de vérités historiques
à sa façon, Tavernier a réussi la prouesse de brosser le tableau exact
d'une époque.
Cinéaste des coups de coeur, très marqué par l'« ancienne vague » française,
Bertrand Tavernier (né en 1941) aime les imageries violentes, les scénarios
solidement charpentés, les histoires d'hommes, où peut se glisser en filigrane
une idéologie frondeuse, axée sur un gauchisme naturaliste.
Ce qui passionne Bertrand Tavernier, c'est l'affrontement de deux violences.
Une violence démente, incontrôlable, et une autre légale, répressive,
insidieuse. L'une comme l'autre sont révélatrices des dérives d'une époque
grisée de fanatismes. Tavernier dénonce une justice de classe et les excès
du pouvoir. Bouvier, le tueur dévot, ne sera pas tant jugé parce qu'il
trucidait les chairs fraîches que parce qu'il émettait des théories dangereuses
pour la société bourgeoise. Comme le dit le procureur, un royaliste maurrassien
et antisémite : « C'est un pauvre, il n'a aucune chance ! » C'est l'époque
où les dames font signer des pétitions « patriotiques contre le traître
Dreyfus » aux clochards contre une assiette de soupe, où l'on brûle les
livres de Zola en place publique.
À travers les rapports ambigus, de classe et de comportement, qui se nouent
entre un trimardeur anarchiste et un magistrat puritain se dessinent les
contours d'une société étriquée, réactionnaire, complice de toutes les
répressions passées et à venir, qui dévore ses propres enfants.
Une uvre tonique, dont les maladresses n'entament pas la sympathique
intégrité.
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