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Journal intime, un film italien de Nanni Moretti, sorti en 1994

 

Distribution:

  • Nanni Moretti
  • Renato Carpentieri (Gerardo)
  • Antonio Neiwiller (le maire de Stromboli)
  • Giovanna Bozzolo
  • Sebastiano Nardone
  • Antonio Petrocelli
  • Giulio Base
  • Italo Spinelli
  • Carlo Mazzacurati
  • Jennifer Beals
  • Alexandre Rockwell

Fiche technique:

  • Titre original: Caro diario
  • Réalisation :Nanni Moretti
  • Scénario : Nanni Moretti
  • Musique : Nicola Piovani
  • Date de sortie : 12 novembre 1993 (Italie)
    20 mai 1994 (France)
  • Durée : 100 minutes

Récompense:

Prix de la Mise en scène à Cannes 1994

Le film se compose de trois épisodes:

Le premier épisode, En Vespa, montre l'acteur dans sa promenade en Vespa à travers les quartiers d'une Rome estivale et à moitié déserte, interrogeant des passants. La photographie des beautés du paysage architectural et monumental accompagne les réflexions du réalisateur qui passent de la critique cinématographique en général et du cinéma hollywoodien en particulier, à la sociologie et à la complexité urbanistique de tous ces quartiers périphériques de la capitale. Sa plus grande joie, danser dans un bal populaire.
Parfois, il s'arrête pour voir un film dans un bar. L'épisode s'ouvre à Garbatella et se termine à Ostie, sur le lieu où fut assassiné Pier Paolo Pasolini, où se trouve un monument érigé à sa mémoire et où Moretti se rend, accompagné d'une musique de Keith Jarrett. L'une des scènes les plus caractéristiques de cet épisode est celle de la visite à Spinaceto, un quartier du sud de la capitale, dont Moretti parcours les rues après en avoir entendu parler de manière négative : « Alors, allons voir Spinaceto ».

Dans le second épisode, Les Îles, Moretti est en voyage dans les Îles Éoliennes, fuyant la frénésie de la vie citadine. En visite sur l'île de Lipari chez son ami Gerardo où il s'est retiré pour étudier, il ne réussit cependant pas à trouver la tranquillité tant convoitée dans la confusion touristique. Les deux amis se rendent alors sur l'île de Salina, où ils sont accueillis chez un couple d'amis de Gerardo, lesquels se débattent avec l'éducation problématique de leur fils, un enfant gâté et télédépendant. Gerardo, depuis toujours allergique à la télévision se découvre étonnamment séduit, en particulier par les soap opera. Sur l'île de Stromboli, le maire mégalomane voudrait les entraîner dans des projets extravagants.
En visitant le volcan, Gerardo réussit à demander à des touristes américains de lui révéler en avant-première les événements du soap opera Amour, Gloire et Beauté, pas encore diffusé en Italie, mais tous les types de programmes télévisuels l'attirent désormais, trouvant dans chacun d'eux différents mobiles intellectuels. Les deux hommes décident d'aller vers Panarea mais ce choix se révèle également malheureux, car ils tombent sur deux animatrices d'événements mondains et repartent à la course vers l'hydroglisseur. Découragé par cet nième échec, Moretti décide de se rendre sur l'île d'Alicudi, la plus « sauvage » de l'archipel, dépourvue d'eau courante et d'électricité. Ils semblent finalement satisfaits quant l'ami Gerardo s'enfuit de l'île, désespéré, se rendant compte que, alors qu'il n'en ressentait pas le manque, il allait être privé de télévision.

Le dernier épisode, Les Médecins, raconte son odyssée, autobiographique et en partie filmée depuis la vie réelle, aux prises avec un lymphome de Hodgkin (tumeur du système lymphatique au pronostic plus favorable en regard du lymphome non Hodgkin), dont il ne s'est rendu compte qu'après une série d'avis discordants, consultations imprécises, soins inutiles et dispendieux. À partir du symptôme d'un prurit en évolution au point de perturber son sommeil, de transpiration et d'amaigrissement, il s'adresse en vain à plusieurs « lumières » de la dermatologie, obtenant seulement de continuelles prescriptions pharmaceutiques, de différents types de shampoings et enfin d'une cure dans une localité balnéaire. Après avoir risqué un choc anaphylactique à cause d'un vaccin qui se révélera inutile, il se tourne vers la médecine orientale. Un médecin acupuncteur lui conseille des contrôles radiographiques ; le scanner semble indiquer la présence d'un sarcome pulmonaire incurable ; l'intervention chirurgicale met cette fois en évidence un lymphome de Hodgkin pour lequel le réalisateur commence des séances de chimiothérapie. En consultant une encyclopédie médicale, Moretti trouve la confirmation de ce que les symptômes de cette maladie sont bien ceux dont il a souffert et dont il a toujours fait état en anamnèse. Déçu (« les médecins savent parler mais pas écouter », l'épisode, raconté à la table d'un bar remplie des produits achetés, se conclut par un amer et sarcastique brindisi avec un verre d'eau avalé l'estomac vide (« ils disent que ça fait du bien »).

Nanni Moretti (né en 1953) se situe à la gauche de l'échiquier politique italien : « je suis de gauche et ce qui m'intéresse, c'est d'ironiser sur la gauche, de la critiquer, de la stigmatiser. »

Après l'accession de Silvio Berlusconi au pouvoir, Moretti s'affirmera comme l'un des maîtres à penser d'une gauche en panne de projet. Journal intime, insolite et charmeur, grave et primesautier, est à l'image de son auteur qui y délivre, avec le sourire, un message dans le droit fil des idées qu'il défend depuis toujours : " Je ne veux plus hurler contre les autres, je ne suis pas résigné, j'ai compris qu'ils sont comme ils décident d'être et non pas comme je désire qu'ils soient"

Ce film arrive à être à la fois très égocentrique et très généreux. Nanni Moretti ne parle dans ces trois chapitres de son "Journal intime" que d'une seule chose : lui-même.
Mais en parlant de lui seul, il nous renvoie à nos propres réalités, limites, désirs. On trouve dans cette œuvre des expressions de son auteur sur le monde qui l'entoure : le cinéma italien, le refus de la violence au cinéma, la peur de la bêtise, celle de la majorité, celle des intellectuels, des parents, des enfants, des médecins.

C'est aussi un formidable étalage de personnages plus drôles les uns que les autres : Moretti, lui-même, chevauchant sa Vespa à travers les différents quartiers de Rome la belle, dansant au milieu d'une fête ou dans une trattoria, s'arrêtant pour aller au cinéma, visiter une maison sous un prétexte fallacieux, le repérage pour une comédie musicale sur un pâtissier trotskiste dans l'Italie des années 30, abordant un automobiliste pour lui asséner une vérité ou Jennifer Beals pour s'extasier sur la commodité de ses chaussures et passer pour un fou.

Moretti encore, allant d'île en île à la recherche d'un lieu où créer, errant de médecin en médecin pour trouver un remède à ce mal qui le ronge.
Gerardo, son ami, grand intellectuel qui finit par tomber amoureux des soap-operas brésiliens.
Le maire de Stromboli rêvant de faire de son île un film. Les parents de cette île où leurs enfants uniques font la loi et empêchent les conversations téléphoniques d'aboutir à autre chose qu'un ubuesque zoo sonore.
Ce critique de cinéma qui rongé par le remords pleure sur son oreiller.
Ces médecins, prince des dermatologues ou acupuncteur chinois, qui ne savent pas écouter. Quelques moments touchants viennent aussi nous rappeler que tous cela n'est pas très loin de la vie : "que ce serait beau un film fait uniquement de maisons" nous dit Moretti en nous faisant visiter la ville telle qu'il la connaît, au delà des parcours touristiques, sa visite au monument en mémoire de l'assassinat de Pier Paolo Pasolini, ce ballon de foot rebondissant devant un bateau qui quitte le port, la détresse grandissante de cet homme face à une médecine sourde, sa dernière chimiothérapie.

Et enfin il y a ce regard du dernier plan, où l'auteur/acteur nous regarde droit dans les yeux, comme pour nous dire : "et toi, qui est tu ?"

ce film est soutenu et traversé par une bande-son extraordinaire par la qualité et l'éclectisme de sa musique de Nicola Piovani, Khaled, Keith Jarret, ...

Ces réflexions intimes s'adressent au plus grand nombre, dans un langage simple, pour témoigner, au-delà du particulier, d'un malaise général. Pour se moquer du conformisme , fut-il de gauche et dénoncer l'arrogance des médecins qui ne savent pas écouter leurs patients.

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