Un homme intègre, film iranien de Mohammad Rasoulof, sorti en 2017

Distribution:

  • Reza Akhlaghirad : Reza
  • Soudabeh Beizaee : Hadis

Fiche technique:

  • Titre original :Lerd
  • Réalisation : Mohammad Rasoulof
  • Scénario : Mohammad Rasoulof
  • Musique : Peyman Yazdanian
  • Pays d'origine : Iran
  • Date de sortie : 19 mai 2017 (Festival de Cannes)

Distinction: Prix "Un certain regard" au Festival de Cannes

Reza, pourtant titulaire d'un diplôme universitaire, a quitté Téhéran pour s’installer à la campagne avec sa femme et son jeune fils. Il s'est reconverti en modeste éleveur de poissons rouges, tandis que sa femme est directrice du collège local de jeunes filles. Bon mari, bon père, il n’a pas d’autre ambition que de vivre des fruits de son travail. En toute tranquillité, et surtout en toute intégrité. Un pot-de-vin versé à son banquier lui permettrait d’alléger les agios de retard de ses dettes. Mais Reza préfère vendre une de ses voitures et payer l'intégralité de la facture pour ne pas avoir à se compromettre.

Mais la vie de Reza devient un enfer quand la société de distribution d’eau décide de récupérer son terrain. La « Compagnie » fait pression sur le pisciculteur et sa famille. Matériellement, d’abord, puis physiquement. Mais ce ferme refus tourne au cauchemar, on coupe son eau puis comme il se querelle avec son opposant autour d'une vanne, il est accusé de l'avoir blessé. Puis on empoisonne son eau, il se retrouve englouti dans une marée solide de cadavres de poissons rouges, et les dettes, les hypothèques et les contraventions s’abattent sur lui, les fausses accusations pleuvent et le conduisent au poste de police où il doit prouver l’impossible à des policiers eux aussi corrompus et de connivence avec la compagnie.

Une seringue que l'on suppose remplie d’alcool est plantée dans la rondeur d’une pastèque en gros plan ouvre symboliquement le film. Au premier degré, il s'agit de contourner l'interdiction de l'alcool, mais on croit un instant voir un crâne. Un crâne dans lequel il s’agit à toute force d’instiller qu’il n’y a pas d’autre échappatoire que d’accepter la corruption, les abus de pouvoir sous la fausse piété et le pliage d’échine, obligatoires sous peine d’entrer dans un labyrinthe d’obstacles qui broient ce qu’on est, détruisent la famille.

Dans cet univers, les puissants, au nom de la religion, se permettent tout. Tout s’achète, sous le manteau, alcool, drogue, tout se négocie, un coup de pouce pour qu’une plainte soit traitée en priorité par le juge ; un certificat bidon délivré par un médecin-légiste complaisant. Reza semble le seul à refuser ce système de petits arrangements et de passe-droits où tout le monde est complice. Quand le beau-frère de Reza glisse quelques billets aux employés du tribunal pour accélérer sa sortie de prison, il les excuserait presque : « Il faut bien qu’ils vivent. Ils n’ont qu’un salaire de fonctionnaire… » Dans ce contexte, les intérêts économiques, le pouvoir politique et les interdits religieux se confondent pour mieux contrôler les citoyens.

L’Iranien Mohammad Rasoulof est, lui aussi, un résistant, et un cinéaste courageux. Au revoir (2011), son deuxième long métrage, était un réquisitoire terrifiant contre la république islamique et ses méthodes de persécution policière, un monde étouffant, mortifère, où le seul espoir était la fuite. Le réalisateur, condamné par un tribunal de Téhéran, sait qu’il peut être envoyé en prison à tout moment. Cela ne l’a pas dissuadé de tourner ce film, une charge implacable contre la corruption généralisée au pays des mollahs. Il dénonce aussi l'exclusion généralisée de tous ceux qui ne rentrent pas dans le rang : les idéalistes comme Reza, ou les non-musulmans refusant de renier leur foi, avec parfois la complicité de la propre femme de Reza, obligée par sa position de directrice d'école. Dans une séquence bouleversante, des parents sont expulsés du cimetière où ils voulaient enterrer leur fille lycéenne qui s'est suicidée en raison de son exclusion.

Désormais, lui explique un de ses amis d’université devenu un trader prospère, «l’intelligence sociale consiste, d’abord, à raser les murs ». Le cinéaste entretient, par sa mise en scène précise, une tension permanente. Des aboiements au loin, dans la nuit, suffisent à créer l’angoisse. Le film devient vite un cauchemar éveillé sans artifices avec le vacarme des corbeaux qui planent au-dessus des étangs, la maison en flammes au crépuscule. Et le cauchemar est sans fin : dès que Reza pense avoir résolu un problème, il doit faire face à une nouvelle catastrophe, plus dramatique encore. Son beau-frère l’avait prévenu : « Certains apprennent vite, d’autres moins. Certains trop, d’autres pas assez. » Reza, lui, prendra son temps, mais s’endurcira. A son tour, il monte une machination machiavélique. Et voilà l’homme intègre salué, récompensé par ce système corrupteur qu’il a tant combattu, et dont il pourrait, s’il le souhaitait, devenir l’un des rouages interchangeables.

Même si Rasoulof tente de ruser avec la censure islamique en ne révélant pas l'intégralité de son scénario, il respecte les codes du cinéma dit coranique. En bref, pas de contact entre hommes et femmes, pas de violence, pas d'attaque de la religion. Mais ces contraintes ont un effet positif sur son style, il engendre un formidable art de l’ellipse. Impossible de montrer la moindre étreinte même pour un couple légitime; alors un jeu d'ombres, et le lait, abandonné sur le feu, qui déborde, sont des symboles très forts. Comme souvent dans les films iraniens, la voiture arrêtée est l’endroit où les personnages peuvent se livrer à des transactions ou discuter sans crainte d’être espionnés. Et comme souvent dans ce cinéma, les femmes, aussi voilées soient-elles, se trouvent à égalité d’initiative et de responsabilité dans leur couple.

Le réalisateur Mohammad Rasoulof

Mohammad Rasoulof est né en 1973 à Chiraz, Iran
Mohammad Rasoulof a étudié la sociologie à l'Université de Chiraz, puis le montage cinématographique à l'institut d'études supérieures Sooreh de Téhéran. En décembre 2010, il a été arrêté avec Jafar Panahi, avec qui il coréalisait un film, pour « actes et propagande hostiles à la République Islamique d'Iran ».
Mohammad Rasoulof a été condamné à un an de prison et Jafar Panahi à six ans.
Le film Les manuscrits ne brûlent pas est présenté au Festival de Cannes 2013 en sélection Un certain regard dont il remporte le Prix FIPRESCI.
Son film Un homme intègre lui vaut des ennuis dans son pays (passeport confisqué, convocation à un interrogatoire) des autorités qui l’accusent d'activités contre la sécurité nationale et de propagande contre le régime.

Filmographie

  • 2002 : Gagooman
  • 2005 : La Vie sur l'eau (Jazireh ahani)
  • 2008 : Baad-e-daboor (documentaire)
  • 2009 : The White Meadows (Keshtzar haye sepid)
  • 2011 : Au revoir (Bé omid é didar)
  • 2013 : Les manuscrits ne brûlent pas (Dast-Neveshtehaa Nemisoozand)
  • 2017 : Un homme intègre (Lerd)

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