Fuocoammare, par-delà Lampedusa, film documentaire (Italie/France) de Gianfranco Rosi, sorti en 2016

Distribution:

  • Pietro Bartolo : lui-même
  • Samuele Caruana : lui-même
  • Maria Costa : elle-même
  • Mattias Cucina : lui-même
  • Giuseppe Fragapane : lui-même
  • Francesco Mannino : lui-même

Fiche technique:

  • Réalisation : Gianfranco Rosi
  • Scénario : Gianfranco Rosi et Carla Cattani
  • Photographie : Gianfranco Rosi
  • Montage : Jacopo Quadri
  • Musique : Stefano Grosso
  • Durée : 108 minutes
  • Dates de sortie : 13 février (Berlin)
  • France : 28 septembre 2016

Récompenses : Ours d'or Berlin 2016
Prix du Jury Œcuménique
Prix Amnesty International

Samuele a 12 ans et vit sur une île. Il va à l’école, adore tirer et chasser avec sa fronde. Il aime les jeux terrestres, même si tout autour de lui parle de la mer et des hommes, des femmes, des enfants qui tentent de la traverser pour rejoindre son île. Car il n’est pas sur une île comme les autres. Cette île s’appelle Lampedusa et c’est une frontière hautement symbolique de l’Europe, traversée ces 20 dernières années par des milliers de migrants en quête de liberté.

L’histoire de Fuocoammare, c’est la nôtre, c’est celle de l’Europe, de cette Europe recroquevillée sur elle-même, qui ne sait pas, qui ne veut pas savoir ce qui se passe à ses frontières. Mais elle est également l’histoire des européens qui s’engagent pour porter secours aux réfugiés et aux migrants en mer, malgré le repli sur soi prôné par les responsables européens. Un film poignant qui dévoile le contraste entre la vie paisible à Lampedusa et les tragédies qui se déroulent aux frontières de l’Europe.

A partir de quelques portraits seulement, un médecin, un animateur d'une radio locale et la famille d'un garçon de 12 ans nommé Samuele, une sorte de récit s'élabore. Quand les chansons s'arrêtent, la radio parle de naufragés, de réfugiés qui ont péri au large. Le médecin les a vus de près, ces morts. Et la grand-mère de Samuele lui raconte comment les hommes, pendant la guerre, avaient peur de s'embarquer la nuit sur une mer rendue rouge par les bombardements. La chanson Fuocoammare, « la mer en feu », date de cette époque. Et au moment où la grand-mère parle à Samuele, le tonnerre surgit à Lampedusa.

Gianfranco Rosi établit des résonances subtiles, jamais soulignées. Autour de la mer, des échos très forts se répercutent. La réalité gronde. Et quand le cinéaste part lui-même au large avec les équipes de secours, il filme la mort d'aussi près que le médecin l'a vue. Une expérience terrible dont celui-ci dit : « Ça laisse comme un trou, un vide à l'intérieur. » Ce vide, on le ressent tout au long de Fuocoammare. Car c'est aussi le silence qui trouve un écho à travers ces images que n'accompagne aucun commentaire. Au milieu d'une mer immense, ce film éclaire, comme une fusée de détresse, un désert de réactions.

Citations:

Gianfranco Rosi a cherché à faire un film sur Lampedusa, cette petite île surexposée médiatiquement depuis quelques années en raison du nombre de migrants qui y arrivent, ou meurent avant d’y accoster, mais il n'a pas voulu faire un film axés seulement sur les migrants. Le metteur en scène a plutôt opté pour se centrer sur ce lieu dans sa globalité et non uniquement sur les tragédies qui s'y déroulent. Il explique son point de vue :"Le grand défi à Lampedusa était de trouver un autre point de vue que celui présenté par les milliers d’images en provenance de là-bas. Les médias arrivent sur les lieux seulement lorsqu’une tragédie survient et repartent avec des images qui se ressemblent toutes. À Lampedusa, la plupart des habitants détestent les journalistes, et j’ai passé plusieurs mois sur l’île, sans caméra, à aller à la rencontre des habitants, avant de commencer à tourner. Pour réaliser des images différentes de ce qu’on peut voir à la télévision, pour changer de point de vue, j’ai besoin de transférer tout ce qui se passe sur cette île à l’intérieur des personnages. Je prends le lieu comme un élément à part entière, que je filme à travers ceux que j’ai choisis pour m’accompagner, en montrant la relation entre eux et l’endroit. Après avoir rencontré suffisamment de gens, un itinéraire mental se crée, qui me permet de créer un vide autour des personnages. C’est alors que je peux commencer à raconter les histoires permises par ces rencontres. Dans le film, Lampedusa peut paraître vide. Tout est vu à travers un enfant, un docteur et un DJ de la radio locale. Mais ce vide que je crée en me concentrant sur quelques personnages les relie entre eux comme le blanc qui sépare deux notes sur une partition, ce silence qui est aussi important que le son lui-même. La narration se fait donc à travers ces personnes, devenues des personnages, et une approche cinématographique qui me permet de donner à la réalité un impact plus fort."

Gianfranco Rosi n'a pas voulu délivrer un message ni faire passer une thèse avec son film. Il n'a pas non plus cherché à ce que les informations prennent le pas sur le réel et sur l'interprétation des images par les spectateurs. "Là où les médias croient rendre compte de la réalité en empilant les informations et les images, je préfère fermer certaines portes, plutôt que les ouvrir toutes grandes avec des chiffres, des explications et des interviews, pour rendre le public curieux, intrigué et le laisser imaginer et ressentir." Il poursuit toutefois « Mais le film amène celui qui le regarde à un état intérieur bien plus fort que ce que peuvent susciter des informations sur un sujet similaire. Il y a une scène où une femme fait la cuisine, entend le nombre de morts en mer et s’exclame «pauvres gens», tout en continuant à vaquer à ses occupations. Les migrants qui meurent en mer sont souvent réduits à des chiffres qui ne disent pas grand chose de la réalité. Nous sommes donc les témoins d’une tragédie européenne qui est sans doute la plus grande depuis l’holocauste et, au lieu de créer un pont humanitaire pour ces gens qui continueront, quoi qu’il leur en coûte, à vouloir échapper aux guerres et aux désastres économiques, nous les laissons mourir en mer par dizaines de milliers. Face à cette indifférence, mon film veut créer une prise de conscience émotionnelle. Mais pour cela il ne suffit pas de montrer des images tragiques, mais d’amener le spectateur à saisir au plus profond de lui même ce qui nous arrive. Nous sommes tous, collectivement et individuellement, responsable de ces atrocités ».

« De ce travail d’immersion, Gianfranco Rosi, seul derrière sa caméra, a rapporté des images puissantes, dénuées de commentaire, auxquelles le cinéaste confère une dimension allégorique grâce à un montage audacieux, qui privilégie la réflexion à l’émotion immédiate. » Olivier Père, arte.tv, 21 février 2016

Le contexte du film : l’opération italienne « Mare Nostrum » en 2014

Le film-documentaire se situe sur et au large de l’île italienne de Lampedusa, point le plus au sud du territoire italien, à 170 km de la Tunisie et 350 km de la Libye. Cette île de 6 000 habitants est un des points de passage de l’Union européenne les plus importants pour les migrants et réfugiés provenant d’Afrique qui ont transité par la Tunisie et surtout la Lybie. Les premiers migrants y sont arrivés au début des années 1990 parce que d’autres voies européennes, avaient été fermées. Ils sont aujourd’hui plusieurs centaines à arriver chaque jour, transbordés la plupart du temps d’un bateau de gardes côtes au centre d’accueil et d’enregistrement , avant d’être éventuellement acheminés vers le continent.

La mer Méditerranée est la route la plus dangereuse au monde. Plus de 5.400 personnes sont mortes sur la route de l’exil en 2015 ; 3.600 en tentant de franchir la Méditerranée. En 2016, 4,231 personnes sont mortes au niveau mondial, dont 3.165 dans la Méditerranée. La traversée de la Méditerranée est donc la route la plus dangereuse au monde pour les migrants et les réfugiés. En octobre 2013, 2 naufrages au large de Lampedusa font 400 morts dont la majeure partie était des érythréens. L’opinion publique est profondément choquée. En octobre 2013, l’Italie met en place l’opération « Mare Nostrum » dont l’objectif est de sauver les personnes en mer. Le budget est de 9 millions d’euros par mois. Mais l’Italie met une condition : elle n’entend pas supporter à elle seule la charge de l’opération « Mare Nostrum ». Elle demande aux autres Etats de l’UE d’y participer, sans quoi elle arrêtera « Mare Nostrum » fin 2014.

Amnesty International constate et salue l’efficacité de l’initiative italienne et appelle à ce que les autres pays de l’UE fassent preuve de solidarité en participant ou contribuant à cet effort. « Mare Nostrum » aura permis de sauver plus de 160 000 personnes. Néanmoins 3519 morts seront recensés en méditerranée en 2014, démontrant la nécessite de maintenir une opération de sauvetage en mer de grande envergure. . Fin 2014, les Etats de l’UE ayant signifié leur refus de participer à l’opération, l’Italie arrête la campagne. Début 2015, l’UE via son agence Frontex met en place l’opération « Triton ». Le budget s’élève à un tiers de celui de « Mare Nostrum ». Les bateaux ne peuvent pas quitter la région côtière alors que c’est en haute mer qu’ont lieu la plupart des naufrages. De plus, les objectifs assignés à Triton ne sont pas clairs.

Le début de l’année 2015 est catastrophique. Les 12 et 19 avril deux naufrages font 1200 morts. L’opinion publique est ébranlée. Des sommets européens extraordinaires sont enfin consacrés à la question, dont celui du 23 avril au cours duquel il est décidé de tripler le budget de Triton et de redéfinir les zones d’intervention, en haute mer et proches des côtes libyennes. Est lancée également l‘opération Poséidon en mer Egée. En définitive, les moyens de « Triton 2 » sont nettement supérieurs à ceux de « Mare Nostrum ». Le 3 septembre 2015, la photo du petit Aylan Kurdi échoué sur la plage de Bodrum fait le tour du monde. Les réactions de l’opinion publique sont vives. Beaucoup de citoyens s’engagent individuellement ou au sein de collectifs pour accueillir des réfugiés.

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