Les pages de Ciné-Passion . . .

Ces pages sont rédigées par et pour des passionnés du cinéma.
Pour nous joindre, déposer vos questions ou remarques: Ciné-Passion . . . . Les autres films cultes

La Femme gauchère ( Die Linkshändige Frau) film allemand de Peter Handke, sorti en 1978

Distribution:

  • Edith Clever : Marianne, la femme
  • Markus Mühleisen : Stefan, le fils
  • Bruno Ganz : Bruno, le mari
  • Michael Lonsdale : le serveur
  • Angela Winkler : Franziska, le professeur
  • Bernhard Wicki : l’éditeur
  • Rüdiger Vogler : l’acteur
  • Jany Holt : la femme à la réunion du café
  • Gérard Depardieu : l'homme en tee-shirt

Fiche technique:

  • Titre original : Die Linkshändige Frau
  • Réalisation : Peter Handke
  • Scénario : Peter Handke d’après son roman Die Linkshändige Frau (1976)
  • Photographie : Robby Müller
  • Montage : Peter Przygodda
  • Producteurs : Wim Wenders, Joachim von Mengershausen (WDR)
  • Durée : 115 minutes
  • Dates de sortie :
    • France mai 1978 (Cannes)
    • Allemagne 26 mai 1978
  • Distinctions
    • Guilde allemande du film d’art 1978 : prix du meilleur film allemand
    • Sélection officielle Festival de Cannes 1978

Marianne et Bruno, un couple d'Allemands, sont mariés depuis dix ans et habitent à Clamart, une banlieue résidentielle de la région parisienne. Bruno est l’efficace directeur d’une société implantée à Paris. Marianne, comme si elle avait eu une soudaine illumination et sans autre raison apparente, explique à Bruno qu’elle souhaite se séparer de lui afin d’élever seule Stefan, leur fils unique. Elle se trouve confrontée à des problèmes qu’elle ignorait jusqu’alors : difficultés matérielles et de communication, puis la solitude qui s’installe avec l’indépendance dans une banlieue française qui va lui paraître de plus en plus étrange. Après cette rupture, Marianne va rencontrer la solitude, mais aussi avoir enfin le temps de traduire en allemand le livre de Flaubert "Un cœur simple".

Le film est adapté du livre, puis de la pièce de théâtre homonymes de Peter Handke. Si le livre La Femme gauchère a pu être reçu lors de sa publication en 1976 comme un récit d’émancipation féminine, la version filmée réalisée par l’auteur deux ans plus tard montre à l’évidence, que par l’histoire de Marianne, P. Handke ne se propose pas de peindre de façon réaliste les difficultés inhérentes aux relations humaines, mais qu’il poursuit l’ambitieux projet de renouveler le regard posé sur l’autre. Considérer l’autre ne signifie plus s’arrêter à l’image de conformité aux modèles imposés par la société contemporaine mais le percevoir au quotidien dans l’unicité de son être, découvrir le mystère qui l’habite, afin de jeter les bases d’une relation vivante et harmonieuse avec lui.

La femme de La Femme gauchère n’est pas, a priori, une femme opprimée par son mari. Elle n’est pas non plus dans le besoin. Elle vit dans une grande bâtisse, spacieuse, où elle demeure avec son mari et son fils et le compte en banque du mari lui est ouvert, d’où, une dépendance économique. Et pourtant, sa séparation n’est pas lancée à la légère. Mais elle est femme. Et c’est là que s’articule le film, dont le titre rend parfaitement compte : une femme qui ne fait pas tout à fait ce qu’il faudrait faire pour être une femme comme les autres. Une femme qui dévie toujours à gauche. Elle est femme dans une société dominée économiquement et socialement par les hommes. Avant de se marier, elle travaillait comme traductrice et son mariage, puis la naissance de son fils, lui ont fait abandonner cette activité, la rendant par conséquent dépendante du mari.

La séparation la conduira tout naturellement à reprendre son métier antérieur, à faire les travaux et les gestes réservés et accomplis par l’homme : scier du bois, porter la bouteille de gaz et à se moquer des conventions : manger par terre, tremper son pain dans le vin. Tous ces gestes sont signes de libération. L’itinéraire de la femme s’apparente à un voyage qui part d’une certaine exploitation de sa condition de femme pour aboutir à un moins d’exploitation et à un plus de libération. Mais elle ne cherche pas à atteindre une libération totale, ce qui, dans notre société, est du domaine de l’impossible et de l’utopie. Le chemin de la solitude de cette femme ne sera ni le suicide physique ou social , ni la réconciliation happy-end des films américains, mais la poursuite de cette vie solitaire en attendant que quelque chose de sociétal se passe.

La météorologie et de la transition des saisons, de l’hiver avec le printemps, (le film se déroule en mars, avril et mai) marque le film par la transformation et le changement d’un lieu, de son espace par les bouleversements rapides de lumières. Dans le film, on voit des images de nuages, aux formes les plus envoûtantes et les plus inquiétantes, sombres et voluptueuses, des plans, souvent sombres, d’averses de pluie ou de neige, des plans où le soleil de la fin de l’hiver, lance ses rayons horizontaux sur fond de nuages noirs. Le temps qu'il fait dans La Femme gauchère, n’est pas un décor, mais devient objet. Lorsqu’il neige, au lieu de presser le pas ou se mettre à l’abri, heureuse, la femme préfère orienter son visage vers le ciel pour recevoir les flocons en pleine figure.

Dès les premières images, le cadre du film est un espace presque dénudé, vide et très ouvert, les fenêtres sont largement ouvertes vers l’extérieur, comme une page blanche à écrire. Les gestes sont amples, car il n’y a nul risque à ce qu’elle se cogne à un objet trop encombrant, mais ils ne sont jamais démesurés. Lorsque l’extérieur intervient, il n’est pas vécu comme objet. Peter Handke sait trouver des lieux inédits, comme ce café étrange en bordure de voie ferrée, comme ces rues montantes désertes bordées de pavillons où, paisiblement, vivent ses habitants calfeutrés, comme cette esplanade d’où l’on découvre en contrebas toute la ville, ou la maison d’habitation où vit la femme que Peter Handke compare à un bâtiment ferroviaire, très massue et carrée.

Le romancier Peter Handke se révèle cinéaste accompli dans La Femme gauchère. La façon dont il utilise le temps et l’espace indique clairement, dans quelles résolutions modernes il s’engage. Par sa pudeur, son sens de l’ellipse, son refus de tout effet trop appuyé, sa volonté d’accorder une place fondamentale au montage, toujours brutal avec des plans qui s’entrechoquent avec violence, le film s’inscrit dans un double refus : d’un cinéma littéraire et d’un cinéma spectaculaire.

Licence : reproduction libre sous conditions Créative Commons Ciné-Passion . . . . . . . . . . . . . . . . . Sommaire général