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L'enfer est à lui (White Heat) film américain de Raoul Walsh, sorti en 1949

Distribution:

  • James Cagney : Arthur "Cody" Jarett
  • Virginia Mayo : Verna
  • Edmond O'Brien : Hank Fallon/Vic Pardo
  • Margaret Wycherly : Ma Jarrett
  • Steve Cochran : "Big Ed" Somers
  • John Archer : Philip Evans
  • Wally Cassell : 'Cotton' Valletti
  • Fred Clark : Daniel Winston

Fiche technique:

  • Titre original : White Heat
  • Réalisation : Raoul Walsh
  • Scénario : Ivan Goff et Ben Roberts, d'après une histoire de Virginia Kellogg
  • Production : Louis F. Edelman
  • Société de production : Warner Bros.
  • Musique : Max Steiner
  • Photographie : Sid Hickox
  • Montage : Owen Marks
  • Format : Noir et blanc - Son : Mono
  • Durée : 114 minutes
  • Date de sortie : 2 septembre 1949 (Etats-Unis)

Après l'attaque d'un train postal qui lui rapporte 300 000 dollars mais l'oblige à commettre les meurtres de deux convoyeurs, le FBI est sur la piste du gangster Cody Jarrett. Tueur psychopathe, Jarrett ne se sépare jamais de sa mère, pour laquelle il éprouve un amour exclusif, au détriment de sa propre femme, Verna. Pour détourner les soupçons des enquêteurs, Cody s'accuse d'un méfait mineur. Il est condamné à deux ans de prison et envoyé dans un pénitencier de Springfield dans l’Illinois. Mais l’inspecteur Philip Evans n’est pas dupe. Il introduit dans la cellule de Jarrett l’un de ses agents, Hank Fallon, qui joue les repris de justice sous le nom de Vic Pardo. Pardo/Fallon gagne ainsi sa confiance de Cody en lui sauvant la vie : il lui évite d’être écrasé par la faute de Roy Parker, qui a agi sur ordre de "Big Ed" Somers, le second du gangster.

En effet, en l’absence de Jarrett, Big Ed a pris la direction de la bande et a séduit Verna. Lorsque Jarrett apprend la mort de sa mère, il entre dans une rage épouvantable. Fallon se trouve entraîné dans la spectaculaire évasion de Jarrett. Celui-ci élimine Parker puis oblige Verna à lui livrer Big Ed, qu’il abat, sans se douter que c’est Verna qui a tué sa mère. Bientôt, grâce à la complicité de Daniel Winston, un homme d’affaires de San Diego, Jarrett organise un nouveau coup : le hold-up d'une usine chimique de Long Beach. Cachés dans un camion-citerne, les bandits y pénètrent sans difficulté et s'emparent de la paie des ouvriers. Mais Fallon a prévenu Evans par le biais d’un émetteur placé sous le camion. L’usine est vite cernée, Fallon est démasqué mais parvient à sauver sa vie. La police abat toute la bande. Jarrett, en haut d'un réservoir à gaz, provoque une explosion générale et disparaît dans les flammes en criant : "Maman, je suis plus haut que tout !"

Avec L'enfer est à lui, Walsh réalise le grand film crépusculaire du genre du film de gangsters. Apres la seconde guerre mondiale, le gangster classique, non financier, ne représente plus une alternative crédible à la crise, d'autant plus que l'Amérique renoue avec la prospérité. Le gangster est donc une figure de perdant que Walsh va ici magnifiquement illustrer jusqu'à l'explosion finale dans l'usine chimique. Si le gangster est une figure sur le déclin, la police, ici le FBI, jouit d'un prestige grandissant. Philip Evans et Hank Fallon sont parfaitement stables, efficaces et sans failles. exemplaires à ce titre les deux fois où Fallon est obligé d'improviser pour ne pas être reconnu sous son personnage de Pardo par un ex-détenu qu'il a autrefois emprisonné. La police est également devenue scientifique dans sa méthode de filature avec trois voitures en parallèle et, surtout, par l'utilisation d'un émetteur radio qui permet le repérage des fuyards sur une carte d'état-major. L'enfer est à lui est donc aussi un grand film policier.

C'est aussi un film de prisonniers avec la partie centrale dans le pénitencier de Springfield. Avec ses trahisons, ses plans d'évasion et la réussite finale de celle-ci bien que totalement improvisée par Cody. Le film dresse surtout le portait d'un gangster psychopathe. Evens explique à Fallon que "petit, Cody simulait des migraines pour que sa mère s'occupe de lui. Adulte, ses migraines sont devenues réelles et, parfois, atroces". La première crise de migraine avait été illustrée une première fois juste après le hold-up. Cody s'écroule et est immédiatement protégé par sa mère, caché dans une chambre aux yeux de ses acolytes. "C'est comme si on me sciait l'intérieur du crâne" avait dit Cody. Cette comparaison est illustrée, lors de la seconde migraine dans la prison, par perceuse et scie en action et meule avec étincelles. Ces outils métaphoriques sont justifiés par leur présence supposée dans l'atelier de la prison lorsque Cody se tient la tête.

La névrose de Cody tient à plusieurs éléments qu'il explique lui-même à Fallon : "J'ai jamais eu que maman, je faisais un tour et je lui parlais.. Ma vieille était toujours d'attaque. D'abord mon père, mort chez les cinglés, puis mon frère. Et puis, elle s'est occupée de moi pour que je réussisse. "Plus haut que tout", elle disait. Si je flanchais, elle était là, elle me remettait en selle. J'ai bien fais d'aller lui parler..., elle et moi, ça m'a fait du bien... Je suis peut être cinglé." Peur de la folie, surcompensée par un attachement mère-fils reposant sur l'affirmation d'une réussite par le crime avec cette formule emblématique "Plus haut que tout" qui guide Cody au-delà de toute raison, lui fait supporter plusieurs balles sans immédiatement mourir, et jouir de sa disparition dans une explosion finale au sommet de l'usine chimique.

L’Enfer est à lui est un film qui fonce et percute tout sur son passage, sans jamais reprendre son souffle. Le mérite en incombe d’abord à un scénario diaboliquement ordonné et qui ménage une part considérable de séquences fortes. Divisé en trois parties entremêlées, le film est un concentré de ce qui se faisait de mieux dans le genre au sein des années 1930, mais doté d’un modernisme qui lui confère un caractère puiissant de férocité. C’est tout d’abord l’histoire de Cody Jarrett, un criminel en plein braquage d’un train, puis bientôt en cavale. On y apprend alors très vite tout ce qui constitue le quotidien et le caractère de cet homme : une absence totale de confiance dans les personnes qui l’entourent, une paranoïa exacerbée, un mental prêt à succomber à la folie en chaque instant et un amour immodéré pour sa mère, personnage terrorisant et souverain sur son fils. La compagne de Jarrett est une femme entièrement animée par la peur, et surtout par l’instinct de survie. Elle sera l’instrument du massacre à venir, multipliant les morts autour d’elle, retournant constamment ses arguments dans l’unique but de continuer à respirer.

Conscient de tout le potentiel que contient L’Enfer est à lui, Raoul Walsh se surpasse à tous les niveaux. Sa réalisation utilise chaque élément du scénario avec un dynamisme constant et une ingéniosité frénétique : montage alterné, images en surimpression, caméra en mouvement perpétuel, création du sentiment d’urgence. Les trois règles prônées par Walsh pour faire un bon film sont ici pleinement appliquées : « Action, action, action, que l’écran soit sans cesse rempli d’événements. Des choses logiques dans une séquence logique. » Le réalisateur parvient à renouveler son sens du rythme et fête ses dix ans de contrat avec la Warner par un film tout entier tourné vers l’excessif et accompli avec une dextérité insolente.

$ La distribution est très bien faite. Edmond O’Brien est un flic teigneux convaincant, déployant un aplomb salutaire. Virginia Mayo est à la fois séduisante, belle, troublante et vénéneuse. Elle constitue un superbe personnage de victime-criminelle. L’actrice a sans aucun doute rencontré son meilleur rôle. Ma Jarrett, est jouée avec une finesse méphistophélique par Margaret Wycherly. Et à 50 ans, James Cagney n’a rien perdu de son talent, il bouge vite, parle aussi rapidement qu’une mitraillette, son naturel est désarmant, son jeu tout entier est prenant. Sa manière d’appréhender le film et ce qu’il parvient à accomplir tient du prodige, rarement un acteur aura autant su occuper l’espace. Cette capacité à infiltrer son personnage à tous les niveaux, à l’incarner jusqu’au sang, James Cagney l’a rarement aussi bien exprimée qu’en ces lieux. Entre souffrance et persécution, on ne sait finalement plus si son personnage est plus un bourreau ou une victime.

Le mouvement, chez Raoul Walsh, est une chose magnifique et surtout totale. Il s’exprime par le cadre, dans le cadre, ainsi que par ses personnages et dans ses personnages. Le fait que Cagney incarne un homme sans bornes, et dont on ne peut jamais prévoir les réactions, permet à Walsh de laisser le spectateur dans l’incertitude et dans l’attente de quelque chose sur le point de se produire. Le cinéaste manie l’action, le suspense, le drame et l’amour comme faisant partie d’un cercle en rotation et dont le mouvement perpétuel finit par superposer ces éléments afin de les confondre. Tout cela apporte au film un degré de fascination qui va bien au-delà de sa vision. L’Enfer est à lui impose une illustration démentielle dans laquelle le monstre a en réalité deux têtes, dont l’une n’est que la prolongation des désirs de l’autre. L’une possède presque littéralement l’autre. Ainsi, dans cette scène édifiante où l’on voit le gangster perdre pied en plein réfectoire (en prison, à l’heure du déjeuner, il vient d’apprendre la mort de sa mère), Walsh pousse désormais son personnage plus loin qu’aucun autre : au bout de sa souffrance, au bout de sa folie, jusqu’à sa perte. Il ne reste alors plus à Raoul Walsh qu’à terminer son film de la plus efficace des manières : filature, infiltration au sein d’un complexe (le groupe de voleurs caché dans la citerne d’un camion) et confrontation avec la police, désormais trop massive et trop puissante pour que le gangster puisse lui échapper.

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