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Edward aux mains d'argent ( Edward Scissorhands) de Tim Burton, sorti en 1990

Distribution:

  • Johnny Depp : Edward
  • Winona Ryder : Kim Boggs
  • Dianne Wiest : Peg Boggs
  • Anthony Michael Hall : Jim
  • Kathy Baker : Joyce Monroe
  • Robert Oliveri : Kevin Boggs
  • Conchata Ferrell : Helen
  • Dick Anthony Williams : Officer Allen
  • O-Lan Jones : Esmeralda
  • Vincent Price : L'inventeur d'Edward
  • Alan Arkin : Bill Boggs
  • Susan Blommaert : Tinka
  • Linda Perry : Cissi
  • Caroline Aaron : Marge
  • Steven Brill : le plongeur

Fiche technique:

  • Titre : Edward aux mains d'argent
  • Titre original : Edward Scissorhands
  • Réalisateur : Tim Burton.
  • Scénario : Caroline Thompson et Tim Burton.
  • Photographie : Stefan Czapsky
  • Musique Danny Elfman
  • Effets spéciaux : Stan Winston
  • Costumes : Colleen Atwood
  • Producteurs : Denise Di Novi et Tim Burton.
  • Pays : États-Unis
  • Durée : 100 minutes / 1h45
  • Dates de sortie : 14 décembre 1990 (États-Unis),
    10 avril 1991 (France)

Edward est un garçon peu ordinaire. Fruit de l’imagination et de la création d’un inventeur de génie, il n’a jamais pu être fini à cause de la mort de son créateur. Livré à lui-même, avec son coeur en or, son innocence et ses lames tranchantes en guise de doigts, il va être confronté à la vie dans une société dont il ne comprendra ni les codes, ni les règles, ni les droits, ni les devoirs. Mais où il découvrira certaines émotions… comme l’amour.

Presque « caché » à l'intérieur, Pegg trouve au pied du château un superbe jardin ou toute la végétation est taillée, sculptée avec soin; représentant des cerfs, un ptérodactyle, d'autres animaux et surtout; au milieu, une grande main ouverte. Elle pénètre dans le château, désert excepté tout un tas de machines poussiéreuses aux rouages démesurés. Le château représente l’isolement et la misère d’Edward, le château est gris, triste, abîmé, pas fini, mais il renferme un somptueux jardin. C’est un lieu habité par une âme, celle d’Edward. Le château lui-même représente Edward.

Dans les quelques flash-backs que Tim Burton décide de mettre en images, il nous est dévoilé les premiers souvenirs d’Edward. Ces souvenirs se déroulent tous dans le mystérieux château de son créateur, qui cherche à inventer un robot à l'apparence humaine, doté d'un organisme entièrement vivant. On le voit dans un long travelling qui balaye la "salle d'opération" : un courant d'air se prend dans les pages d'un livre qui illustre les différentes étapes de la création de cette homme artificiel, la dernière page représentant un homme d'affaire classique en costume, visiblement parfaitement intégré à la société que l'on connaît (ou que l'on croît connaître).

Cet homme, ce n'est pas Edward, mais « monsieur tout le monde ». Et Edward n'est pas « monsieur tout le monde », mais l'étape qui le précède, une personne simple intelligente et innocente, sorte d'Adam juste un peu glauque, aux grands yeux noirs, qui à eux-seuls parviennent à animer ce triste visage pâle et parsemé de cicatrices.

Le créateur n'a pas eu le temps d'achever sa création, il a disparu avant, la laissant avec ce qu'il a juste eu le temps de lui transmettre, livrée à elle-même. C'est à partir de ce point précis que débute le récit d'Edward aux mains d'argent.

Un jour, une vendeuse de produits de beauté résidant en banlieue va faire un tour dans ce curieux château perché sur une petite colline, après tout, peut-être trouvera-t-elle un nouveau client... Elle ne croyait pas si bien tomber, puisque dans cette vieille demeure à priori abandonnée se cache, dans un coin de la salle, un jeune homme timide portant des lames à la place des doigts, mais qui s'avère strictement inoffensif. Elle décide de l'héberger chez elle, au sein même de son foyer situé au beau milieu d'un pâté de maisonnettes propres, où habitent des gens heureux et "sans histoires", dans le meilleur des mondes.

Des histoires, Edward en apportera en devenant le nouveau centre d'intérêt du village ; d'abord accueilli à bras ouverts par toutes les dames de la résidence (Edward, fils d'un seul père, attire toutes les femmes d'un point de vue maternel, bien qu'une dimension sexuelle soit aussi présente), qui demeurent en pleine admiration devant ses talents de sculpteur, il finira par en être chassé, accusé de voleur, de violeur et de dangereux maniaque.

Seule Kim, une jeune fille blonde, belle, majestueuse, dont il tombera amoureux, le comprendra ; seule raison possible, elle débute à peine sa vie et n'est pas encore intégrée aux rouages de sa communauté. Elle laissera même tomber son petit copain, une sorte d'enfant de riches délinquant et capricieux, afin d'offrir son cœur à Edward, l'espace de quelques secondes seulement ("- Serre-moi, lui dit-elle tout bas. - Je ne peux pas"', répond Edward, ne sachant quoi faire de ses mains tranchantes).

Suburbia est le lieu ou se déroule l’histoire : petite bourgade paisible (Suburb signifie "banlieue" en anglais); la lumière est matinale. On entend des chiens, des oiseaux qui gazouillent… Les maisons sont toutes du même type, style préfabriqué bien net bien propre aux couleurs pastel… Le voisinage arrose son jardin, retape son toit ou tond la pelouse... Burton accentuera tout au long du film l'aspect « carré » (au propre et au figuré) de toutes ces maisons et de ses habitants : on verra plus tard les maris qui sortent leur voiture du garage, tous ensemble dans un même mouvement, pour aller au travail, etc.

Cette ville sort tout droit de l’imagination de Tim Burton. Il essaye d'y représenter de façon caricaturale un certain milieu de la société des années 70-80. Face à cette banlieue, le château mystérieux et fantastique de l’inventeur, semblant si repoussant vu de l’extérieur.Deux images complètement opposées qui vont pourtant se rencontrer : tout au long du film, les rôles du château hanté et de la banlieue harmonieuse sont inversés pour devenir un château harmonieux et une banlieue hantée.

Tim Burton propose un conte de fée moderne qui renouvelle avec bonheur le thème traditionnel de la Belle et de la Bête. D'abord, parce qu'il crée - avec l'aide de Bo Welsh pour les décors et de Stan Winston pour les maquillages et les trucages - un univers d'une beauté, d'une poésie et d'une originalité qui nous transporte dans un ailleurs fascinant (à la fois féerique et réaliste) et qui enrichit, ensuite, le propos du film : l'éloge de la différence et de la beauté cachée dans leur lutte contre l'intolérance et la superficialité. Car, différent, Edward (Johnny Depp) l'est doublement : d'une part, parce que son créateur (Vincent Price) l'a laissé inachevé, avec des ciseaux en guise de mains ; d'autre part, parce que son âme naïve et pure le rend inadapté au monde méchant et mensonger dans lequel il va devoir vivre. Précisément, cet ensemble résidentiel de maisons aux couleurs pastel vert, bleu, jaune et rose, gaies et engageantes, dessine son futur lieu de vie doit, à l'évidence, être perçu comme le condensé symbolique de toute société.

La première partie du film, qui correspond à l'accueil d'Edward, dépeint un monde assorti aux couleurs avenantes des façades. Edward, sans doute parce qu'il apporte nouveauté et fantaisie, devient la coqueluche de la résidence et est considéré comme le jardinier idéal, comme le coiffeur idéal, comme le toiletteur pour chien idéal. Mais, au-delà des apparences, ces maisons pimpantes peuvent renfermer des sentiments qui le sont moins. Et il suffit qu'Edward se méprenne sur les intentions « possessives » de Joyce, la voisine, pour que ce monde idyllique se lézarde et vole en éclats : les commérages et la nymphomanie, la religion et la méchanceté dessinent alors pour Edward un paysage soudainement inconnu, hostile, dont il est exclu. La compassion manifestée lors de l'accueil fait place à une haine et une vindicte implacables, comme si les façades avenantes n'étaient que trompe-l'œil et ne représentaient qu'un univers factice et mensonger.

Comment ne pas noter l'inversion subtile du propos : l'apparence mielleuse des résidentes dissimule la noirceur de leurs âmes alors que le physique repoussant d'Edward cache la beauté d'une âme pure. Ceux qui vivent dans le superficiel, à la surface des sentiments, triomphent, quand celui qui aime sincèrement doit s'exiler. La langue des femmes est finalement plus dangereuse que les ciseaux d'Edward !

Le regard est une notion primordiale dans Edward aux mains d’argent. En témoigne cette scène très émouvante où l'on demande à Edward dans une émission de télévision s'il a une petite amie. Edward, en guise de réponse, regarde silencieusement droit devant la caméra comme s'il regardait fixement en face Kim qui, à cet instant, regarde le poste et croise inévitablement la force du regard amoureux d'Edward. Par cet effet de miroir inédit, Burton raconte le mutisme bouleversant d'évocation d'Edward, la barrière de «l'image sociale» entre les deux amants et le miroir comme antre du désir et de la confusion. La première rencontre entre Edward et Kim se joue d'ailleurs à travers un effet de miroir : Kim se regarde dans la glace de sa chambre et découvre avec horreur la présence d'Edward dans son propre lit.

Mais le regard le plus marquant est sans nul doute celui pétrifié de l'inventeur d'Edward lorsqu'il succombe à une attaque cardiaque. Ses yeux dénotent l'épouvante, soit par la conscience de sa mort soit par la conscience soudaine d'avoir créé un être inachevé, Edward. Ce plan d'une redoutable beauté hypnotise littéralement le spectateur et rappelle une des images du générique d'ouverture, le mouvement en spirale sur les yeux clos de l'inventeur.

La morale du conte est claire : Peg, sa famille et, surtout, Edward sont inadaptés à cet univers de personnages réduits à des obsessions égoïstes qui leur tiennent lieu de raisons de vivre et d'aimer. Edward, dans son refuge - le château qu'il n'aurait jamais dû quitter -, s'affaire désormais à ce pour quoi il est fait : créer la neige et sculpter la glace. Bref, vivre dans la blancheur d'une pureté assortie à son âme, loin des couleurs trompeuses d'un univers humain factice, mensonger, indifférent et cruel.

Une fois de plus, la différence suscite le rejet et l'intolérance. Une fois de plus, la beauté cachée est ignorée. Une fois de plus, l'artiste (et l'enfant -ces deux incompris-) est rejeté par la société de son temps. On n'est pas très loin des thèmes de Ed Wood. Il n'est que de souligner par ailleurs le contraste voulu entre les deux cadres du film : l'un, le manoir romantique par son abandon, sa solitude et le fouillis de sa végétation, symbolise tout l'imaginaire de l'enfance, quand l'autre, l'ensemble résidentiel aux couleurs gaies, aux rues rectilignes et aux jardins parfaitement entretenus, représente le lieu de la vie sociale, de l'âge adulte utilitaire et rationnel.

Le chemin qu'effectue d'abord Edward du premier au second montre assez que l'enfant doit quitter ses rêves et se frotter à la vie sociale. Mais son retour final au cadre initial du château sonne l'échec de la tentative : plutôt que de se compromettre, il convient de chercher en soi ce qui est le plus authentique. La fin du film peut être perçue comme la véritable consécration d'un Edward devenu une légende éternelle qui survivra à ceux qui l'ont exclu : la création artistique n'a jamais cessé d'impressionner durablement l'histoire des hommes et la postérité de l'artiste lui confère une immortalité qui survit au quotidien superficiel et éphémère.

On notera in fine que le charme et la poésie de ce conte sont associés à une fantaisie et un humour toujours bien venus : cette banlieue résidentielle, si simplement avenante à l'entame du film, devient, tout aussi naturellement, cet enfer final. Un Enfer qu'un Dante moderne placerait sans doute dans l'un de ses neuf cercles !

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