Le Diable au corps, film français de Claude Autant-Lara sorti en 1947 |
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Pendant la Première Guerre mondiale, une jeune fiancée, aide soignante dans un hôpital militaire, prend pour amant un lycéen, trop jeune pour rejoindre l'armée. Suite à un rendez-vous manqué sur un ponton, Marthe épousera son fiancé Jacques, un militaire au front. Les amants regretteront par la suite de ne pas s'être retrouvés à ce moment-là. Ils envisageront même le suicide en évoquant cet épisode qui fit basculer leur vie. En 1946, le cinéma exalte la Résistance, l'esprit patriotique et la victoire (La Bataille du rail et Le Père tranquille, de René Clément). Et voilà qu'Autant-Lara (avec l'aide d'Aurenche et de Bost) adapte le roman de Raymond Radiguet : l'histoire d'amour d'une femme et d'un adolescent, en pleine guerre de 14-18. Pour calmer les esprits, un déroulant affirme qu'il s'agit du comportement d'une « impétueuse et cynique jeunesse ». Rien n'y fait, le film fait scandale. D’un récit en partie autobiographique le cinéaste fait une œuvre contestataire, suivant en cela la voie critique qu’il avait commencée de tracer avec Douce, ou L’Auberge rouge, destinée à secouer les règles établies de la bourgeoisie qui dominent la société de leur hypocrisie. La liaison « scandaleuse » entre Marthe et François reçoit la désapprobation de la mère de la jeune fille, comme celle des parents de l’adolescent, entraînant le couple illégitime dans une dérive amoureuse. Alors que Marthe est enceinte, le retour du soldat est annoncé comme un présage funeste, tandis que la promesse de sa mort semble un soulagement. Il faut dire qu'Autant-Lara multiplie les provocations : l'héroïne se réjouit de la suppression des permissions de son mari. Et l'adolescent lance : « C'est trop facile, la guerre » à ces bons Français hypocrites que le réalisateur méprise et qu'il dépeindra deux ans plus tard dans Occupe toi d'Amélie. Gérard Philipe, bien que trop âgé (25 ans) pour jouer le lycéen de 15 ans, est néanmoins sublime d'insolence et de lâcheté mêlées. Et c'est, avec L'Amour d'une femme, de Grémillon, le plus beau rôle de Micheline Presle. Autant-Lara a déclaré que c’est le pacifisme du livre qui l’avait poussé à faire cette adaptation ; cet aspect est étonnamment assez absent du film final. Le Diable au corps reste une belle ode à l’amour, celui qui est au dessus des guerres, des conventions sociales, de la raison. On peut regretter la construction en flash-back, qui n’apporte qu’une lourdeur inutile, et la platitude de certains dialogues qui peinent souvent à émouvoir. Pourtant certaines scènes sont très belles comme celle, trop courte, de la promenade en barque ou très fortes comme celle de leur second passage au restaurant parisien (Le Grand Véfour). Dans celle-ci, on voit Gérard Philipe affirmer son autorité en faisant rapporter un excellent cru de Bordeaux, pourtant irréprochable, en affirmant au sommelier que "ce vin sent le bouchon". L’historien Georges Sadoul rapporte que, lors de sortie à Bordeaux, la presse locale écrivit : « Cette production ajoute le cynisme le plus révoltant à l’exaltation de l’adultère, en ridiculisant la famille, la Croix-Rouge et même l’Armée. Devant le flot de boue qui monte, au nom du public, nous demandons que ce film ignoble soit retiré des écrans. » A Paris, de nombreux critiques jugèrent le sujet « répugnant ». Le romanLe Diable au corps, roman de Raymond Radiguet est paru en 1923. C'est le récit d'une histoire d'amour entre un jeune homme et une femme tandis que le fiancé de cette dernière se bat sur le front durant la Première Guerre mondiale. Cette œuvre marque les esprits par l'extraordinaire sens de la formule de son auteur, et surtout le mythe qui l'entoure (Radiguet est mort à l'âge de 20 ans). Des thèmes tels que l'adolescence, la trahison, le scandale, la parentalité, l'adultère, les doutes amoureux sont magistralement abordés dans cet ouvrage. Alors que la Première Guerre mondiale bat son plein, Marthe (18 ans), « fiancée de circonstance » à un soldat (Jacques), entretient une relation sexuelle avec le narrateur, jeune homme désœuvré âgé alors de 15 ans, donc trop jeune pour être mobilisé et qui l'a séduite par provocation. Il s'ensuit une idylle entre les deux personnages, perturbée par l'entourage et le comportement lunatique et possessif de l'adolescent, beaucoup trop jeune pour entrer dans la logique d'une liaison suivie. Autour de cette intrigue, l'auteur a voulu peindre le cycle de la vie dans ces bornes que sont l'enfance et la maturité. On peut cependant y voir également l'expression du risque que court la société en se livrant à toutes sortes de calculs à des fins proprement égoïstes. Voilà une adolescence meurtrie par l'ennui provoqué par quatre années de guerre. On assiste à la désorganisation de la cellule familiale, à la déstabilisation des institutions et surtout à la négation de la valeur intrinsèque de l'homme, qui semble désormais être ravalé à l'état de machine dont le fonctionnement reste conditionné par des forces extérieures. Le ton désabusé et cynique de Radiguet n'est pas sans rappeler un certain « gidisme », présent notamment dans L'Immoraliste. La lucidité et la justesse de l'analyse rapprochent encore ce roman de la grande tradition moraliste (Stendhal ou Madame de La Fayette). Le style et l'écriture simples de ce texte consolident le refus de l'auteur de tout ce qui se complexifie d'une manière ou d'une autre. La publication du Diable au corps provoqua un grand scandale, car il postulait la guerre comme condition même du bonheur des amants et portait atteinte au respect sacré dû au soldat. La mort prématurée de l'auteur à l’âge de 20 ans contribua probablement à l'élaboration d'un mythe jamais démenti autour de ce roman. L'éditeur Grasset, qui orchestra savamment le lancement de ce qu'il annonçait comme un chef d'œuvre d'un très jeune auteur, reçut la faveur du public sur fond de ce scandale, la presse n'hésitant pas à donner à Radiguet le sobriquet de « Bébé Cadum de la littérature ». Le livre est un grand succès de librairie et plus de 100 000 exemplaires sont vendus en trois mois. Raymond RadiguetAiné de sept enfants, Raymond Radiguet est né le 18 juin 1903 à Saint-Maur, fils du dessinateur Maurice Radiguet (1866-1941) et de Jeanne Marie Louise Tournier. Après l'école communale, il passe l’examen des bourses et entre au lycée Charlemagne à Paris. Considéré d'abord comme un bon élève sauf dans les disciplines artistiques, il obtient ensuite des résultats scolaires médiocres qui le décident à quitter le lycée en 1914 pour faire l’école buissonnière. Il s’adonne entièrement à la lecture dans la bibliothèque familiale, dévorant les écrivains des XVIIe et XVIIIe siècles, notamment La Princesse de Clèves de Mme de Lafayette, puis Stendhal, Proust, et enfin les poètes, Verlaine, Mallarmé, Arthur Rimbaud, Lautréamont. En avril 1917, Raymond rencontre Alice, une jeune voisine de ses parents à Saint-Maur qui vient de se marier avec Gaston, parti au front. La liaison de Radiguet (14 ans) avec Alice alors que le mari de celle-ci est dans les tranchées inspirera Le Diable au corps. Cette liaison ne durera qu'un an et, à partir de 1918, il s’éloignera peu à peu de la jeune femme. À l’âge de 15 ans, il abandonne définitivement ses études et se lance dans le journalisme. En 1918, il rencontre Jean Cocteau, qui aussitôt devine un talent caché. Enthousiasmé par les poèmes que Radiguet lui lit, Cocteau le conseille, l’encourage et le fait travailler ; il l’aide ensuite à publier ses vers dans les revues d’avant-garde, notamment dans SIC et dans Littérature. Ils deviennent inséparables et fondent en mai 1920 une petite revue : Le Coq, d’allure fantaisiste et de caractère essentiellement avant-gardiste à laquelle collaborent, entre autres, Georges Auric, le peintre Roger de la Fresnaye, Paul Morand et Tristan Tzara. Radiguet fait paraître dans le premier numéro un article qui débute par ces mots en grandes majuscules : « DEPUIS 1789 ON ME FORCE À PENSER. J’EN AI MAL À LA TÊTE. » Vers 1921, Radiguet abandonne la vie déréglée qu’il mène depuis quelques années et s’impose une forte discipline intérieure. En septembre 1921, à Piquey, loin de Paris, où l’a entraîné Jean Cocteau, il a terminé Le Diable au corps. L’année suivante, au Lavandou cette fois, toujours avec Cocteau et ses amis, il écrit son deuxième et dernier roman, Le Bal du comte d’Orgel. En 1923, Bernard Grasset lance Le Diable au corps de façon spectaculaire, sur le thème : « le premier livre d’un romancier de 17 ans ». Devant une telle publicité, qu’elle juge de mauvais goût, la critique est surprise, voire moqueuse et hostile. Mais, après la publication, Radiguet reçoit de chaleureuses félicitations d’écrivains tels que Max Jacob, René Benjamin, Henri Massis et Paul Valéry. Le jeune écrivain écrit dans Les Nouvelles littéraires le jour même de la publication de son roman, le 10 mars 1923, un article dans lequel il affirme que son roman qui puise pourtant dans sa vie est « une fausse biographie » : « Ce petit roman d'amour n'est pas une confession […] On y voit la liberté, le désœuvrement, dus à la guerre, façonner un jeune homme et tuer une jeune femme […] le roman exigeant un relief qui se trouve rarement dans la vie, il est naturel que ce soit justement une fausse biographie qui semble la plus vraie ». Le Bal du comte d'Orgel est publié en 1924 par Bernard Grasset, à titre posthume. Le roman raconte un triangle amoureux entre un jeune aristocrate et un couple à la mode. L'intrigue s'inspire de la déception de l'auteur avec la peintre Valentine Hugo. Raymond Radiguet meurt emporté par une fièvre typhoïde mal diagnostiquée le 12 décembre 1923. Dans son délire, il déclarait « J'ai peur, dans trois jours je serai fusillé par les soldats de Dieu ». Avait-il le pressentiment de sa fin prématurée lorsqu’il écrivait dans les dernières pages du Diable au corps : « Un homme désordonné qui va mourir et ne s’en doute pas met soudain de l’ordre autour de lui. Sa vie change. Il classe des papiers. Il se lève tôt, il se couche de bonne heure. Il renonce à ses vices. Son entourage se félicite. Aussi sa mort brutale semble-t-elle d’autant plus injuste. Il allait vivre heureux. » ? |