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Dersou Ouzala, un film sovieto-japonais de Akira Kurosawa, 1975

Distribution:

  • Maksim Munzuk : Dersou Ouzala
  • Yuri Solomine : Vladimir Arséniev
  • Svetania Danilchenko : Anna, son épouse

Fiche technique:

  • Titre original: Derzu Uzala
  • Nationalité : soviético-japonais
  • Réalisation: Akira Kurosawa
  • Scénario : Akira Kurosawa, Yuri Nagabin, d'après deux livres de voyage de Vladimir Arseniev
  • Musique originale : Isaak Shvarts
  • Directeurs de la photographie : Asakazu Nakai, Yuri Gantman, Fyodor Dobronravov
  • Montage: V. Stepanovoi
  • Durée : 141 minutes
  • Sociétés de production : Mosfilm (Moscou), Toho, Nippon Herald Production (Tokyo)
  • Dates de sortie: juillet 1975 (URSS, Japon)

En 1902, en compagnie d'un petit groupe Vladimir Arseniev procède à des relevés topographiques de la région d'Oussouri. Ils rencontrent un chasseur, un mongol, qui vient les voir dans leur campement. Au départ, les militaires ne savent que penser de ce vieil homme bizarre, petit et aux yeux bridés. Il n'a pas de maison et vit uniquement de la chasse et des peaux de zibeline qu'il vend dans les villages. Mais les militaires tombent vite sous le charme : Dersou connaît la taïga comme sa poche, leur fait éviter les pièges, trouver de la nourriture, gagner du temps.

Dersou Ouzala devient vite la référence de l'expédition. Pour lui, tous les éléments de la nature sont vivants, "comme des hommes". Chaque partie a sa place dans un système qu'il convient de respecter et de conserver. Cette philosophie, qui attire les railleries de l'équipe de scientifiques, va profondément influencer Arseniev. Lorsque le petit homme lui sauve la vie, face aux éléments déchaînés, dans la neige et la bise glaciale, une profonde amitié se lie entre les deux hommes, pourtant si différents. L'expédition prend fin et chacun retourne de son côté Cinq ans plus tard, en 1907, Arseniev repart pour une nouvelle expédition dans la taïga. Il retrouve Dersou qui le rejoint une nouvelle fois comme éclaireur de l'expédition. Un jour, alors qu'un tigre rode autour de l'équipe, Dersou, pour le faire fuir, tire, mais le blesse. Chez les Mongols, ce geste est considéré comme une malédiction. Dès lors, le vieil homme ne sera plus le même. Il se sent vieillir de jour en jour: sa vue baisse, il n'arrive plus à viser correctement, il ne sent plus la présence des animaux.

Arseniev lui propose de le ramener chez lui, à la ville. Dersou, démoralisé, accepte ("un homme vieux ne peut plus vivre dans la taïga"). Mais il se sent enfermé dans la belle maison du capitaine, et souhaite finir ses jours dans les lieux où il a toujours vécu.

Et ce que ni le froid, ni la faim, ni le tigre n'avaient réussi, ce seront les hommes qui le feront : Dersou est tué par un bandit pour son arme (un magnifique fusil offert par Arseniev) et sa tombe est détruite, avec les arbres qui l'entourent qui devaient le protéger, pour construire une ville.

Après les moments difficiles que Kurosawa a enduré après l'échec de Dodescaden (il a même fait une tentative de suicide), il accepte l'invitation de Serguei Guerassimov de venir tourner en URSS. Il choisit pour l'occasion d'adapter deux livres parus en 1921 et 1923, qui relatent l'exploration des contrées orientales de la Russie. Ces livres sont de Vladimir Arseniev, un capitaine et géographe de l'armée russe qui, à la fin du XIXe siècle, s'est rendu dans le Nord-Est de la Russie, la taïga de l'Oussouri, pour cartographier la région. Les livres, à l'instar du film, relatent la rencontre entre le capitaine Arséniev et son guide Dersou Ouzala qui vit en parfaite communion avec la nature, fort de sa vision animiste du monde.

Certains habitués des films de samouraïs d’Akira Kurosawa seront étonnés par le synopsis de ce film dont l’action se déroule en Russie au début du 20ème siècle. Mais Dersou Ouzala reste un film purement asiatique. En raison de la présence de nombreux personnages asiatiques (Dersou Ouzala fait partie du peuple golde qui se situe à la lisière de la Russie et de la Mandchourie, on croise également au cours du film des Khounkouzes, des Khounkhouzes, des Oudégués…), mais surtout en raison des thèmes abordés. En effet, si l’on y trouve aucun samouraï, leur philosophie est toujours présente : Dersou Ouzala est une déclaration d’amour à la beauté de la nature, or, la contemplation fait partie intégrante du code des samouraïs.

Dersou Ouzala est l’un des premiers films en couleurs de Kurosawa, et cela lui permet d’être à l’apogée de son art: si le maître japonais nous avait habitués à des plans sublimes dans ses films en noir et blanc, la qualité picturale de ce film reste nettement supérieure, en évoquant des tableaux de grands maîtres. Car si les deux personnages principaux sont Arseniev et Dersou Ouzala, il en est un troisième qui donne toute leur beauté aux images: la nature. Sans cesse personnifiée par le réalisateur à travers ses cadrages merveilleux, et par Dersou Ouzala, dont les croyances le poussent à croire en des esprits, la nature se manifeste sous tous ses aspects, aussi beaux que terribles: les denses forêts jaunes de Russie où l’on se perd facilement, la surnaturelle neige blanche immaculée de la taïga qui manque de tuer les deux protagonistes dans une tempête, la majestueuse faune, incarnation des esprits de la nature, aussi envoûtante que dangereuse. Le rythme très lent du film s’accorde parfaitement avec le but du réalisateur: nous faire contempler et admirer ce spectacle!

Kurosawa fait à travers Dersou Ouzala une critique acerbe de l’urbanisation et des villes qui saccagent la nature, on voit, dans la première séquence, des hommes défrichent des arbres afin de construire une ville à la place, ainsi que de la société qui bafoue les lois naturelles élémentaires. Il montre également que la nature peut être notre pire ennemi si on ne la respecte pas: elle possède les moyens de se défendre. C’est alors que le film prend des allures quasi-mystiques, en donnant une crédibilité aux esprits de la nature lorsque Dersou se voit souffrir de sa propre vieillesse, après avoir malencontreusement tiré sur un tigre, animal sacré. Vieillesse qu’il considère désormais comme une malédiction qui l’empêche désormais de survivre au sein de la terrible Mère Nature.

Dersou Ouzala est également le magnifique portrait de deux personnages totalement antithétiques, mais qui vont malgré tout se retrouver liés par une amitié fraternelle dont la mort ne constitue pas une limite, mais un prolongement. Ce film est adapté des mémoires du véritable Arseniev, et la véracité de ces événements ne fait que rendre ce lien qui unit les protagonistes encore plus fort, en évitant tout cliché. Kurosawa traite magnifiquement cette relation, dont l’évolution va de pair avec la longue durée du film, à l’aide d’un scénario à la construction rigoureuse, découpé en deux grandes parties.

Dans ce film profondément humaniste, Akira Kurosawa crie son amour de l'homme et de la nature. On se laisse emporter par cette épopée humaine, par les valeurs de l'amitié, sans que le film ne bascule dans la naïveté ou le sentimentalisme. C'est un film profondément écologiste, qui nous met en garde contre la destruction de notre milieu naturel et nous demande de penser à ceux qui viendront derrière nous. Le réalisateur déclarera :

"La relation entre l'être humain et la nature va de plus en plus mal... Je voulais que le monde entier connût ce personnage de russe asiatique qui vit en harmonie avec la nature... Je pense que les gens doivent être plus humbles avec la nature car nous en sommes une partie et nous devons être en harmonie avec elle. Par conséquent, nous avons beaucoup à apprendre de Dersou." (dans Donald Richie, The films of Akira Kurosawa).

Récompenses

  • Grand Prix au 9ème Festival de Moscou 1976
  • Oscar du meilleur film étranger en 1976.

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