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Le Château de l'araignée, un film japonais de Akira Kurosawa, 1957

 

Distribution:

  • Toshiro Mifune : Le général Taketori Washizu
  • Isuzu Yamada : Asaji, la femme de Washizu
  • Minoru Chiaki : Le général Yoshiaki Miki
  • Akira Kubo : Yoshiteru, le fils de Miki
  • Takashi Shimura : Noriyasu Odagura
  • Takamaru Sasaki : Le seigneur Kuniharu Tsuzuki
  • Hiroshi Tachikawa : Kunimaru, le fils de Tsuzuki
  • Kokuten Kodo : Commandant militaire
  • Nakajiro Tomita : Commandant militaire
  • Kichijiro Ueda : Employé de Washizu
  • Eiko Miyoshi : Vieille femme du château
  • Chieko Naniwa : La sorcière

Récompenses

  • Nomination au Lion d'or de Saint Marc, lors de la Mostra de Venise 1957.
  • Prix de la meilleure actrice (Isuzu Yamada), lors des Kinema Junpo Awards 1958.
  • Prix du meilleur acteur (Toshirô Mifune) et de la meilleure direction artistique (Yoshirô Muraki), lors du Mainichi Film Concours 1958.

Fiche technique:

  • Titre original :   蜘蛛巣城, Kumonosu jo
  • Titre anglais : Spider Web Castle, Throne of Blood
  • Réalisation: Akira Kurosawa
  • Scénario: Shinobu Hashimoto, Ryuzo Kikushima, Hideo Oguni et Akira Kurosawa, d'après Macbeth, de William Shakespeare
  • Production : Akira Kurosawa et Sojiro Motoki
  • Musique : Masaru Satô
  • Photographie : Asakazu Nakai
  • Montage : Akira Kurosawa
  • Format : Noir et blanc - Mono
  • Durée: 105 minutes
  • Dates de sortie : 15 janvier 1957 (Japon), 5 septembre 2001 (France)

Au Moyen Age japonais, le seigneur Tsuzuki apprend par un messager que son vassal Fujimaki, maître de la baronnie du Nord a déclenché une rébellion attaquant les forts 5,4, 3 et 2 pendant que le seigneur voisin, Inui, attaque le fort 1. Seuls les forts 2 commandé par Miki et 1 commandé par Washizu résistent encore. Alors que la bataille semble perdue, Miki et Washizu retournent la situation à l'avantage du Seigneur.

Appelés chez celui-ci, les deux généraux, Washizu et Miki se perdent dans l'inextricable forêt de l'Araignée. Ils rencontrent l'esprit de la forêt qui leur prédit que Washizu deviendra commandant de la baronnie du Nord et succédera à son seigneur Tsuzuki, mais que ce sera pourtant le fils de son ami Miki qui régnera. Il dit en outre à Washizu qu'il ne sera pas inquiété " tant que la forêt ne sera pas en marche...".

Sous l'influence de sa femme Asaji, Washizu assassine le seigneur Tsuzuki, puis envoie ses hommes tuer Miki, dont le fils échappe à la mort. Asaji met au monde un fils mort-né, et devient folle, tandis que Washizu a des hallucinations en voyant le fantôme de Miki, dont le fils Yoshiteru attaque le "château de l'Araignée " de Washizu.

La prophétie de la sorcière se réalise lorsque les hommes de Yoshiteru, ayant coupé les branches de la forêt, s'avancent dans la brume avec ce camouflage, donnant l'illusion de la forêt en marche. Terrorisés, les hommes de Washizu se retournent contre lui, et le transpercent de leurs flèches.

Le film commence dans un paysage de brume, se découvre progressivement la stèle commémorant la disparition de ce qui fut autrefois le château de l'Araignée. Chantées, les paroles suivantes commentent :

"Voyez donc ! Voyez ce qui reste des rêves de ces hommes. Les obsessions dont ils étaient prisonniers résonnent encore en ce lieu. Hantés par les passions les plus folles ces hommes sont tombés dans la voie du sang. Hommes d'hier, hommes d'aujourd'hui rien n'a changé."

Kurosawa transforme assez profondément le sens de la pièce de Shakespeare où le guerrier succombe à la tentation du pouvoir qu'il porte obscurément en lui tout en gardant sa grandeur jusque dans la chute. Ce sont moins les passions profondes des individus qui sont révélées ici que leurs erreurs. La séquence d'ouverture, qui sera reprise à la fin, indique assez clairement le message humaniste de Kurosawa. Le tragique des passions humaines s'accompagne d'un message bouddhiste appelant l'homme à se détourner du sang et des passions et à jouir sainement de la brièveté de la vie.

C'est du moins le discours de l'esprit de la forêt :
"Misérables passions humaines. Stupides sont les humains car ils se font souffrir pour rien. La vie des fleurs est courte ; elle en dure qu'un instant. Elles finissent par faner et mourir puis pourrissent sur la terre. Mais les hommes refusent cette condition. Dès leur naissance, ils sont prisonniers de leurs passions, ils brûlent leur vie immodérément dans les flammes des cinq Désirs. Ils se frottent sans vergogne dans l'eau des cinq souillures. Pêchés après pêchés, ils augmentent leurs souffrances. Et quand ils atteignent le plus profond des doutes, ils meurent et leur corps pourri. Et sur cette pourriture vont pousser des fleurs. C'est ainsi que l'odeur de la pourriture se transforme en délicate fragrance. Elle porte vraiment à rire, la vie de ces pauvres humains"

C'est moins la brume qui cache aux humains leurs passions que cherche à décrire Kurosawa que l'inextricable réseau d'erreurs dans lesquels ils errent. C'est pourquoi la brume n'est plus, comme dans la plupart des adaptations, le domaine des sorcières. Plus universelle, omniprésente dans les séquences d'extérieur, elle confond temps et espace pour les hommes enfermés dans la même confusion qui les fait agir avant de réfléchir. Parmi les plus longues séquences du film, on compte d'ailleurs l'errance dans le brouillard qui suit la prophétie de l'esprit de la forêt.

Les impressions d'enfermement et d'aveuglement seront renforcées par la mise en scène des cavalcades de Washizu et Miki dans la forêt de l'araignée derrière des branchages et sous la pluie. La forêt de l'Araignée, comme il est souligné par Miki puis Inui, est une métaphore de l'égarement : on est amené à y tourner en rond sans trouver son chemin.

La dimension intérieure n'est pas pour autant abandonnée. La maison de la baronnie du Nord où Washizu et sa femme Asaji complotent la mort du seigneur reflète le vide intérieur de Washizu qui se laisse dominer par le discours de sa compagne. La chambre de l'exécution, tachée du sang d'un traître qui y mourut vient rappeler, la permanence de la traîtrise et préfigure via le paravent de flèches le sort de Washizu.

La grandeur est absente du personnage de Washizu. Ce n'est que par un stratagème (que n'a pas besoin d'utiliser Lady Macbeth, seulement plus clairvoyante de ce qui anime son mari) qu'Asaji convint Washizu de tuer le fils de Miki : elle fait croire qu'elle est enceinte.De même, Washizu ne sera pas tué en combat singulier. Il déclare à ses soldats proche de la trahison qu'il ne perdra aucune guerre tant que la forêt de l'araignée ne bougerait pas, tant qu'elle n'attaquera pas le château. Quand celle-ci le fait, ses soldats le criblent de flèches.

Chez Shakespeare, Macbeth garde la prophétie (Il ne sera vaincu que lorsque la forêt de Birnam viendra à Dunsinane) pour lui. Ce n'est que lorsqu'il comprend la seconde (absente ici) : "aucun être né d'une femme ne peut nuire à Macbeth" qu'il succombe.

Heureux mélange entre théâtre, tradition japonaise et cinéma, ce film est une merveilleuse adaptation d’une pièce intemporelle et universelle, à laquelle l’esprit du nô s’est parfaitement adapté : La notion de concordance veut en effet que « la concordance s’établisse nécessairement entre l’auteur et son époque, entre l’auteur et l’acteur, entre l’acteur et le spectateur. »

Le spectateur pose tout de suite un autre regard sur le symbolisme, la réflexion conduite par Shakespeare et reprise en partie par Kurosawa.
Si les techniques employées par l’un et par l’autre ne sont pas les même (le sens du vers, de la rythmique et du sens caché des phrases pour l’un, la mise en scène, les plans léchés, la musique, qui n’est pas sans rappeler celle du théâtre nô, les acteurs et le symbolisme par les actes pour l’autre), le film supporte la comparaison avec la pièce de théâtre.

Kurosawa mit plus d'un an pour réaliser ce film, pour lequel il fit construire un château sur les pentes du Mont Fuji. La critique le jugea pourtant trop grand-guignolesque à l'époque, et le film fut un échec. Une trentaine d'années plus tard, Akira Kurosawa transposera le Roi Lear au temps des samouraïs, avec Ran.

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