Burning, film coréen de Lee Chang-dong, sorti en 2018


Distribution:

  • Yoo Ah-in : Jong-soo
  • Steven Yeun : Ben
  • Jeon Jong-seo : Hae-mi
  • Lee Joong-ok
  • Ok Ja-Yeon

Fiche technique:

  • Réalisation : Lee Chang-dong
  • Scénario : Lee Chang-dong et Oh Jung-mi, d'après les nouvelles Les Granges brûlées de Haruki Murakami et L'Incendiaire (Barn Burning) de William Faulkner
  • Photographie : Hong Kyeong-pyo
  • Montage : Kim Hyeon et Kim Da-won
  • Musique : Mowg
  • Production : Pinehouse Film, Now Film et NHK
  • Durée : 148 minutes Dates de sortie : France : 16 mai 2018 (Festival de Cannes) ; 29 août 2018 (sortie nationale)
  • Récompense : Prix FIPRESCI

Jongsu, un jeune homme emprunté et plutôt introverti, travaille à Séoul comme livreur à mi-temps. Au cours d'une livraison, il croise sans la reconnaître Haemi, une ancienne voisine et camarade de classe, devenue animatrice d'événements commerciaux à Séoul. Ils sont originaires de la même banlieue rurale, Paju, non loin de la frontière avec la Corée du Nord. Ils refont rapidement connaissance. Il a fini ses études, fait son service militaire et veut devenir écrivain; elle apprend la pantomime et veut devenir actrice. Ils se revoient et bientôt couchent ensemble dans le petit studio où elle vit avec son chat. Presque immédiatement après, elle informe Jongsu qu'elle s'apprête à partir en voyage en Afrique noire et lui demande de bien vouloir nourrir son chat en son absence.

Jongsu retourne à la ferme familiale à Paju où il ne reste qu'un veau, car son père vient d'être emprisonné pour "faits de violence" envers un policier et doit passer en jugement. Utilisant la camionnette de son père, il se rend régulièrement dans le studio de Haemi pour nourrir le chat Choffo, sans jamais le voir cependant, et il s'y masturbe à chaque fois, obnubilé par le souvenir de la jeune fille.

Haemi lui téléphone pour qu'il vienne l'attendre à l'aéroport. Mais au désappointement de Jongsu, Haemi rentre de son voyage en compagnie de Ben, un Coréen un peu plus âgé qu'elle, mais beau, très à l'aise, qu'elle a rencontré à l'aéroport de Nairobi. Le trio part manger dans un restaurant; au cours du repas Haemi décrit un coucher de soleil sur le Kalahari qui lui a brisé le coeur et fond en larmes, ajoutant qu'elle souhaiterait pouvoir disparaître ainsi. Jongsu observe et écoute. Ben semble surpris par les larmes de la jeune fille, indiquant qu'il n'a plus jamais pleuré depuis sa petite enfance. Pendant le repas, Ben a passé un coup de fil et une relation lui a ramené sa Porsche Carrera et l'a garée devant le restaurant. Au sortir de celui-ci, Haemi rentre en Porshe avec Ben et Jongsu, sûrement humilié, ne peut que s'incliner.

Lors d'une seconde soirée passée dans un quartier chic de Séoul avec les amis de Ben, Haemi raconte un autre souvenir de voyage : une danse des "bushmen" sur la recherche du sens de la vie, puis elle en fait la démonstration candide devant toute la tablée des amis de Ben, lequel exprime son ennui ou sa gêne en baillant discrètement. Tous vont ensuite danser frénétiquement aux rythmes d'aujourd'hui dans une boite chic et branchée.

Jongsu est plongé dans son travail quotidien à la ferme, quand Haemi l'appelle à l'improviste pour lui dire que Ben et elle sont en route pour chez lui. Il a à peine le temps de se changer que le couple (mais rien ne permet de déduire que cette relation est amoureuse) arrive à bord de la Porsche. Jongsu les reçoit dans la cour de la ferme et les trois jeunes gens y passent une soirée à boire, discuter, grignoter, fumer du cannabis, apporté par Ben, et une atmosphère troublante s'installe assez vite. Après avoir partagé un joint offert par Ben, Haemi danse poitrine nue devant les deux garçons, et elle s'endort peu après. Les deux jeunes hommes l'installent à l'intérieur sur un canapé puis retournent discuter dans la cour seul à seul. Jongsu parle de son père colérique et révèle à Ben qu'il aime Haemi. Celui-ci se contente d'en rire silencieusement, puis révèle à Jongsu qu'il pratique un étrange passe-temps : brûler tous les deux mois environ une de ces serres recouvertes de plastique qui pullulent dans la campagne et la défigurent. Ben précise même que la serre, qu'il projette de faire flamber dans les prochains jours, est vraiment toute proche de chez Jongsu.

Les jours suivants, Jongsu tente à plusieurs reprises de la joindre sur son portable sans y parvenir : elle est toujours sur répondeur, sauf une fois où Jongsu semble distinguer des bruits de course et de lutte, sans qu'aucune parole ne soit prononcée. Parallèlement, Jongsu, obsédé par l'annonce faite par Ben d'incendier très prochainement une serre toute proche de sa ferme, sillonne le voisinage jour après jour, en camionnette ou en courant, sans jamais trouver une seule serre récemment détruite par le feu.

Mais le silence de Haemi se prolonge et Jongsu se met à sa recherche. Il passe à son studio, dont le code d'entrée a été changé, si bien qu'il ne peut y pénétrer, s'inquiète de sa disparition auprès de la gardienne de l'immeuble qui, finalement, lui ouvre le studio, qu'il retrouve "débarrassé" du chat et rangé de façon complètement impersonnelle, comme si on avait voulu y effacer la présence de la jeune femme, puis questionne ses collègues de travail, et enfin la proche famille de celle-ci, sa mère et sa soeur qui tiennent ensemble un petit restaurant. Personne n'a de nouvelles récentes de Haemi qui semblait endettée et très seule.

Jongsu se tourne alors vers Ben pour savoir ce qu'elle est devenue. Celui-ci lui présente sa nouvelle petite amie et affirme ne pas avoir de nouvelles de Haemi qui se serait, dit-il avec désinvolture, "évaporée" (comme de la fumée). Dans le grand appartement design de Ben, Jongsu, se rendant aux toilettes y trouve une première trace de Haemi : sa montre rose, que Jongsu avait gagnée, au tout début de l'histoire, et lui avait offerte qu'il découvre dans un tiroir, parmi d'autres bijoux féminins dépareillés. Surtout, lorsque le chat du lieu s'échappe dans le parking, Jongsu parvient à le récupérer en ayant l'idée de l'appeler "Choffo", ce qui convainc le chat de venir à lui, alors qu'un peu avant, Ben le lui avait présenté comme un chat errant sans nom. Ces deux indices fragiles (la montre très banale et le chat qui a pu réagir par hasard) confirment tous les soupçons de Jongsu à l'endroit de Ben, et une question l'assaille : la serre toute proche de chez Jongsu que Ben devait brûler ou détruire, était-ce une serre ou une jeune fille, en l'occurrence Haemi ? Ben est-il un incendiaire multi-récidiviste comme il s'en était vanté ou un serial killer ? Jongsu va se révéler sujet aux explosions de colère comme son père. Le lendemain, après avoir donné rendez-vous à Ben dans un endroit isolé, Jongsu le poignarde à mort, le réinstalle tout sanglant dans sa Porsche, vide sur celle-ci le contenu d'un bidon d'essence et le fait flamber avec sa voiture.

Lee Chang-Dong adapte une nouvelle du Japonais Haruki Murakami, Les Granges brûlées, publié en 1987, qui est l'un des plus courts textes de son auteur. Il s'inspire de loin de L'Incendiaire (Barn Burning) de William Faulkner (1939), auteur pour lequel, dans le film, Jongsu éprouve de l'admiration. Lee Chang-Dong a conservé l'ossature de ce récit squelettique, parfois pour la minimiser davantage encore, les granges qui partent en fumée dans le texte sont devenues de minuscules serres recouvertes de plastique dans le film et encore un seul incendie est montré. Mais surtout, a su préserver le ton singulier du romancier, le gorgeant d'une beauté visuelle hypnotique. Burning a ainsi beau être marqué par la patte du cinéaste, le sens de l'humour plutôt tordu de Murakami s'y est greffé. Dans un premier temps, le trio amoureux entre Haemi, jeune femme fantasque, Jongsu, garçon effacé, et Ben, beau gosse fortuné, prend des airs d'histoire romantique banale. Après tout, n'est-il pas courant que les relations soient empruntes d'ambiguïté, de mystère ?

Mais plus le récit avance, plus il devient évident que ce triangle amoureux a plus d'angles que prévu, rendant sa nature non identifiable. Jongsu va s'y heurter. L'espoir alimentera la combustion de son cœur comme s'il valait mieux avoir chaud dans l'attente qu'avoir froid dans la résignation.

Burning est d'autant plus fascinant qu'il dévoile une Corée du Sud authentique, à coups d'allusions politiques en arrière-fond, les voix lointaines qui surgissent de la radio ou des télés font l'écho inquiétant de la politique de Donald Trump comme de l'importante hausse du chômage en Corée du Sud. Plus encore que Jongsu et Ben que la rivalité fait frémir, le monde bouillonne au point de leur échapper. Ben, du haut de ses buildings et de son arrogance, n'en fait déjà plus partie et s'estime au-dessus des lois. Quant à Jongsu, ii est clairement paumé. Il dira lui-même que « le monde reste un mystère » à ses yeux. Même quand le film vire au thriller psychologique, Lee Chang-Dong ne quitte pas son terrain de prédilection, soit l'étude permanente des conflits de classe en Corée du Sud, où les disparités sociales sont la source d'un irrémédiable affrontement. Celui-ci infuse dans un climat de plus en plus étouffant.

La fausse indolence du film dissimule sa tension. Toute de frustration, de rage enfouie. Burning accumule ainsi des motifs invisibles, sentimentaux et sociétaux. Tout se déroule comme si le cinéaste ne cessait de différer le feu, l’explosion de violence. Qui finit par jaillir dans la dernière séquence.

À bout de souffle, Jongsu va finir par naviguer entre la réalité et l'imaginaire. Que résultera-t-il de son enquête ? La résolution d'une disparition ou bien l'exploration de la matière dont il avait besoin pour écrire son roman ? Rien n’interdit, donc, de penser que ce puzzle aux pièces savamment manquantes est le fruit de son imagination, la rêverie, le fantasme, les trompe-l’œil s’insinuant partout. Une séquence, mêlant grâce et sensualité, l’illustre : celle où Hae-mi laisse transparaître son talent de mime. Elle épluche une mandarine invisible, en extrait des quartiers, les porte à sa bouche. On goûte alors la pulpe, on sent le jus qui gicle et perle sur ses lèvres, ses doigts. L’illusion est parfaite.

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