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Bug , un film américain de William Friedkin , sorti en 2007

Distribution:
  • Ashley Judd : Agnes
  • Michael Shannon : Peter
  • Harry Connick Jr. : Jerry Goss
  • Lynn Collins : R.C.
  • Brian F. O'Byrne : Dr. Sweet
  • Luca Foggiano : Pizza Harris

Fiche technique:

  • Titre : Bug
  • Réalisation : William Friedkin
  • Scénario : Tracy Letts
  • Musique originale: Brian Tyler
  • Pays d'origine : États-Unis
  • Durée : 102 minutes
  • Dates de sortie :
    France : 21 février 2007
    première projection publique le 19 mai 2006 Festival de Cannes, La Quinzaine des réalisateurs)
    États-Unis : 25 mai 2007

Serveuse solitaire au passé tragique, Agnes loge dans un vieux motel et vit dans la peur de son ex-mari violent, Jerry Goss , qui vient d'être libéré sur parole. Pourtant, quand elle esquisse une tentative de romance avec Peter, un homme calme, excentrique et mystérieux, elle retrouve espoir jusqu'à ce que les premiers insectes arrivent.

Ce vieux briscard de William Friedkin, franc-tireur un temps roi du monde avec French Connection et L’Exorciste, nous revient dans une forme éblouissante après pas mal d’années en demi-teinte. Il livre ici une véritable leçon de cinéma basique. Une chambre, un couple, une dose carabinée de parano, et le tour est joué. C’est efficace, dix fois plus que la plupart des produits vendus dans le commerce. Bug terrorise, Bug pulvérise et soude dans le même temps. Bug émeut de surcroît, et accessoirement fait rire.

Le film traite de l'histoire d'une dérive psychologique, et d'une forme de "vampirisation".
Agnes, échouée dans un motel peu fréquenté au bord d'une route perdue dans l'immensité de la plaine américaine, est fragilisée par un harcèlement (répétition d'appels téléphoniques anonymes). On ignore si ce mode de vie aussi retiré est la conséquence subie de la relative médiocrité de son parcours professionnel (serveuse dans un bar) et des rares personnes qu'elle fréquente (une collègue lesbienne) ou si la vie dans ce trou perdu est un choix délibéré, une fuite, pour ne pas être retrouvée par son mari, dont elle vient d'apprendre la prochaine sortie de prison.

Sa collègue lui fait rencontrer un nouveau client du bar, Peter, auquel elle s'attache, justement parce qu'elle lui découvre une personnalité parfaitement opposée à celle de son mari violent : Peter est doux, poli, posé, voire timide. Le mystère qu'il entretient sur son vécu de militaire se lève peu à peu, chacun livrant à l'autre des pans de son passé. Piqué par un insecte, au lit, après leur nuit d'amour, Peter s'avère obsédé par les « aphides ». La peur de retomber sous l'emprise de son mari (qui, venant de débarquer par surprise, la frappe à nouveau, en annonçant qu'il va lui imposer d'ici quelques jours de revivre avec lui), la crainte de se retrouver seule à nouveau, de perdre un homme possédant de telles qualités d'écoute (qu'elle trouve par ailleurs pas mal "quand il est nu"), l'entraîne à (accepter de ?) partager le délire destructeur de son compagnon (auto-mutilation, meurtre puis suicide).

L’angoisse hallucinatoire devient contagieuse dans un crescendo exceptionnel. Avant d’être un thriller, Bug est une histoire d’amour. Amour dément à la beauté terrifiante qui voit Agnes, accro à son homme, plonger dans son délire pour ne pas le perdre. Amour fusionnel, violemment incarné, chacun se scarifiant jusqu’à l’os, pour ne former qu’un seul sang, qu’un seul corps. Entre pucerons nichés dans la coke et sac d’œufs caché sous la dent (d’où un arrachage maison !), le pétage de plombs est tel que le grotesque s’invite sans souci.

Le film (donc le scénario) est rythmé par un traitement de la bande-son, qui est régulièrement parsemée d'éléments déclencheurs (pour créer un climat d'angoisse ou de suspense chez le spectateur, et pour appuyer l'incrémentation dans la profondeur du délire dans lequel sombre le couple) :
L'insistance et la fréquence de la sonnerie stridente du téléphone, au début du film, marquent à chaque fois plus intensément le visage de l'héroïne, par l'exaspération et la douleur psychique.
Le chant du grillon dont Peter (et le spectateur ... ainsi "mené par le bout de l'oreille" par le réalisateur) cherche à localiser la cachette, à droite, à gauche, en bas, en haut, pendant de longues minutes, révélant finalement déjà par cette quête obsessionnelle sa fracture psychologique, puisque son acharnement à détruire violemment le détecteur de fumées atteste qu'il ne s'agit en fait pas (ou plus) du simple jeu bien connu, « Tu gèles ... tu brûles » !
La rotation des grandes pales du ventilateur du plafond avivent tellement en Peter les souvenirs de guerre que le spectateur entend aussi, comme lui, le bruit d'un hélicoptère. Il faut noter que cette assimilation des pales de ventilateur à celle d'hélicoptères est loin d'être neuve dans le cinéma !
Le dysfonctionnement de l'appareil de climatisation, sa mise en route soudaine et bruyante est, comme un refrain, le signe pour le spectateur que la machine mentale est aussi en phase de perturbation prochaine. Par allégorie, c'est tout simplement que l'appareil "ne tourne pas plus rond" que le cerveau ! Au déclenchement laborieux de l'appareil, le souffle d'air fait immanquablement se dresser et s'agiter "follement" deux petits rubans, dont l'un est rouge.
La première fois que l'appareil entre en scène, c'est l'héroïne qui, pour le confort thermique de la pièce, son intérieur, tape violemment pour lancer la machine rebelle. Irait-on jusqu'à pousser l'interprétation jusqu'à dire que les autres fois où l'appareil se manifeste c'est pour alerter le spectateur qu'Agnes a besoin du confort psychique qu'elle ne trouve qu'en rentrant dans le "monde intérieur" de Peter ?
Dans l'appartement retapissé entièrement de feuilles d'aluminium (couleurs froides), et dont l'accès est refusé à tout visiteur, le grésillement des appareils électriques attirant les insectes (ajout supplémentaire de bleu aux couleurs dominantes) est continu, ... signe que le couple s'est enfoncé durablement dans leur névrose.

Le thème de la fuite est majeur dans le film :
Agnes tente de fuir devant son mari, de lui échapper, en estimant salvatrice la présence du doux Peter. Elle fuit son passé assombri par la brutalité de son mari, espérant trouver l'apaisement auprès de Peter.
Agnes a été très profondément traumatisée par la disparition de son jeune fils (fuite ? fugue ? enlèvement ?) il y a plusieurs années.
Agnes avait envisagé de fuir la région (pour protéger son fils des brutalités du père) pour trouver refuge et se cacher avec lui auprès de sa sœur, ... option de planque qu'elle présente comme toujours possible, lorsque Peter se déclare traqué.
Agnes perd ses repères, fuit la réalité (à laquelle tente vainement de la ramener sa copine) et accepte (jusqu'à quel degré de conscience ?) cette fuite en avant dans laquelle l'entraîne celui qu'elle aime ... plus fort que tout.

Le thème de l'espace et du confinement est omniprésent. Agnes, au début du film, est peinte comme perdue dans sa solitude : vue aérienne du paysage, avec la route et le motel, tout petit, qui se rapprochent. Le spectateur plonge ainsi jusqu'à l'intérieur de la chambre. Qu'est-ce qui s'abat ainsi sur l'occupante de cette chambre ? Un insecte (titre du film) ? ou le destin ? Agnes, à la fin du film, n'est plus seule. Elle accompagne jusqu'à l'extrême le compagnon qu'elle a enfin trouvé, et dont l'instabilité psychologique la cloître dans un huis-clos.

Des questions demeurent, comme par exemple, qui a harcelé ainsi Agnes au téléphone ?
Si le réalisateur s'applique à faire croire (comme le croit Agnes) que l'auteur (obstinément toujours muet) des appels téléphoniques anonymes est le mari, soucieux de mettre la pression sur son épouse qu'il envisage de "remettre au pas" dès sa sortie de prison, le spectateur ne doit pas pour autant se satisfaire de la disparition totale du scénario de ce mari dans la deuxième moitié du film, après avoir apprécié ses réparties caustiques avec Peter et ses apparitions entretenant habilement le suspense. Le spectateur pressé de quitter son siège dès le défilement de quelques lignes de générique de fin perdrait ainsi la subtilité d'un rebondissement ultime que le réalisateur s'amuse à suggérer seulement, comme une cerise sur le gâteau.

De rapides images, sur fond de sonnerie stridente de téléphone ... la même qu'au tout début du film, interrompent le générique : quelques vêtements d'enfants et différents jouets colorés qui avaient été sortis de cartons après qu'Agnes ait révélé à Peter l'existence et les conditions de disparition de son fils, âgé alors de 5 ans ... Ce pourrait donc bien être plutôt le fils disparu depuis 9 ans, qui ayant retrouvé trace de sa mère, voulait reprendre contact avec elle, mais rebuté, intimidé par l'état de nervosité de celle-ci, n'osait ni prendre la parole ni décliner son identité !

Mais enfin quel sont ces insectes? Si Peter parle de pucerons, ils ne sont jamais montrés, ... forcément puisqu'ils n'existent que dans son esprit. Ce n'est donc pas par une avalanche de raffinements techniques et de trucages que le réalisateur procède. Le jeu des acteurs y supplée Le réalisateur suggère seulement, même si des séquences touchent quand même au grand-guignol (automutilation).
Si celle de la capture des premiers insectes est minimaliste (rapprochement du pouce et de l'index, un peu comme dans les célèbres numéros de dresseurs de puces savantes au cirque), la performance de l'acteur dans la scène où il est pris de convulsions est à noter.
Et si le seul insecte véritable du film était tout simplement Agnes, l'héroïne, attirée dans l'obscurité de sa vie ratée par la lumière de l'amour, celle de la lampe ou de l'allumette que lui tend Peter, et qui lui consumera les ailes dans l'embrasement final ?

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