Bernadette, femme d’avocat, quitte la vie urbaine pour aller vivre à
la campagne avec son fils de 5 ans. Elle y rencontre Thomas, un paysan
qui conteste les monopoles dans l’agro-alimentaire. Dans sa représentation
naïve, le retour à la terre, fort populaire chez les intellectuels des
années 70, fournit la principale cible à l’ironie de Gilles Carle.
Quand elle met les pieds sur la vraie terre, elle découvre que les feuilles
multicolores recouvrent souvent une bonne couche de boue, que des effluves
de merde traversent souvent l'air pur de la campagne, que la tranquillité
n'existe nulle part, que la simplicité des gens n'apparaît qu'occasionnellement
et toujours comme une victoire sur la complexité de la vie. À son tour
et un peu malgré elle, Bernadette reprend ce regard.
La quête de la vraie nature se transforme alors en la reconnaissance de
plusieurs natures vraies. À travers la découverte du pays réel multiforme,
Bernadette découvre la multi-dimensionnalité de sa «vraie nature».
Elle est à la fois Bernadette Brown, citadine en rupture nostalgique
de mariage, locataire dans son propre pays devenu état américain;
mais aussi Bernadette Bonheur, propriétaire terrien, enracinement
d'habitant et de coureur des bois, libre amoureuse de la terre et des
gens, mère de famille nombreuse dont les fils ne tournent pas tous bien;
ou encoe Bernadette «Soubirous», révélateur de structures religieuses
persistantes, provocatrice de «miracles» par sa simplicité et sa pureté
originelles, miroir de l'authenticité et contestation des superstitions.
Pour les fermiers des environs, elle devient aussi une Bernadette «Devlin»,
porte-étendard de la révolution commencée, dépassement de la force par
la fragilité, liaison de la passion et de l'intelligence dans la lutte.
Gilles Carle disait que le Québec avait besoin d'un cinéma d'exploration
plutôt que d'introspection. Il en donne une brillante démonstration avec
La vraie nature de Bernadette, film tout aussi «questionnant» que
son titre.
Bernadette appartient à cette catégorie de films promenant des citadins
à la campagne pour violer ou apprivoiser la nature, ou bien chercher dans
le fleuve, les lacs et les yeux des gens des miroirs de leur «vraie nature».
Le bag hippie, l'exotisme, l'air pur, la tranquillité, la simplicité,
le naturisme attirent Bernadette à la campagne. Comme les fruits (exotiques
pour la région) qu'elle accroche aux arbres, Bernadette se promène d'abord
dans un doux nuage idéaliste, entre deux airs, deux espaces, deux temps.
Elle regarde tout, mais ne voit pas grand chose. Regard de photographe
de cartes postales.
La caméra de Gilles Carle n'épouse cependant pas la naïveté de son regard.
Dans un plan très amusant, la photographie d'une belle maison campagnarde
placée juste devant l'objectif bascule pour laisser voir la maison réelle,
abandonnée, décrépite, sale.
Le ton est donné pour tout le film. La caméra se situe à ras de terre,
du côté des habitants. Regard de propriétaire depuis longtemps acculturé
à cet environnement. Regard de travailleur plutôt que de contemplateur,
d'évaluateur plus que d'admirateur, de «cultivateur» et non de dilettante,
de «permanent» un peu désabusé, non de touriste.
Une musique alliant des sonorités nouvelles aux rythmes et modes les plus
traditionnels vient souligner ce sentiment de possession, fait chanter
ces airs qu'on a oubliés en ville, rétablit avec le spectateur la connivence
d'un enracinement commun.
Mais la caméra ne suit pas une trajectoire continue pour dégager
une cohérence dans un univers qui n'en a plus.
Elle se promène partout, regarde un moment, repart, découvre un nouveau
personnage ou un nouvel objet, revient en arrière pour reprendre l'observation,
rapporte une image et la juxtapose à une autre, admire ou rejette la juxtaposition,
recommence. Elle rassemble des pièces, mais ne cherche pas trop à composer
une mosaïque. Elle réunit les morceaux briséés d'un miroir, mais précisément
parce que le miroir est brisé, il ne réfléchit plus la pureté des lignes,
il n'en donne que des reflets fragmentaires.
De cette «bataille»d'images résultent un humour assez exceptionnel,
un naturel bouillonnant de vie, l'exubérance d'une naïveté acceptée, des
rencontres heureuses (et parfois malheureuses) de personnes et d'objets:
Bernadette et Thomas, la fraîcheur de Bernadette et les «vices» farfelus
des vieillards, la soupe et la confiture, le syndicalisme et la fête,
les miracles et les fusils, la psychologie et les superstitions, le naturisme
et l'insémination artificielle, la mustang-auto et le mustang-cheval sur
une même image, les avions et les poules.
|