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La vraie nature de Bernadette, un film québécois de Gilles Carle , sorti en 1972

Distribution:

  • Micheline Lanctôt : Bernadette
  • Donald Pilon : Thomas
  • Reynald Bouchard : Rock
  • Robert Rivard : Felicien, le maire
  • Willie Lamothe : Antoine, le postier
  • Maurice Beaupré : Octave
  • Ernest Guimond : Moise
  • Julien Lippé : Auguste
  • Claudette Delorimier : Madeleine
  • Pierre Valcour : Courchesne
  • Yvon Barrette : St-Luc
  • Yves Allaire : St-Marc
  • Yannick Therrien : Yannick
  • Gilles Lajoie : Napoleon

Fiche technique:

  • Réalisation : Gilles Carle
  • Scénario : Gilles Carle
  • Musique : Pierre F. Brault
  • Date de sortie : 1972
  • Genre : Comédie
  • Durée : 115 mn
  • Production : CFF [ca]
  • Images : René Verzier

Bernadette, femme d’avocat, quitte la vie urbaine pour aller vivre à la campagne avec son fils de 5 ans. Elle y rencontre Thomas, un paysan qui conteste les monopoles dans l’agro-alimentaire. Dans sa représentation naïve, le retour à la terre, fort populaire chez les intellectuels des années 70, fournit la principale cible à l’ironie de Gilles Carle.
Quand elle met les pieds sur la vraie terre, elle découvre que les feuilles multicolores recouvrent souvent une bonne couche de boue, que des effluves de merde traversent souvent l'air pur de la campagne, que la tranquillité n'existe nulle part, que la simplicité des gens n'apparaît qu'occasionnellement et toujours comme une victoire sur la complexité de la vie. À son tour et un peu malgré elle, Bernadette reprend ce regard.
La quête de la vraie nature se transforme alors en la reconnaissance de plusieurs natures vraies. À travers la découverte du pays réel multiforme, Bernadette découvre la multi-dimensionnalité de sa «vraie nature».
Elle est à la fois Bernadette Brown, citadine en rupture nostalgique de mariage, locataire dans son propre pays devenu état américain;
mais aussi Bernadette Bonheur, propriétaire terrien, enracinement d'habitant et de coureur des bois, libre amoureuse de la terre et des gens, mère de famille nombreuse dont les fils ne tournent pas tous bien;
ou encoe Bernadette «Soubirous», révélateur de structures religieuses persistantes, provocatrice de «miracles» par sa simplicité et sa pureté originelles, miroir de l'authenticité et contestation des superstitions.
Pour les fermiers des environs, elle devient aussi une Bernadette «Devlin», porte-étendard de la révolution commencée, dépassement de la force par la fragilité, liaison de la passion et de l'intelligence dans la lutte.

Gilles Carle disait que le Québec avait besoin d'un cinéma d'exploration plutôt que d'introspection. Il en donne une brillante démonstration avec La vraie nature de Bernadette, film tout aussi «questionnant» que son titre.
Bernadette appartient à cette catégorie de films promenant des citadins à la campagne pour violer ou apprivoiser la nature, ou bien chercher dans le fleuve, les lacs et les yeux des gens des miroirs de leur «vraie nature».
Le bag hippie, l'exotisme, l'air pur, la tranquillité, la simplicité, le naturisme attirent Bernadette à la campagne. Comme les fruits (exotiques pour la région) qu'elle accroche aux arbres, Bernadette se promène d'abord dans un doux nuage idéaliste, entre deux airs, deux espaces, deux temps. Elle regarde tout, mais ne voit pas grand chose. Regard de photographe de cartes postales.
La caméra de Gilles Carle n'épouse cependant pas la naïveté de son regard. Dans un plan très amusant, la photographie d'une belle maison campagnarde placée juste devant l'objectif bascule pour laisser voir la maison réelle, abandonnée, décrépite, sale.

Le ton est donné pour tout le film. La caméra se situe à ras de terre, du côté des habitants. Regard de propriétaire depuis longtemps acculturé à cet environnement. Regard de travailleur plutôt que de contemplateur, d'évaluateur plus que d'admirateur, de «cultivateur» et non de dilettante, de «permanent» un peu désabusé, non de touriste.
Une musique alliant des sonorités nouvelles aux rythmes et modes les plus traditionnels vient souligner ce sentiment de possession, fait chanter ces airs qu'on a oubliés en ville, rétablit avec le spectateur la connivence d'un enracinement commun.

Mais la caméra ne suit pas une trajectoire continue pour dégager une cohérence dans un univers qui n'en a plus.
Elle se promène partout, regarde un moment, repart, découvre un nouveau personnage ou un nouvel objet, revient en arrière pour reprendre l'observation, rapporte une image et la juxtapose à une autre, admire ou rejette la juxtaposition, recommence. Elle rassemble des pièces, mais ne cherche pas trop à composer une mosaïque. Elle réunit les morceaux briséés d'un miroir, mais précisément parce que le miroir est brisé, il ne réfléchit plus la pureté des lignes, il n'en donne que des reflets fragmentaires.

De cette «bataille»d'images résultent un humour assez exceptionnel, un naturel bouillonnant de vie, l'exubérance d'une naïveté acceptée, des rencontres heureuses (et parfois malheureuses) de personnes et d'objets: Bernadette et Thomas, la fraîcheur de Bernadette et les «vices» farfelus des vieillards, la soupe et la confiture, le syndicalisme et la fête, les miracles et les fusils, la psychologie et les superstitions, le naturisme et l'insémination artificielle, la mustang-auto et le mustang-cheval sur une même image, les avions et les poules.

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