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Les Bas-Fonds , un film japonais de Akira Kurosawa, 1957

 

Distribution:

  • Toshiro Mifune : Sutekichi, le voleur/ Vassili Pepel
  • Isuzu Yamada : Osugi, la propriétaire de l'asile/ Vassilia Karpovna
  • Ganjiro Nakamura : Rokubei, son mari/ Mikhail Ivanovitch Kostylev
  • Kyoko Kagawa : Okayo, soeur d'Osugi/ Natacha
  • Bokuzen Hidari : Kahei, le bonze pèlerin/ Louka
  • Minoru Chiaki : Tonosama, ex-samouraï/ le Baron
  • Kamatari Fujiwara : l'ex-acteur

Fiche technique:

  • Titre original :  どん底 , Donzoko
  • Réalisation: Akira Kurosawa
  • Scénario : Akira Kurosawa, Ideo Oguni, d'après la pièce homonyme de Maxime Gorki (1902)
  • Directeur de la photographie : Ichio Yamazaki
  • Format :35 mm, 1,33 ; noir et blanc
  • Montage: Akira Kurosawa # Musique originale : Masaru Sato
  • Producteurs : Akira Kurosawa, Shojiro Motoki
  • Société de production et de distribution : Toho
  • Durée : 137 minutes
  • Date de sortie : 1er octobre 1957

Dans les bas fonds d'Edo (Tokyo), vers 1860, sous un mur d'enceinte où l'on déverse les ordures, vit un petit monde de déshérités et de " damnés de la terre ", dans un misérable asile tenu par Rokubei et sa femme Osugi, couple de propriétaires avares et impitoyables. On y trouve entre autres un acteur déchu et alcoolique, qui pense qu'il va remonter sur scène, un ex-samurai se vantant d'exploits improbables, un ferrailleur et sa femme moribonde, un joueur invétéré, une prostituée de bas étage, et un voleur qui n'a pas froid aux yeux, ni peur de la police, Sutekichi.

Un jour, alors que la vie semble tant bien que mal suivre son cours dans l'asile, entre jeux d'échec, beuveries et engueulades, arrive un mystérieux vieillard pélèrin. C'est autour de lui que vont se cristalliser les espoirs des petites gens qui vivent là. Le vieux leur permet en effet pour la première fois de croire à leurs espoirs et rêves. Il a en effet compris que le bonheur des gens peut passer par le mensonge: il confirme ainsi leurs espoirs comme possibles: il dit à l'ex-acteur alcoolique qu'il existe un temple où pourra se désintoxiquer, à la vieille femme en train de mourir que l'au-delà est meilleur que le réel, à la jeune prostituée qu'elle trouvera un jour le mari de ses rêves...

Après avoir été l'amant de la propriétaire de l'asile, Osugi, Sutekich, tombe amoureux de sa soeur Okayo et souhaite l'enlever à toute cette misère en quittant la ville. Mais Osugi d'abord jalouse, accepte à une seule condition, que Sutakichi la débarasse de son mari. Alors que Okayo semble prête à suivre le voleur repenti, la propriétaire profite d'une scène de confusion pour tuer son mari et faire accuser Sutakichi.

Le seul à pouvoir le disculper, le vieux pélerin s'est enfui: il semble lui aussi avoir une part d'ombre et beaucoup de choses à cacher à la police...Tout ce petit monde se supporte plus ou moins bien, et noie sa détresse dans l'alcool, tandis que le voleur se moque du policier de service ; jusqu'à ce qu'Osugi, secrètement amoureuse du voleur, s'aperçoive qu'il aime en fait sa sœur, Okayo. Par jalousie, Osugi incite Sutekichi à tuer son mari, qu'elle déteste, provoquant ainsi son arrestation. Après ces violents incidents, Okayo devient folle et le bonze s'en va. Fêtant la mort du propriétaire, les autres boivent du saké, chantent et dansent en cadence, lorsqu'ils apprennent que l'acteur s'est pendu. Le joueur dit alors en guise d'oraison funèbre: " L'imbécile s'est tué pour nous gâcher le plaisir... "

Le film de Kurosawa, est une adaptation très fidèle , peut être la plus proche du texte qu’il n’ait jamais réalisé. Le texte est la plupart du temps suivi, avec quelques adaptations, raccourcis et autres coupures inhérentes à l’exercice. Kurosawa fait parler tout son art pour réussir à ne pas briser le cadre théâtral et dramatique, il respecte le huis clos oppressant, ne filmant qu’à l’intérieur de la pièce à vivre et dans la cour du logement. Kurosawa joue avec cet aspect théâtral tout en utilisant toutes les techniques du cinéma et qui donc donne une dimension différente à l’œuvre. Il ne filme pas non plus une scène, mais un espace réduit, qui pourrait y ressembler et qui lui permet de coller à l’ambiance tout en réalisant un véritable film.

Akira Kurosawa à l'intelligence de ne pas parler directement du problème social qui a poussé ces hommes, ici, dans les bas-fonds. Aucun discours social de la part de Kurosawa, à l'inverse de Jean Renoir. Ce qui intéresse le réalisateur c'est l'homme, son fonctionnement, ses richesses et surtout ses faiblesses. Ces hommes sont en attente, prisonniers d'eux-mêmes, avec deux gardiens qui s'appellent Nostalgie et Rêve. Ces deux forces qui les empêchent de sortir de ces bas-fonds et qui rendent ce huis-clos si fécond, car il correspond au thème même du film.

La Nostalgie est très forte dans ce film. Elle se retrouve dans le personnage de l'acteur qui vit dans la douceur de ses succès, réels et imaginaires, de jadis, ou bien le Samouraï qui fut jadis le grand homme qu'il n'est plus aujourd'hui. Le rêve se retrouve chez la femme qui s'est inventé une histoire romantique, ou bien encore le vieil alcoolique qui rêve de partir dans un temple où il pourra être guéri, ou bien encore le héros qui rêve de partir pour vivre non plus comme voleur mais comme un travailleur honnête. Mais tout cela n'est pas la réalité. La réalité c'est la mort, celle de la femme malade pour commencer, celui de l'acteur ensuite, c'est la bassesse humaine, les manipulations sordides, les volontés de meurtres que tous fuient en détournant le regard.

De ce film, un seul message, en forme de cri, comme souvent chez Kurosawa, un message courant aussi dans la filmographie du maître : agissez, cessez de vous complaire, réagissez, prenez les choses en mains et changez ces choses.

Les personnages sont interprétés par les acteurs préférés du réalisateur et jouent très bien leur rôle, sans exagération ou fausseté. Mifune est extraordinaire dans son rôle de voleur amoureux, ils sont au service du récit et donnent vie à leur personnage, malgré la difficulté d’être juste dans ce registre. Chaque homme, chaque femme a ses problèmes dont rien ne semble pouvoir le tirer (que ce soit à Moscou ou à Edo, au XXème ou au XVIIème, les problèmes sont les même) jusqu’au jour ou surgit le vieillard (le seul habillé de blanc) qui leur permet de canaliser leur rêves, rêves dans lesquels ils vivaient plus ou moins, ne pouvant rien faire dans leur vie ni pour eux ni pour les autres, ils vivent dans le passé ou le futur, mais jamais dans le présent, jamais pour leur « eux » actuel. Ce n’est que la mort d’un des leurs, frappé par la réalité de plein fouet, qui va les forcer à stopper leur vie atemporelle et irrationnelle pour retomber dans leur bas fonds.

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