Aquarius, film franco-brésilien de Kleber Mendonça Filho, sorti en 2016

Distribution:

  • Sonia Braga : Clara, la locataire de l'Aquarius
  • Irandhir Santos : Roberval, le pompier sauveteur
  • Maeve Jinkings : Ana Paula, la fille de Clara
  • Zoraide Coleto : Ladjane, la femme de maison
  • Fernando Teixeira : Geraldo Bonfim, le patron de la société immobilière
  • Humberto Carrão : Diego, son petit-fils
  • Carla Ribas : Cleide, l'amie avocate de Clara

Fiche technique:

  • Réalisation et scénario : Kleber Mendonça Filho
  • Photographie : Pedro Sotero et Fabricio Tadeu
  • Montage : Eduardo Serrano
  • Durée : 142 minutes
  • Dates de sortie : 17 mai 2016 (Festival de Cannes),
    28 septembre 2016 (sortie nationale)

Récompense : Ours d'or Berlin 2016

Clara, la soixantaine, ancienne critique musicale, est née dans un milieu bourgeois de Recife, ville du nord-est du Brésil, dans un grand appartement, face à la mer. Elle vit dans un immeuble singulier, l’Aquarius construit dans les années 1940, sur la très huppée Avenida Boa Viagem qui longe l’océan. Un puissant promoteur en a racheté tous les appartements mais Clara se refuse à vendre le sien. Elle va rentrer en guerre froide avec la société immobilière qui la harcèle. Très perturbée par cette tension, elle repense à sa vie, à son passé et à ceux qu’elle aime.

Un prologue important se situe dans les années 1980, dans le même appartement. On y fête les 70 ans de Julia, une tante sans enfant de Clara. Julia est une intellectuelle qui fut aussi sportive de haut niveau, militante politique, grande amoureuse, et qui s’égare dans le souvenir d’une étreinte torride pendant que ses petits-enfants récitent un texte en son honneur. Clara appairait sortant d'un cancer du sein, vivante mais les cheveux rasés, marquée, aussi bien dans sa chair que moralement, car beaucoup de ses amis sont partis, apeurés par son cancer.

30 ans plus tard, veuve d'une soixantaine d'années, mère de trois enfants désormais grands, Clara vit seule, dans cet appartement pour elle chargé d'histoires et de souvenirs, qui affleurent parfois, en flash-back apaisants. Aujourd'hui, les murs sont tapissés d'une collection impressionnante de vinyles : la musique est la passion de Clara, elle en a fait son métier, elle a été critique, a écrit des livres. A toute heure du jour ou de la nuit, saisir tel disque de bossa-nova, de pop ou de rock, poser le saphir, écouter religieusement son morceau et danser seule au milieu du salon font partie de ses multiples plaisirs.

Mais Clara doit faire face au harcèlement constant voire à l'intimidation d'un promoteur immobilier qui a racheté tous les autres appartements de l'immeuble, désormais désert. De propositions alléchantes, elle ne veut pas entendre parler. Au risque de passer pour une folle, ce qu'elle veut, c'est rester ici. Aquarius instaure un climat de tension captivant, à la lisière du fantastique, sinon du mauvais rêve. Pour l'impressionner, le promoteur loue les appartements vides à des occupants d'un jour, perturbants, secte religieuse ou acteurs d'un film porno trash. Et il fait miroiter à ses enfants les sommes importantes dont ils pourraient hériter, si elle acceptait de partir.

Le réalisateur se focalise cette Clara, personnage central de la classe moyenne aisée et éclairée. Il décrit, avec minutie, ses relations, les liens qu'elle entretient avec son passé, sa famille, ses amies, son employée de maison, le voisinage, les rencontres d'un soir. Un portrait tout en subtilité, exécuté par touches sensuelles, mais aussi implacables comme ce plan fugitif dans la salle de bains, révélant un sein amputé, après son cancer. Hier malade, marquée par diverses épreuves, cette mère orgueilleuse continue malgré tout de jouir de la vie. Un homme, rencontré en boîte de nuit, ayant fui à l'idée d'une étreinte avec une femme mutilée, elle n'hésite pas par la suite, à faire appel à un gigolo. Mais ce portrait de femme forte, riche d'ambiguïté, n'est pas que flatteur, et laisse apparaître l'égoïsme et l'obstination.

A travers la gradation des actions, de plus en plus baroques, de plus en plus perverses, que le promoteur entreprend pour déloger la résistante, Aquarius offre une image surréaliste de la violence aveugle que peut produire un système capitaliste en roue libre, et la renvoie in extremis à l’envoyeur, à la faveur d’un retournement vengeur permis grâce à la complicité de son avocate et d'un beau maître nageur-sauveteur. A ce mouvement mortifère qu’elle donne à voir, la mise en scène oppose des cadrages d’une sophistication plastique extrême, qui font communiquer l’intérieur et l’extérieur, des plans-séquence sensuels, amples, fluides, qui unissent les couples sur la piste de danse, des panoramiques à la grue, qui fabriquent du lien là où la ville et les puissances de l’argent œuvrent à le détruire.

La mémoire et la transmission sont les grandes questions de ce film qui prend acte, à travers le drame de son héroïne, de l’anéantissement de cette classe moyenne culturellement éclairée à laquelle appartient Clara, sans jamais verser dans la nostalgie. Les archives dont il regorge, qui lui donnent sa texture de millefeuille temporel, rappellent que les années 1970 étaient aussi l’époque où l’on posait en photo à côté de sa voiture, « comme si c’était quelqu’un de la famille », et où l’on photographiait les enfants en coupant la tête de la nounou noire à leur côté.

« Kleber Mendonça Filho tisse le magnifique portrait d’une société brésilienne malade et d’une femme debout contre la rapacité capitaliste. Sonia Braga y resplendit. »
Julien Gester, Libération, 17 mai 2016

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