Amour fou

Amour fou, film autrichien de Jessica Hausner, sorti en 2014

Un film romantique, étrange, comme un voyage en couleurs au début du XIXe siècle, librement inspiré des amours et de la mort du poète Heinrich von Kleist

  • Titre original : Amour fou
  • Réalisation : Jessica Hausner
  • Scénario original : Jessica Hausner, librement adapté de la vie d'Heinrich von Kleist
  • Production : Coop99 Filmproduktion, Amour fou Luxembourg, Essential Filmproduktion
  • Pays de production : Autriche, Luxembourg, Allemagne
  • Photographie : Martin Gschlacht
  • Montage : Karina Ressler
  • Dates de sortie : 16 Mai 2014 (Cannes , section "Un certain regard")
    • France, en salles : 4 février 2015
  • Durée : 96 minutes

Distribution:

  • Christian Friedel : Heinrich
  • Birte Schnoeink : Henriette
  • Stephan Grossmann : Friedrich Louis Vogel

Critique

Le film se situe près de Berlin, vers 1810. Le jeune poète Heinrich promène son vague-à-l'âme dans les salons de la ville. Mélancolique, il propose un étrange marché à Marie, sa cousine dont il est amoureux. Il voudrait se suicider avec un être aimé. Marie reste sceptique. Heinrich est déprimé par le manque de sensibilité de sa cousine. Heinrich , invité à dîner chez une amie, Henriette, paraît rigide, presque quelconque, au cours de cette soirée.
Plus tard, on le retrouve en train de converser avec sa cousine. Le ton est alors fiévreux, plus conforme au stéréotype romantique. Heinrich dit sa blessure à vivre. Puis finit par lancer : « Voulez-vous mourir avec moi ? », comme s'il proposait du thé et des biscuits. La proposition est d'autant plus absurde qu'un peu plus tard, devant le refus poli et tendre de sa cousine, Heinrich la réitère à une autre. A savoir Henriette.

Jessica Hausner ne manque pas d'aplomb, à narguer ainsi le mythe du romantisme allemand en distillant une dose d'humour sarcastique sous le vernis du tableau d'époque. Elle le fait en pointant justement le manque criant d'humour d'Heinrich, totalement égocentriste, obsédé par sa seule souffrance et ce qu'il en tire dans l'écriture. Le portrait qu'elle brosse de lui est cinglant. C'est moins vrai pour Henriette, à laquelle la réalisatrice s'attache le plus et qu'elle étudie de près, comme une entomologiste.
Henriette paraît proche et si loin de nous à la fois. Eteinte dans ses robes aux couleurs si vives, aux tissus si doux, confinée dans ces intérieurs aussi soignés qu'épurés, où même le chien semble un modèle de propreté. Henriette est une femme instruite, lucide, qui semble réaliser l'écart entre le monde extérieur en pleine ébullition révolutionnaire et son monde intérieur, où tout n'est qu'ordre et beauté, luxe, calme et absence de volupté. Est-ce cela qui l'attire vers Heinrich ? Dans une scène, on le voit frapper à sa porte. Elle lui dit d'entrer, alors qu'elle est en train de se changer, on entraperçoit juste un éclair blanc de lingerie. C'est une invitation. Lui recule, totalement concentré sur sa souffrance et incapable de saisir des moments de bonheur, même précaire.

En usant d’une image hyper soignée, fort composée et très colorée, mais aussi de cadres très précis, la mise en scène de Jessica Hausner se met à l’unisson de l’âme de ses personnages, portés par des acteurs sublimes, à la fois raides et d’une sensibilité exacerbée, fantasque. La réalisatrice semble souvent se poster au bord du surplomb, de la moquerie facile. Mais jamais elle n’ôte la moindre parcelle de lucidité ou d’intelligence à Henriette et Heinrich : sous l’apparente folie, ils savent très bien ce qu’ils font.

« Avec ses cadres fixes – pas un seul mouvement de caméra durant tout le film – la mise en scène de Hausner retranscrit parfaitement l’immobilité étouffante et l’apathie de la haute société du début du xixe siècle. Un film mystérieux qui vous hante durablement, porté par des images et une langue d’une beauté inhabituelle, et une interprétation de très haut niveau. » Olivier Père, Arte, 16 mai 2014

Biographie très résumée d'Heinrich von Kleist

Heinrich von Kleist est né à Francfort-sur-l'Oder le 18 octobre 1777 Issu d'une famille noble de militaires, fils de Joachim Friedrich von Kleist et de sa seconde épouse Juliane Ulrike von Pannwitz, il est confié à un précepteur à Francfort-sur-l'Oder et étudie avec son cousin, Charles von Pannwitz.
En 1788, alors qu'il n'a que onze ans, son père, capitaine au régiment de Léopold von Braunschweig à Francfort, décède, laissant sa femme et ses enfants dans une situation financière difficile.
Il étudie à l'école de la communauté réformée française de Berlin, avant d'entrer en 1792 dans l'armée prussienne comme caporal au régiment de la Garde de Potsdam. Il participe au Siège de Mayence (1793) et au Blocus de Mayence.

Le 3 février 1793, il perd sa mère. En 1800, il se fiance avec Wilhelmine von Zenge. Refusant de réintégrer l'armée, il travaille comme fonctionnaire à Berlin. En 1801, il lit Kant, ce qui le plonge dans une profonde dépression. Après un voyage en France avec sa demi-sœur, Ulrike, de 3 ans son aîné, il s'installe à Thun près de Berne où il termine sa première pièce, La Famille Schroffenstein. En 1802 il se brouille avec sa fiancée Wilhelmine et tombe malade. Un médecin lui diagnostique une « mélancolie morbide ».

En 1810, Kleist est animé par l'espoir d'une coalition entre la Prusse et l'Autriche, contre Napoléon. Il décide d'écrire un drame en honneur de la famille Hohenzollern: Le Prince de Hombourg, inspiré des Mémoires pour servir à l'histoire de la maison de Brandebourg de Frédéric II. La même année, Kleist lance sa deuxième revue littéraire : des journaux destinés à être publiés cinq fois par semaine, les Abendblätter, aux contenus fort patriotiques.

En novembre, il rencontre une femme mariée, par ailleurs musicienne, Henriette Vogel, avec qui il échange une correspondance amoureuse. En 1811, sont publiés La Cruche cassée et sa nouvelle, Les Fiancés de Saint-Domingue. Il adresse à Henriette les Litanies de la Mort. Ils se donnent rendez-vous près de Potsdam, le 21 novembre 1811, ils se rendent dans un bois situé au bord du petit lac Wannse; Kleist tue Henriette, atteinte d'un cancer, puis retourne l'arme contre lui.
On peut lire sur sa tombe un vers tiré du Prince de Hombourg : « Nun, o Unsterblichkeit, bist du ganz mein » (Maintenant, ô immortalité, tu es toute à moi !)