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Film d'amour et d'anarchie (Film d'amore e d'anarchia...) film italien de Lina Wertmüller , sorti en 1973

Distribution:

  • Giancarlo Giannini - Antonio Soffiantini 'Tunin'
  • Mariangela Melato - Salomè
  • Lina Polito - Tripolina
  • Eros Pagni - Giacinto Spatoletti
  • Pina Cei - Madame Aida
  • Elena Fiore - Donna Carmela
  • Giuliana Calandra
  • Isa Bellini
  • Isa Danieli
  • Enrica Bonaccorti
  • Anna Bonaiuto
  • Anita Branzanti
  • Maria Sciacca
  • Anna Melato
  • Gea Linchi
  • Anna Stivala

Fiche technique:

  • Titre original : Film d'amore e d'anarchia, ovvero: stamattina alle 10, in via dei Fiori, nella nota casa di tolleranza...
  • Réalisation : Lina Wertmüller
  • Scénario : Lina Wertmüller
  • Musique : Nino Rota et Carlo Savina
  • Photographie : Giuseppe Rotunno
  • Montage : Franco Fraticelli
  • Pays d’origine : Italie
  • Durée : 129 minutes
  • Dates de sortie : 20 mai 1973
  • Récompense : prix d’interprétation à Cannes pour Giancarlo Giannini

La tenancière d'une maison close à Rome, Salomé de Bologne, accueille un soi-disant cousin qui est en réalité un camarade anarchiste. Ce dernier, un simple paysan nommé Tonino, est chargé de préparer un attentat contre Mussolini. Il ne va pas tarder à s'amouracher d'une des pensionnaires, Tripolina, qui cherche à le détourner de sa mission. Tonino se retrouve alors tiraillé entre ses idéaux politiques et son histoire d'amour contrariée.

Abordant des questions philosophiques, politiques et morales, en les liant à l’univers de la sexualité, Wertmüller produit une œuvre singulière, considérée par certains comme la meilleure de son auteur. La maison close est un décor récurrent dans le cinéma de Wertmüller (Pasqualino, Mimi métallo) qui permet à la cinéaste de mettre en avant son goût du grotesque et du carnavalesque. Film d’amour et d’anarchie met en spectacle les corps arrondis, bien en chair, des prostituées, prenant par moments une dimension d’opéra bouffe et n’hésitant pas à user de gags pour le moins vulgaires.

Certains commentateurs ont critiqué le pessimisme sous-jacent de cette comédie. Ainsi, toute tentative d’élever l’être humain, de le transformer politiquement, serait vouée à l’échec, comme le montre le destin pitoyable de l’anarchiste Tonino, qui, manquant son attentat, finit par commettre un massacre gratuit dans la maison close avant d’être assassiné à son tour dans une prison fasciste. Mais la maison close est aussi le lieu où se confrontent, selon la vision freudienne, Eros et Thanatos, incarnations de la dichotomie entre les principes de l’amour, de la sexualité et du désir identifiés au monde féminin, et ceux de la violence et de la mort associés à l’univers masculin. L’interrogation des thèmes idéologiques par le biais de la sexualité permet à la cinéaste de s’écarter de certains dogmes politiques et féministes en posant la question centrale qui traverse l’ensemble de son œuvre : vaut-il la peine de sacrifier sa vie au nom d’un idéal, aussi noble soit-il ?

Pour filmer le complot ourdi par Tunin et Salomé contre Mussolini, Lina Wertmüller use d’une grammaire visuelle identique à celle dont elle avait fait usage pour dépeindre le destin pathético-grotesque de Mimi . Film d’amour et d’anarchie témoigne à son tour de la prédilection de la réalisatrice pour les très gros plans sur les visages des personnages. Filmant à bout touchant les trognes monstrueuses des uns, tel le nez de Cyrano, la verrue d’Elena Fiore tient plus du cap que de la banale excroissance de chair et les faces outrageusement grimées des autres, les prostituées sont fardées à la manière des catins "felliniennes" du Satyricon. Lina Wertmüller transforme ces têtes en autant de paysages de chair.

À cette incroyable géographie de visages répond celle de l’espace italien que Lina Wertmüller filme avec une même puissance. La réalisatrice place sa caméra entre la campagne lombarde, Rome et le Latium. Parfois aérienne, comme lors du générique dévoilant spectaculairement les rizières de Lombardie, la photographie consiste alors en des plans d’ensemble soigneusement élaborés. D’une tonalité picturale marquée, ces images s’affirment en outre par leur étrangeté, conférant à Film d’amour et d’anarchie une dimension onirique. La séquence nocturne durant laquelle Spatoletti entraîne Tunin au sommet du Capitole donne lieu à une alternance de splendides plongées sur les motifs géométriques du pavage de la place, et contre-plongées sur les statues massives dominant l’endroit. Ainsi filmé, ce lieu classique du tourisme romain se teinte alors d’une inquiétante bizarrerie, tout comme Sabaudia, l’une de ces villes nouvelles érigées par le pouvoir fasciste dans les marais pontins. C’est en effet là que Tunin projette d’assassiner le Duce à l’occasion d’un meeting. On voit alors le manouvrier lombard errer longuement dans la cité mussolinienne, traversant là une place désertée de toute présence humaine, s’arrêtant ici au pied de bâtiments à l’architecture radicalement avant-gardiste. Un vif soleil baigne l’ensemble et souligne crûment l’obsession phallique taraudant l’urbanisme fasciste. Celle-ci se révèle notamment dans la raide et verticale géométrie d’une église doublée d’un campanile orgueilleusement dressé vers l’azur immaculé du Latium. Film d’amour et d’anarchie s’affirme comme une dénonciation du fascisme, mais c’est sous l’angle de son rapport misogyne aux femmes que Lina Wertmüller développe sa mise en accusation.

Ne s’exprimant pas uniquement par le biais des décors, le phallocentrisme fasciste trouve aussi à se dire par le biais de ses personnages. Giacinto Spatoletti affiche ainsi un machisme aussi vulgaire que brutal réduisant les femmes à l’une ou l’autre de ces deux fonctions : celle de la maman ou celle de la putain. Concernant la première de ces assignations, ne lance-t-il pas à Tripolina, qu’il croit sur le point d’épouser Tunin - un « Faites des fils ! » en guise de félicitations ! Lors d’une séquence précédente, on avait déjà vu Spatoletti congratuler de manière toute aussi tonitruante un aubergiste père de pas moins de huit enfants. Et pour celles des femmes qui n’ont pas encore enfanté, leur fonction consiste à satisfaire les besoins sexuels de ce clone bouffon de Mussolini, grand consommateur qu’il est de prostituées. Mais aussi monstrueux soit-il, Spatoletti n’est jamais que l’incarnation paroxystique d’une domination masculine assumée en réalité par la très grande majorité des mâles italiens. C’est ce que suggère Lina Wertmüller lors d’une série de plans détaillant les visages de clients de la maison de tolérance s’apprêtant à choisir l’une ou l’autre des prostituées. Se succède alors à l’écran une très grande variété de types masculins, chacun représentatif des différentes strates de la société transalpine. La galerie ainsi composée montre en effet aussi bien des jeunes que des vieux, des bourgeois ou des prolétaires, des civils comme des militaires.

Tunin lui-même participe à cette misogynie. Celle-ci se révèle brutalement lors d’une des dernières séquences de Film d’amour et d’anarchie montrant le Lombard, fou de colère, frapper Salomè et Tripolina comme la dernière des brutes machistes. Et une troublante symétrie se dessine alors entre l’anarchiste proclamant son désir de tuer Mussolini et le fasciste Spatoletti, apportant ainsi une manière d’explication à l’échec tragique du complot ourdi par Tunin. Comment un individu peut-il en effet espérer mettre à bas un régime tyrannique quand, dans le cadre personnel, il s’avère incapable de mettre en œuvre l’égalité la plus élémentaire entre l’homme et la femme ? Tel est le très stimulant questionnement soulevé par Lina Wertmüller avec Film d’amour et d’anarchie. Une œuvre qui démontre que le premier espace révolutionnaire est celui de l’intime.

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