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Sarabande, film suédois de Ingmar Bergman, diffusé en 2003

Distribution:

  • Liv Ullmann : Marianne
  • Erland Josephson : Johan
  • Börje Ahlstedt : Henrik
  • Julia Dufvenius : Karin
  • Gunnel Fred : Martha

Fiche technique:

  • Titre original : Saraband
  • Réalisation : Ingmar Bergman
  • Scénario : Ingmar Bergman
  • Images : Stefan Eriksson
  • Montage : Sylvia Ingemarsson
  • Production : Sveriges Television
  • Date de diffusion : 1er décembre 2003 (TV Suède)
  • Sortie en salles en France : décembre 2004
  • Film suédois
  • Durée : 120 minutes

 

Au moment du tournage Bergman a 86 ans. Et par un non hasard, voici que c'est aussi l'âge de Johan que vient retrouver au débotté son ancienne épouse Marianne 63 ans. Trente-deux ans qu'ils ne se sont pas vus, c'est à dire depuis leurs "Scènes de la vie conjugale" puisque c'est bien apparemment le même couple et les mêmes interprètes.

Tous deux vivent désormais seuls. Lui se heurte à son fils Henrik, 61 ans, né d'un premier mariage. Henrik, veuf depuis deux ans d'Anna, couve et étouffe sa fille de 19 ans, Karin dont il s'est institué le professeur de violoncelle, d'un amour parfois très ambiguë, le soupçon de l'inceste plane. Anna, la mère et épouse morte, dont on nous montre régulièrement le portrait noir et blanc (toujours le même et à un âge semblant se situer juste entre Karin et Henrik) est l'ombre portée sur le film et sur les différents protagonistes. Ou peut-être la lumière. Vénérée par tous, même par Marianne qui ne l'a pas connue, elle ressemble davantage à une sainte ou plutôt à une icône, qu'à un véritable être autrefois de chair et de sang. Elle est aussi celle dont Marianne va en quelque sorte se rapprocher le plus, petit à petit.

Bergman s'est projeté au moins en partie dans le personnage de Johan. Il partage le même âge mais aussi l'ex-femme puisque le cinéaste fut marié à l'actrice Liv Ullmann, il y a... une trentaine d'années. La peur de la Mort (nombre de ses films tournent autour de ce thème ), cette angoisse qui lui sort de partout, même "du cul", cette "diarrhée mentale" dont Johan s'avoue la proie en fin de film avant de se mettre à nu au propre comme au figuré, Bergman les éprouve. Il suffit de visionner ses oeuvres cinématographiques mais aussi littéraires dont ses autobiographies pour s'en convaincre. De plus, le cinéaste suédois ne s'est jamais ménagé, pratiquant l'auto-dérision et le mépris envers sa propre personne plus que de raison.

Mais le droit à la fiction demeure et les âges déclarés des personnages de Scènes de la vie conjugale et de Sarabande ne correspondent pas. Dans le premier film Johan avait 52 ans à la fin du film (42 au début) mais Marianne n'accusait que 45 ans (35 lorsque l'histoire démarrait). Ils devraient donc ici et en bonne logique avoir respectivement 84 et 77 ans. D'autre part, les prénoms des deux filles nées de leur mariage ne concordent pas : nous avons ici Martha et Sara au lieu de Eva et Karin. Johan n'avait pas été marié avant Marianne (elle, si) et n'avait pas de fils (Henrik). Par contre, après leur divorce, il s'était remarié avec une certaine... Anna. Enfin, dans Sarabande, Marianne fait allusion aux poèmes qu'écrivait Johan, sujet d'une scène de "la vie conjugale" trente-deux ans plus tôt. On retrouve aussi la lanterne de papier représentant l'astre solaire et l'affirmation de Johan comme quoi l'entente entre un homme et une femme repose sur une bonne camaraderie et une vie sexuelle épanouie.

Bergman, lui, soutient que Sarabande n'est en aucun cas la suite de "Scènes de la vie conjugale"

Johan nous est présenté comme un homme devenu profondément méprisant. Les mots qu'il emploie pour parler de son fils Henrik se révèlent d'une violence inouïe, son dégoût pour "l'amour gluant" que lui portait autrefois l'enfant Henrik, l'humiliation qu'il impose à son fils désormais sexagénaire ont eu pour conséquence d'avoir établi entre eux une relation bâtie toute entière sur la haine. Des relations conflictuelles entre parents et enfants, Bergman en avait déjà traitées par le comme dans "Sonate d'Automne". Mais sans doute jamais avec un tel degré dans la haine avouée. Johan paraît souvent monstrueux dans son mépris et son cynisme. Il n'en sera que plus émouvant à l'heure de la crise existentielle, cette angoisse quand, face à la Mort qui approche, Johan tombe enfin masque et costume et se révèle tel qu'il est : un vieillard nu.

Entre eux, deux femmes. Anna la morte et Karin la vivante. Le père et le fils ressemblent souvent à deux galants rivaux. Anna leur a échappé à tous deux via la maladie, leur laissant une cicatrice impossible à refermer. On peut d'ailleurs se demander quelle était la nature exacte des sentiments de Johan pour sa belle-fille. Là encore, l'ambiguïté règne.

Karin, elle, devient un enjeu entre les deux hommes. Henrik veut la garder attachée à lui. Prenant pour prétexte son rôle de professeur de musique, il révèle en fait un amour de type exclusif et égoïste non dénué, comme déjà dit, d'une ambiguïté certaine. Mais il est aussi un homme profondément perdu, cassé depuis son veuvage et Karin reste la seule bouée le tenant encore hors de l'eau où son être et sa raison ne demandent qu'à sombrer. Henrik est montré tour à tour tendre et attachant, son amour pour Anna nous émeut, sa fragilité aussi, une intense douleur le brûle toujours comme il le confesse à Marianne, alors qu'il vient de révéler l'un des aspects les plus noirs de sa personnalité : "Parfois, je me demande si je ne suis pas un peu fou. J'ai tout le temps mal".

Johan, lui, veut "libérer" Karin. Mais le désire-t-il vraiment de façon désintéressée ou, plus ou moins inconsciemment, afin de priver ce fils tant méprisé et détesté, du seul bonheur que celui-ci possède encore ?

Karin elle, ne choisit pas. Elle aime tout autant son père et son grand-père, même si vivre avec le premier entraîne de constantes tensions et une souffrance explosive, trop souvent au-delà du intolérable. Pourtant, s'il existe un rayon d'optimisme dans ''Sarabande'', on le trouvera chez Karin. Cette jeune fille aussi sensible et fragile que dure et cassante, arrivera finalement à décider par elle-même de son avenir. Repoussant à la fois l'emprise du père et le tapis rouge du grand-père via l'offre d'un grand chef d'orchestre ami de ce dernier. Elle partira, mais là où elle l'a décidé.

Marianne, notre guide, nous accueille à l'entrée de ce drame familial. Elle encadre le film, l'ouvrant et le clôturant. Tout ce qui se situe entre le prologue et l'épilogue, les dix chapitres, scènes ou mouvements est donc un retour en arrière, tout le film étant raconté par Marianne. D'elle, nous savons qu'elle exerce la profession d'avocate, qu'une de ses filles vit en Australie avec son mari et que l'autre a été internée dans un hôpital psychiatrique. Pouvant sembler assez passive durant tout le récit, elle sert de confidente à chaque protagoniste à tour de rôle, démontrant toujours une bonne volonté parfois mise à mal. Elle ne se dévoile que dans les derniers instants du film, lors une scène assez surprenante tout d'abord puis, surtout, dans les ultimes secondes.

Vingt-deux ans après son "dernier film" présenté comme "film testament" (Fanny et Alexandre), le nouvel opus cinématographique d'Ingmar Bergman ''Sarabande'' est une oeuvre magnifique, digne des meilleurs films de son auteur. S'il n'atteint peut-être pas l'ampleur de certains (Le Septième Sceau, Les Fraises Sauvages, Cris et Chuchotements, Fanny et Alexandre, Persona...), il les rejoint pourtant en profondeur.

De par sa forme, ''Sarabande'' relève du "film de chambre", autrement dit de ce croisement si cher à Bergman entre théâtre et cinéma, son épouse légitime et sa maîtresse comme il aimait à le rappeler et que le cadre télévisuel lui a si souvent permis de synthétiser.

Aucune scène ne présente plus de deux personnages à la fois. Bergman, qui supprime la profondeur de champ, ajoute ainsi à l'impression d'étouffement (tout est filmé en intérieurs avec juste quelques aperçus de la campagne suédoise) et lie ses différents mouvements par de simples plans de fonds noirs annonçant le numéro du chapitre suivant et le titre afférent, le tout sur un extrait d'une suite pour violoncelle de Bach.

Ceux et celles qui attendaient de Bergman un apaisement au soir de sa vie et de son oeuvre en seront pour leurs frais : ''Sarabande'' s'avère un film d'une noirceur terrible, d'un désespoir quasi total que, seules, quelques lueurs bien fragiles tentent de fendre.

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