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Parle avec elle, un film espagnol dePedro Almodóvar sorti en 2002

Distribution:

  • Javier Cámara : Benigno Martín, l'infirmier
  • Darío Grandinetti : Marco Zuluaga, le journaliste
  • Leonor Watling : Alicia Roncero, la patiente dans le coma, ancienne danseuse
  • Rosario Flores : Lydia González, la toreador
  • Geraldine Chaplin : Katerina Bilova, la professeur de danse d'Alicia
  • Mariola Fuentes : Rosa, l'infirmière collègue de Benigno
  • Paz Vega : Amparo, la femme de L'Amant qui rétrécissait, le film dans le film
  • Adolfo Fernandez : Niño de Valencia, ex-amant de Lydia
  • Helio Pedregal : le docteur Roncero, père d'Alicia
  • Elena Anaya : Angela, l'ex-petite amie de Marco
  • Pina Bausch : elle-même

Fiche technique:

  • Titre original : Hable con ella
  • Réalisation : Pedro Almodóvar
  • Scénario : Pedro Almodóvar
  • Directeur de la photo: Javier Aguirresarobe
  • Musique originale: Alberto Iglesias
  • Montage : Pepe Salcedo
  • Direction artistique : Antxón Gómez
  • Production : Agustin Almodóvar pour El Deseo S.A, A3TV et Via Digital
  • Pays : Espagne
  • Durée : 112 min
  • Date de sortie : 15 mars 2002 (Espagne), 10 avril 2002 (France)

Le rideau se lève sur un spectacle de danse, avec deux spectateurs dans la salle qui ne se connaissent pas: le premier, Benigno, remarque que son voisin, Marco, laisse échapper une larme d'émotion. À la clinique, pendant les soins qu'il lui prodigue, l'infirmier Benigno raconte le spectacle à Alicia, une patiente dans le coma, et lui offre même une dédicace de Pina Bausch, la célèbre chorégraphe.

Benigno est un homme simple, gentil, serviable, dévoué, qui se consacre entièrement à cette jeune femme hospitalisée. Après avoir vu une interview d'elle à la télévision, le journaliste Marco s'intéresse à Lydia, une torero vedette de la tauromachie en Espagne car sa personnalité forte l'a décidé à rédiger un article sur elle. Après une corrida, il l'aborde dans ce but, mais elle lui demande immédiatement de la ramener à Madrid. Lors de leur discussion, elle mentionne ne pas vouloir aborder le sujet de sa récente séparation du Niño de Valence, un torero qui a été son amant. Arrivée chez elle, elle prend peur à cause d'un serpent, que Marco va tuer. Il l'accompagne finalement à un hôtel et elle accepte l'idée du reportage.

À la clinique El Bosque, il est évoqué qu'Alicia a subi il y a quatre ans un grave accident de la route et qu'elle se trouve dans le coma depuis. Marco et Lydia se plaisent et entament une relation amoureuse. "Quelques mois plus tard." Lydia annonce à Marco qu'elle doit lui parler, qu'elle le fera après la corrida. Un accident marque la manifestation sportive: Lydia est gravement touchée par le taureau et menée dans un hôpital. "Trois semaines plus tard." Lydia est dans le coma; Marco rencontre le Niño qui est venu rendre visite à son ex-compagne.

En cherchant le médecin, il observe par hasard, par une porte entrouverte, les soins donnés à une patiente dans le coma. Le médecin commente qu'il y a peu de chance que Lydia retrouve jamais la conscience. En repassant devant la porte entrouverte, Marco est appelé par l'infirmier Benigno. Ils discutent un moment; Marco remarque la photo dédicacée par Pina Bausch et Benigno reconnaît son voisin au spectacle de danse. Monsieur Roncero vient rendre visite à sa fille Alicia. Il mentionne à Benigno la consultation qu'il lui avait donnée il y a quelque temps en tant que psychiatre, qui était restée sans suite, et le questionne quant à sa sexualité.

Benigno confirme au docteur qu'il s'intéresse aux hommes et qu'il a présentement quelqu'un dans sa vie. Après que le père soit parti, Benigno relate la rencontre à une de ses collègues, en mentionnant l'anecdote de sa sexualité et en infirmant être homosexuel. À l'hôpital, Marco fait la connaissance de Katerina, la professeur de danse d'Alicia; Benigno mentionne que l'école de danse se trouve en face de chez lui.

"Quatre ans plus tôt." Depuis chez lui, ou chez sa mère avec qui il vit, Benigno admire les cours de danse en face de son immeuble, en particulier une des élèves. Alors que celle-ci quitte le cours, Benigno remarque qu'elle perd son portefeuille dans la rue; il la rattrape pour le lui rendre. Elle s'appelle Alicia et il la raccompagne jusque chez elle, où se situe également le cabinet de son père psychiatre, le docteur Roncero. Quelques jours passent et Benigno, inquiet de ne plus revoir Alicia aux cours, prend rendez-vous avec le docteur Roncero. Lors de la consultation, Benigno raconte peu de lui, mais on le sent très attaché à sa mère et on apprend qu'il est vierge.

En quittant le psychiatre, il s'aventure plus loin dans l'appartement, découvre la chambre d'Alicia, dérobe une barrette à cheveux puis tombe nez à nez avec Alicia. Il lui dit de ne pas avoir peur et quitte les lieux. La semaine se termine avec de nombreuses pluies sur la ville. Benigno indique à Marco qu'il a ensuite appris qu'Alicia avait eu un accident de voiture, sous la pluie, et que son père l'a engagé pour s'occuper exclusivement d'elle. Il ajoute même qu'il a ainsi vécu les quatre plus belles années de sa vie. Marco évoque qu'il n'arrive pas même à toucher Lydia et Benigno lui explique qu'il faut lui parler, comme il le fait avec Alicia. Certaines collègues de Benigno s'interrogent sur ce dévouement équivoque pour une femme dont il connaît, professionnellement, toute l'intimité physique, mais des rumeurs indiquent qu'il serait homosexuel.

S'intéressant aux loisirs d'Alicia, le cinéma entre autres, Benigno va voir un film muet, L'amant qui rétrécit. Il raconte le film à Alicia, l'histoire d'un jeune savant, Alfredo, qui teste le breuvage de sa compagne chimiste, Amparo, et rétrécit jusqu'à mesurer une demi-douzaine de centimètres. Une nuit, Alfredo explore le corps nu de sa compagne, jusqu'à se réfugier au plus profond de son être, définitivement...

"Un mois plus tard." En présence de Marco, Benigno a réuni Alicia et Lydia sur la terrasse. Marco se souvient du mariage de son ex-petite amie, Angela, auquel il avait assisté avec Lydia. Il a évoqué à Lydia les problèmes de drogues d'Angela ainsi que ses peines lorsqu'il s'était séparé d'elle. Lydia voulait lui parler après la corrida à laquelle ils se rendaient. À la clinique, Marco rencontre le Niño. Celui-ci lui apprend que Lydia et lui s'étaient remis ensemble un mois avant l'accident et Marco comprend alors de quoi elle voulait lui parler. Il se rend dans la chambre d'Alicia, la surprend nue et seule, puis Benigno arrive. Il annonce qu'il va partir en voyage, puis quitte la salle. La collègue de Benigno arrive et ils débattent de l'absence de règles chez Alicia, "Seulement du retard" selon Benigno.

Un mois plus tard, la même question se pose mais Benigno pense que tout est normal; l'infirmière décide d'en parler au médecin-chef. Marco et Benigno déjeunent ensemble. Marco mentionne qu'il n'a pas pu aller dire au revoir à Alicia car on lui fait subir des examens. Benigno lui annonce alors qu'il va se marier, avec Alicia! Marco le remet à l'ordre, que l'idée est absurde, totalement. La direction de l'hôpital aborde le problème de la grossesse d'Alicia, qu'elle a été violée. C'est Benigno qui a rempli tous les rapports et un infirmier a été témoin de sa discussion avec Marco quant à son idée de mariage!...

"Jordanie, huit mois plus tard." Marco travaille sur une plage et apprend par le journal que Lydia a été inhumée. Il appelle la clinique et apprend que Benigno n'y travaille plus et qu'il est en prison, pour le viol d'Alicia. Marco retourne en Espagne. Lors d'une conversation téléphonique, Benigno prie son ami de se renseigner sur ce qu'il est advenu d'Alicia car il ne le sait pas. Ils se rencontrent enfin; Benigno lui loue son appartement et lui rappelle qu'il désire recevoir des nouvelles d'Alicia. Depuis l'appartement de Benigno, Marco peut lui aussi observer l'école de danse. Il subit un choc car il aperçoit Alicia qui, convalescente, est venue rendre visite à Katerina. Marco discute avec l'avocat de Benigno qui lui explique qu'il a été estimé préférable que celui-ci ne soit pas mis au courant que l'état d'Alicia était revenu à la normale suite à son accouchement et que le bébé était mort-né. Marco rencontre de nouveau Benigno mais ne lui dit pas la vérité.

Quelques jours plus tard, il reçoit un message de Benigno, qui a décidé de s'évader. Marco en comprend immédiatement le sens caché et se rend à la prison mais il arrive trop tard: Benigno s'est empoisonné aux médicaments pour tomber dans le coma lui aussi, mais est décédé. Quelque temps plus tard, Marco va parler au cimetière à Benigno et lui révèle qu'Alicia est vivante.

Plus encore que dans Tout sur ma mère, Pedro Almodóvar se révèle le cinéaste de la transmission dans cette histoire de l'amitié entre deux hommes, scellée au chevet de deux femmes entre la vie et la mort. Parle avec elle est aussi une chronique de la passion amoureuse menée jusqu'aux confins du surnaturel et de la folie.

Parle avec elle est encore un mélodrame d'une beauté renversante, qui déconstruit avec virtuosité la linéarité de la vieille fable cinématographique pour mieux la ressourcer aux sortilèges immémoriaux du spectacle vivant, vibrant avec le chant (Caetano Veloso), palpitant avec la danse (Pina Bausch), consacrant l'effusion du sang dans la corrida, ou renaissant de ses cendres avec l'expressionnisme du cinéma muet. Parle avec elle est enfin une évocation, sombre et lyrique à la fois, de la puissance rédemptrice de l'art devant la finitude et les insuffisances de la vie.

Parle avec elle se révèle ainsi un film aussi important dans la filmographie de Pedro Almodóvar que Persona dans la filmographie de Bergman. Il s'agit dans les deux cas d'une parabole sur l'art et une méditation sur le thème du double et de la fusion des contraires. Au delà de la thématique semblable, on retrouve également des motifs identiques. La fusion du visage des deux femmes sur l'affiche est un clin œil malicieux à Persona puisque ici ce sont les deux hommes, éloignés au départ qui finiront par fusionner. Mais la fusion des deux mains est identique ainsi que le motif du drap comme un linceul symbolique. Benigno aime désespérément et va interpréter curieusement un film qu'il est allé voir dans le but de le raconter à Alicia qui était passionnée par le cinéma muet.

Intitulé lamant qui rétrécissait, celui-ci met en scène un homme au corps qui rétrécit pour s'être soumis volontairement à l'expérience pseudo-scientifique de sa bien aimée. Après avoir été séquestré par une mère cruelle, puis délivré par son amante, il entreprend de la faire jouir en s'introduisant dans son sexe. Lamant qui rétrécissait a été réalisé par Pedro Almodóvar qui radicalise ainsi sa passion cinéphilique qui l'avait déjà conduit à introduire des extraits de La vie criminelle d'Archibal de La Cruz de Buñuel dans Matador ou de Éve dans Tout sur ma mère. Comme dans ces deux derniers films la citation, loin d'êtres servile en détourne complètement le sens pour transformer en générosité des comportements psychotiques.

En effet L'homme qui rétrécit (Jack Arnold, 1957 d'après Richard Matheson) est l'histoire d'un homme qui, touché par un nuage radioactif lors d'une promenade en bateau, diminue à la taille d'un atome. Mais c'est aussi la punition d'un machiste. Il était en effet accompagné par sa femme lors de ce voyage fatal en bateau ; or celle-ci n'a pas été touchée car elle avait du se plier à l'ordre de son mari et aller chercher une bière à l'intérieur du bateau. Ensuite, chaque fois que l'homme voudra se défendre dans le monde où il devient minuscule, il sera condamné à utiliser des outils féminins, dés à coudre, aiguille ou fil. Benigno, amant sincère, rétréci par ses années de dévouement mais toujours heureux, s'inspire de la morale généreuse de lamant qui rétrécissait, pour réveiller sa belle endormie : il pénètre dans son sexe au risque de disparaître, socialement s'entend. Il commet en effet là un crime passionnel qui aurait pu le conduire à l'acquittement si on ne l'avait jugé psychopathe.

Après la mère abusive et le père inquisiteur (celui d'Alicia qui lui demandait ses préférences sexuelles) c'est à la société de se montrer impitoyable sous ses aspects policés (des pensionnaires et non des prisonniers dans la prison de Ségovie). Benigno finit par se suicider mais il transmet à Marco, main contre main dans le parloir, la possibilité d'aimer une belle disparue. Ce don par l'effacement de soi, on en retrouve un autre symbole avec le siège vide entre Marco et Alicia lors du spectacle final de Pina Bausch. Ce siège vide de lamant, cette fois bien rétréci permet un échange de regard en guise de promesses amoureuse. L'amour et la mort donc toujours indissociablement liés.

Mais Pedro Almodóvar se refuse aux scènes mélodramatiques : ni l'accident d'Alicia, ni son réveil, ni le suicide de Benigno se sont filmés. Comme si ces scènes, trop liées à la mort ou au triomphe de l'amour (on imagine ce qu'aurait pu faire Dreyer d'une résurrection par l'accouchement), choisissaient trop facilement leur camp. L'amour et la mort ne se succèdent ainsi pas dans le film mais sont toujours associés dans chaque séquence ; ainsi des scènes de tauromachie de danse ou de chant, ainsi dans l'observation d'Alicia dansant sous le regard de Benigno, mort à la vie dans l'appartement de sa mère, ainsi dans le premier regard de Marco sur les yeux s'ouvrant d'Alicia, ainsi du massage de la cuisse d'Alicia inconsciente (Buñuel n'est loin).

C'est d'ailleurs souvent au second degré que le film parvient à émouvoir, lorsqu'on le regarde comme un spectacle. C'est là le message essentiel du film : l'émotion n'est pas intrinsèquement liée aux êtres (la psychologie n'a pas d'intérêt) et ne peut surgir que du regard porté sur les eux, sur leur histoire. En ce sens le film n'est rien de moins qu'une métaphore sur l'art : si les êtres humains sont voués à la mort, le regard, lorsqu'il est amour, est à l'origine de l'émotion. D'où, bien-sûr, les scènes déjà citées, celles des spectacles où sont sans cesse mis en relation l'art et son spectateur et celles où un vrai dispositif de mise en scène met en jeu le regard pour l'affrontement de l'amour et de la mort. On retiendra aussi que la crise de larmes de Marco est certes déclenchée par la mort de Benigno mais à la vue de sa lettre : l'émotion n'existe que lorsqu'elle est mise en forme. On pourra aussi retenir comme plan symbolique de tout le film celui du film muet ou lamant rétréci apparaît en amorce du gros plan de la star. On peut facilement voir là une métaphore du spectateur de cinéma, amant de la beauté qui choisit, au mépris de la loi de la réalité, de disparaître dans le film.

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