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2001, l'odyssée de l'espace, un film de Stanley Kubrick, sorti en 1968

Distribution:
  • Keir Dullea : Dave Bowman
  • Gary Lockwood : docteur Frank Poole
  • William Sylvester : docteur Heywood R. Floyd
  • Daniel Richter : Moonwatcher
  • Leonard Rossiter : Dr Andrei Smyslov
  • Margaret Tyzack : Elena
  • Robert Beatty : docteur Halvorsen
  • Sean Sullivan : docteur Michaels
  • Douglas Rain : la voix de Hal 9000 (François Chaumette dans la version française)

Fiche technique:

  • Titre original : 2001: A Space Odyssey
  • Réalisation : Stanley Kubrick
  • Scénario : Stanley Kubrick, Arthur C. Clarke d'après sa nouvelle The Sentinel
  • Photographie : Geoffrey Unsworth
  • Décor : Tony Masters, Harry Lange, Ernie Archer
  • Production : MGM, Film britanno-américain
  • Date de sortie : 27 septembre 1968 (France)
  • Genre : science-fiction
  • Durée : 156 minutes (version longue), 139 minutes (version normale)
  • Musiques: Richard Strauss : ouverture d'Ainsi parlait Zarathoustra
    Johann Strauss fils : Le Beau Danube bleu
    György Ligeti : extraits de Requiem, Lux Aeterna et Atmosphères
    Aram Khatchaturian : extrait de la suite de ballet Gayane

L’aube de l’homme.

"Homo" n'est qu'un animal parmi d'autres. La faim taraude une bande retranchée dans des cavernes. Sans défense contre les prédateurs, c'est presque la fin de cette tribu. Un matin, elle trouve dressé sur le sol un imposant et intrigant monolithe noir.
Sous l’influence de cet objet, les membres de la tribu ont l’idée de se servir d’os comme d'une arme, acquérant ainsi une prévalence sur certains de leurs congénères. Ils s'en servent pour éliminer des rivaux qui leurs disputaient un point d'eau, pour se débarrasser des prédateurs et pour tuer leurs proies, accélérant ainsi le processus d'évolution.

Quatre millions d’années plus tard, en 2001

Des vaisseaux spatiaux voyagent dans l’espace. Le savant américain Dr Heywood Floyd se rend sur la lune où il est chargé de recommander aux savants de maintenir le secret sur une fantastique découverte. Il va ensuite contempler la découverte en question : un monolithe noir (le même ?), enterré volontairement selon les savants il y a quatre millions d’années. Celui-ci se met alors à produire un puissant champ magnétique qui fait vibrer les écouteurs des astronautes jusqu' à la douleur.

Dix-huit mois plus tard, mission Jupiter.

Un vaisseau fait route vers Jupiter avec en équipage deux astronautes (Dave Bowman et Frank Poole), trois savants en hibernation et l’ordinateur Hal 9000. Ce dernier, à la pointe de la technologie, dirige toutes les manœuvres du voyage. Au cours d'une conversation qu'il a initiée et qui devient embarrassante, Hal signale une panne imminente qui y met rapidement fin. La pièce prétendument défectueuse est inspectée par les deux astronautes qui, ne trouvant rien d’anormal, s’inquiètent de l’erreur de l’ordinateur, et pensent même à le déconnecter...
Hal s’en protège en provoquant la mort de Poole, puis des savants en hibernation. Le survivant, Bowman, arrivera à déconnecter l’ordinateur et à prendre connaissance d’un message enregistré à destination de l’équipage : celui-ci indique la découverte d’un artefact extra-terrestre sur le sol lunaire. À l’exception d’une onde radio émise en direction de Jupiter, tout reste, selon la communication, mystérieux à son sujet...

Jupiter et au-delà...

Aspiré dans l’espace-temps, Bowman se retrouve dans une chambre de type Louis XVI, semble y vieillir prématurément et, mourant, voit le monolithe noir à son chevet. Il renaît sous forme d’un foetus astral flottant au dessus de la terre. L'interprétation de cette fin est laissée au spectateur.

Analyse

Malgré la participation de Clarke dans le scénario, le film porte nettement la patte de Kubrick, notamment de son pessimisme. Ainsi, le premier effet de l'intelligence sera, pour notre ancêtre, l'invention d'une arme et un meurtre. Ainsi également, les personnages sont singulièrement inactifs : les astronautes sont totalement sous le contrôle d'un ordinateur, et seul un sursaut permettra au dernier survivant de se sauver...au prix d'un nouveau meurtre symbolique. La question de savoir si la fin du film est optimiste ou non est incertaine: évolution? préfiguration d'un dépassement de l'espèce humaine (ce que suggère la musique de Zarathoustra)? autre chose?

Du point de vue des avancées technologiques au début du XXIe siècle, 2001, l'odyssée de l'espace donne une vision assez optimiste; et, dans cette représentation de ce qu'étaient alors les technologies du futur, Kubrick a poussé la précision et le réalisme à un point qui ne s'était pas encore vu dans un film de science-fiction. Il aurait méticuleusement détruit toutes ses maquettes avant de proclamer : « Si d'autres veulent faire un film plus réaliste, il faudra qu'ils aillent le tourner sur place. » L'obsédant silence spatial, où l'on n'entend que sa propre respiration, joue un rôle de premier plan dans le film.

La Guerre des étoiles ne saura pas en retenir l'idée, ni même 2010 (la suite de 2001) où l'on entend des bruits d'explosion... dans le vide ! La qualité de ce travail a permis aux effets spéciaux utilisés dans le film de conserver une force qui crée encore aujourd'hui l'illusion. De plus, les thèmes soulevés par ce film — la nature de l'humanité, l'intelligence, notre place dans l'humanité — restent toujours d'actualité, près de quarante années plus tard.

Il est difficile d’ aborder toutes les composantes de ce film, sa richesse, sans en épuiser tous les sens. Impalpable, il se décèle dans le domaine de l’abstraction, de l’esthétique, difficile à synthétiser, même à approcher.
2001, l'odyssée de l'espace restera également célèbre pour sa bande originale, particulièrement lors de la première scène futuriste, pendant laquelle on entend Also Sprach Zarathustra de Richard Strauss, et surtout lors de l'arrimage à la station spatiale (qui tourne sur elle-même pour simuler une gravité), le beau Danube bleu, pièce musicale qui reste depuis et de façon inattendue associée à l'immensité de l'espace).

La hiérarchie conventionnelle est dès le début bouleversée : une ambiance sonore composée de divers bruits de savane et de vent prend place avec des paysages. Sans plus. Pas de commentaire. Pas de musique de fond. Le début est à ce point déroutant, sans explications, que rien ne semble particulier à voir. Ou l’inverse, et c’est ce qui est remarquable : tout prend sens. Une histoire, composée d’épisodes séparés en fondu noir, se construit. Puis un élément invraisemblable apparaît, nimbé d’un mélange subtil de voix : un monolithe noir. Choisit comme leitmotiv pour cet objet, le mixage sonore de György Ligeti traduit le savoir et le pouvoir du monolithe. Il synthétise de la sorte des milliers de voix et de sons, et donc des pensées, des connaissances, etc.

La scène suivante revient aux bruitages et, tandis qu’un plan cadrant le monolithe en contre-plongée vers le ciel prépare le passage vers la station spatiale, la musique fait de même avec un thème de Richard Strauss. Un homme singe découvre l’application foudroyante des os sur ses ennemis. Dernière scène préhistorique bruitée suivie d’une transition presque silencieuse d’un os lancé vers le ciel à une station spatiale. Une composition de Johann Strauss vient récupérer cet immense et inattendu saut dans l’espace et dans le temps. La musique prend dès lors une place de choix dans la composition, au même rang que l’image, sinon davantage. Elle semble faire danser les objets dans cadre qui tournois à son rythme. Le choix de la forme du vaisseau, tournant sur lui-même, apparaît avoir été pensé en connaissance de la musique. Notons que le rythme des mouvements à l’écran est plus lent que celui de la musique, déjà relativement lent, créant ainsi non seulement un effet de lenteur de l’espace, mais également de grande distance voire d’infinité parcourue.

L’Espace est créé par le rapport entre les images, en énormes plan d’ensemble, et la musique, classique et sophistiquée : les premières ont une grande profondeur de champ, la seconde une profondeur sonore. La musique homogénéise les séquences, en utilisant un thème musical par séquence, et unifie le film, en utilisant le thème de la première séquence dans la dernière. Jusqu’à présent, les seules informations communiquées au spectateur le sont par l’image et le son. Des panneaux d’avertissement rajoutent du sens à des éléments visuels, mais sans plus : ni commentaires, ni parole. L’arrivée très conventionnelle du Dr Heywood Floyd fait espérer un retournement du système sonore, mais cela est de courte durée. Ainsi apparaît un sens nouveau : la problématique sonore du film devient allégorie d’un mal communicationnel plus large issu, entre autres, de la technologie. En effet, la majorité des communications sont véhiculées par un média autre que l’humain : télévision, micro, satellite, ordinateur, photos, etc. Au début, ce choix peut sans doute être expliqué par la distance séparant énonciateur et destinataire. La communication d’humain à humain se réduit à sa seule fonction phatique.

Le film tend, dès la troisième partie, à optimiser son rapport ambigu à la communication. Kubrick se dirige vers l’épure, pour mieux expliciter son propos, en réduisant le schéma de la communication classique à deux éléments : un énonciateur humain et un destinataire technologique, Hal, ou l’inverse, dans l’infinie solitude de l’espace. L’un respire, on l’entend, et exclusivement lui, l’autre pas. L’un aimerait communiquer, l’autre, trouve sans propos son propos (Dave, cette conversation est désormais sans objet. Adieu.). La faiblesse, ou grandeur, c’est selon, de l’homme vient des informations véhiculées par son corps, le ton de sa voix, ses gestes, etc. et tout ce qui « trahit » ses sentiments. À la découverte d’une possible erreur de l’ordinateur, l’inquiétude des deux hommes se voit sur leurs visages, même s’ils nient. Et sur leurs lèvres se lit leur volonté.

La question de savoir si l’ordinateur à la voix toujours neutre éprouve des sentiments est clairement posée dans le fi lm. La réponse se trouve dans le silence intersidéral : personne ne sait. Ou plutôt : personne ne veut savoir. Doit-on s’inquiéter des avancées technologiques ? Doit-on voir ce qu’il est bon de déléguer aux machines, et bon de garder pour soi, comme les sentiments ? Le son, pour finir sur l’élément initial de ce propos, exprime la solitude des protagonistes. Seuls face à la machine, ils sont entourés de silence spatial, de bruits d’appareils et de leur propre respiration. Cette dernière, point d’écoute subjectif, s’accroît à mesure que les problèmes deviennent plus pesants : de plus en plus rapide, elle augmente le stress et la tension du spectateur. Les moments de silence deviennent, bien que nécessaires, insoutenables. C’est lors de ces moments que le spectateur entend sa propre respiration : il est dans la même position que le survivant David Bowman, perdu.

Remarques

L'initiative du projet revient à Stanley Kubrick, qui, connaissant l'œuvre de Clarke, le contacta afin de voir dans quelle mesure ils pourraient travailler ensemble sur "the proverbial good science-fiction film" ("le légendaire bon film de science-fiction").

Le scénario du film, ainsi que le livre correspondant, ont été écrits conjointement par Arthur C. Clarke et Stanley Kubrick. Néanmoins, il fut convenu qu'Arthur C. Clarke conserverait officiellement la paternité du livre, et Stanley Kubrick celle du scénario. Le film et le livre ont en fait été développés en parallèle : le livre est par exemple basé sur certains des rush quotidiens du film... et vice-versa... (pour plus de détails concernant la collaboration de Clarke et Kubrick sur ce projet, voir The Lost Worlds of 2001, Arthur C. Clarke, Signet, 1972). Précisons toutefois que la nouvelle The sentinel, de Arthur C. Clarke, constitue la véritable origine du film en reprenant l'idée d'un objet extraterrestre abandonné sur la lune et servant depuis comme alarme: toutefois, il ne s'agissait encore que d'une pyramide et non d'un monolithe.

Il est à noter que selon certains, malgré les dénégations de l'auteur, le nom de l'ordinateur Hal 9000 n'aurait pas été choisi au hasard. Ce n'est que le décalage d'une lettre dans l'alphabet d'IBM, qui a participé à la réalisation du film... Dans la version française, l'ordinateur s'appelle Carl.

Parmi les éléments concourant au réalisme du film, il peut être cité le respect du silence sidéral. En effet, le vide caractérisant l'espace ne permet pas la propagation de sons. Or, de nombreux films de science-fiction (antérieurs et postérieurs à celui de Kubrick) prennent la fantaisie d'illustrer le déplacement des vaissaux par le bruit sonore de réacteurs en action, leurs armes produisant des bruits inconcevables dans l'espace. De ce fait et malgré son âge, 2001, l'odyssée de l'espace reste une référence inégalée en matière de réalisme pour un film de ce genre. Le silence spatial a d'ailleurs été nettoyé pour supprimer les derniers bruits de fond, dans la version restaurée du film, sortie en 2001.

2001 explora de nombreuses techniques d'avant-garde en matière d'effets spéciaux et fut notamment à l'origine du motion control. L'ensemble des éléments scénaristiques et des décors firent l'objet d'une attention toute particulière et plusieurs scientifiques et experts en matière d'exploration spatiale coopérèrent.

Récompenses:

  • 1968 : Oscar des meilleurs effets spéciaux. Voir la technique de Slit-scan utilisée par Douglas Trumbull pour la séquence de la porte des étoiles.

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